© D.Aldag/ P.Gresle - Festival interceltique de Lorient
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Que
reste-t-il aujourd’hui de ce portrait
des Celtes, que les écoliers romains et grecs devaient
apprendre : « Alliés
imprévisibles
et peu fiables, souvent trop ivres ou paralysés par
une peur superstitieuse pour combattre (…), les Celtes étaient
par-dessus tout des barbares, des hommes d’une nature
autre, cruelle et sauvage » (cité par
Barry Cunliffe dans Les Celtes) ? Ces traits de caractère
peu avantageux semblent bien loin des Bretons et autres Irlandais
d’aujourd’hui.
Non, le Celte n’était
pas (seulement) ce grand soiffard amateur de bière
et de biniou. Exit les clichés et simplifications
abusives, tentons de rassembler quelques points communs aux
Celtes, qu’ils viennent des Asturies, d’Écosse
ou encore de l’île de Man. |
Un petit mot, avant de commencer, sur la réputation de
fêtard qui colle à la peau des Celtes. Pour reprendre
Barry Cunliffe, historien des Celtes, « la
fête était,
chez les Celtes, un élément essentiel de la mise
en place et de la préservation de l’équilibre
social ». Elle est toujours bien ancrée dans
la culture celte. Aujourd’hui encore, les fêtes traditionnelles
celtiques, à la façon des festoù noz (fêtes
dansantes bretonnes, fest noz au singulier), rassemblent des
danseurs de tous âges pour des danses virevoltantes et
endiablées. Une
vie culturelle à redécouvrir
C’est au XIXe siècle que l’on commence à redécouvrir
la culture celte, après de longs siècles pendant
lesquels ils étaient perçus comme des barbares.
Des organisations d’historiens commencent à prendre
conscience qu’il existe une sorte d’unité des
peuples celtiques. Un sentiment que l’on retrouve tout
particulièrement en Bretagne, où est inauguré en 1867
le premier congrès interceltique, qui attire des participants
du Pays de Galles, de Cornouailles, d’Irlande et d’Écosse.
On commence alors à considérer la culture celtique
comme une culture à part entière. Ainsi, en
Bretagne, Théodore Hersart de La Villemarqué entame
une vaste collecte de chants populaires bretons, rassemblés
sous le titre de Barzaz Breiz. Ce témoignage primordial
de la culture bretonne, souvent perçue négativement,
rencontre un franc succès auprès de la société littéraire
parisienne. George Sand a même comparé certains
chants avec l’Iliade d’Homère. La Bretagne
sortait enfin des chemins boueux dans lesquels la civilisation
académique l’avait si longtemps recluse.
Après la Seconde Guerre mondiale, la culture celtique
a toujours mauvaise presse. Trop passéistes selon
certains, les bagadoùs (groupes de musiciens bretons,
bagad au singulier) n’innovent pas vraiment. « Au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on avait encore
honte d’être breton », explique Jean-Pierre
Pichard, directeur honoraire du Festival interceltique de
Lorient (FIL).
« En 1971
[année de lancement du FIL, ndlr], on a
essayé de faire une culture moderne et créative
sur des bases anciennes, en s’appuyant sur
les damnés de l’Atlantique, en mettant
bout à bout les différentes minorités. » Depuis,
tous les ans, cette grande fête de l’interceltisme
constitue l’un des plus gros festivals européens,
drainant plus de 700 000 festivaliers,
parmi lesquels 50 % sont non bretons. |
© Sophie Costovici - Festival
interceltique de Lorient |
Cette alliance de l’ancien et du moderne est un des
fers de lance de la culture celtique contemporaine. Alan
Stivell, le célèbre harpiste breton, a été l’un
des piliers de ce renouveau celtique. « Quand
je suis entré dans le monde de la musique, au début
des années 1960, j’aimais les formes traditionnelles,
mais je trouvais que ce n’était pas assez évolué.
Je rêvais de fusions avec le rock et les musiques électroniques,
contemporaines. » Mais, à cette époque,
la culture celtique était toujours réduite à son
aspect folklorique, et n’était pas considérée
comme digne d’un véritable intérêt
artistique. « L’immense majorité des
gens nous prenait pour des arriérés, poursuit-il.
Ils pensaient qu’on n’avait pas évolué,
qu’on en était resté au XIXe siècle. » Aujourd’hui,
la musique celtique fait l’objet de nombreux festivals
qui ne sont pas exclusivement dédiés aux musiques
traditionnelles. C’est ce qu’explique Michael
Aron, directeur du bureau de l’Union européenne
du Scottish Executive : « Il
y a un héritage
celte florissant. C’est une culture de nos jours, moderne,
dynamique ». Par-delà les frontières…
Alan Stivell, qui a étudié la musique, l’art,
les langues et l’histoire celtes, en retire quelques
constatations. « Il
y a des tendances non négligeables
qui relient les Celtes. On voit que la culture celtique est
moins enfermée dans des cadres très carrés,
elle a un côté plus aquatique, explique-t-il.
Tout se balade, on ne sait pas trop où est le début,
où est la fin. L’art celtique n’est que
spirales, entrelacs. C’est une sorte de folie, et ça,
on le voit aussi bien dans l’art que dans la musique.
Je trouve qu’il y a une envie de mouvement très
exprimée, beaucoup plus que dans d’autres cultures ».
Il existerait des traits communs qui
transparaissent dans les arts des différentes régions celtes. Même
si cela reste difficile à définir, et plus
encore à repérer pour nous, simples profanes.
Alan Stivell, qui a signé son premier contrat de musicien
professionnel en 1966, est un véritable théoricien
de la culture celte, de l’art et de la musique qui
rassemble ces peuples. « Dans
beaucoup d’autres
cultures, qu’elles soient germaniques ou latines, vous
avez des structures très rigides, vous sentez des
cadres plutôt marqués. » Des caractéristiques
qui se retrouvent même dans les traits de comportement. « Cet
aspect-là va aussi avec le fait qu’au fond,
les Celtes n’ont pas beaucoup aimé les États.
Dans l’ensemble, ce n’est pas une envie profonde
des Celtes de s’enfermer dans des frontières… Il
y a cet espèce d’échange permanent entre
les cultures, les apports, les influences en permanence… » Isolées à l’extrême
ouest de l’arc atlantique, les régions celtes
ont en commun une proximité avec la mer, d’où l’éventualité toujours
présente du départ alimentant cette image du
Celte baroudeur, toujours prêt à rejoindre son
cousin écossais ou galicien.
Il reste aujourd’hui un important travail à faire
sur les mentalités pour qu’elles évoluent
et cessent de toujours identifier musique celtique à musique
traditionnelle ou, pire, folklorique. Une
farouche envie d’être
celte
Bien que les personnes qui se revendiquent
celtes soient éparpillées
aux quatre coins de l’Europe, elles ont le sentiment
d’une identité partagée. Il ne reste
aujourd’hui pas grand-chose de ce qui fut sans doute
un ensemble riche et vivant de traditions orales. Mais la
résistance des Celtes face à une certaine volonté d’uniformisation
des États centralisés leur a permis de conserver
leur langue. L’utilisation du mot « langue » marque
déjà un progrès. Alan Stivell nous fait
en effet remarquer que lorsqu’il passait son baccalauréat, « on
parlait encore de dialecte ». Toutefois la France
rechigne à ratifier la charte européenne des
langues régionales, adoptée depuis 2001
par nos voisins anglo-saxons. Cette charte considère
que « la protection
des langues régionales
ou minoritaires historiques de l’Europe, dont certaines
risquent, au fil du temps, de disparaître, contribue à maintenir
et à développer les traditions et la richesse
culturelles de l'Europe ».
Être
celte relève du ressenti, du vécu de chaque
individu. Tous ceux qui connaissent la Galice,
la Bretagne, l’Irlande ou le Pays de Galles ne
sauraient mettre en doute la très forte charge émotionnelle
que véhicule le sentiment de partager un héritage
commun. « Ce sont
des choses qu’on ressent, confie Alan Stivell. Être
celte, c’est un état d’esprit : être
sensible à l’histoire, aux mythes et aux
expressions artistiques. » L’environnement
(même climat, même géologie) a probablement
lui aussi sa part à jouer sur leur sensibilité.
© Pierre Josse
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La
communauté celtique, unie par des traits
culturels, manifeste toutefois des particularismes
régionaux : « l’unité dans
la diversité », leitmotiv des
organisateurs du Festival Interceltique de Lorient.
Lisardo Lombardia, nouveau directeur du renommé festival
lorientais, souligne que les sociétés
celtes sont caractérisées par la
même envie de « défendre
leur identité » et de « la
partager ». Une identité qui
se construirait aussi sur une plus grande égalité homme-femme. À l’instar
de la langue bretonne, « il
y a, souligne Alan Stivell, un mot pour désigner
l’être humain, den, et ensuite vous
avez deux mots, un pour le féminin et un
pour le masculin ».
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En définitive, et comme l’explique très
justement Barry Cunliffe dans l’ouvrage Les Celtes, « la
seule définition du terme “Celte” est
donc peut-être, aujourd’hui comme autrefois,
qu’est “celte” celui ou celle qui revendique
cette identité ». Car bien malin
serait celui qui pourrait définir strictement et
sans équivoque l’identité d’un
peuple. |