Escale au Panama
Panama City
Attablé à la terrasse d'un café du vieux Panama, je sirote un verre de rosé avec Gaétan, un Français étonnant, parti sur les routes depuis trois ans. Il ne voyage qu'en auto-stop et dort la plupart du temps dehors ou chez l'habitant. Nous parlons de nos voyages. Amusés, nous nous rendons compte que nous connaissons la même personne au Québec, à Rimouski. Robin m'a hébergé au début de mon voyage, avant ma descente en bus jusqu'ici. Gaétan l'a connu lorsqu'il étudiait au Québec…
Gaétan a une vraie philosophie du voyage : il ne veut pas aller dans les endroits qu'il faut voir à tout prix, visiter en compagnie d'un groupe de vingt touristes, en short, avec appareil photo sur le ventre… « Si pour voir un lion, je dois aller dans un zoo et bien je n'irai pas le voir. Si je dois en voir un, ce sera en Afrique et il sera libre, sinon tant pis ! »
Gaétan est à Panama parce qu'il recherche un bateau qui l'emmènera gratuitement de l'autre côté du Pacifique. Moi, je cherche un bateau pour aller en Colombie. Car il est impossible d'aller de Panama en Colombie par la terre. La frontière entre les deux pays est située dans ce que l'on appelle « le trou de Darién », une zone où il est très dangereux de se risquer. Certains le tentent. Il existerait un club très fermé de ceux qui l'ont fait, des aventuriers un peu cinglés et indifférents au fait de perdre leur vie. Il doit aussi exister là-haut un club très sélect des crétins qui n'ont pas réussi à le faire et dont on est toujours sans nouvelles.
Trouver un bateau n'est pas trop difficile. Il existe une auberge de jeunesse à Panama (Voyager International Hostel) où sont punaisées sur le mur des annonces de bateaux cherchant des passagers. Le prix de la traversée est d'environ 250 $. Un bateau doit partir dans quelques jours : on me fera signe.
Panama est un pays intéressant. Ce n'est pas LA destination des routards en Amérique centrale et c'est peut-être ce qui explique l'atmosphère, l'accueil de la population, leur curiosité à votre égard, leur gentillesse.
L'histoire de ce pays est passionnante. Panama faisait partie de la Colombie, avant que l'indépendance ne soit déclarée par un groupe d'indépendantistes soutenus par les Américains - ceux-ci ont marqué de leur empreinte l'histoire de l'Amérique centrale, souvent, il faut bien le reconnaître, pour le pire… L'indépendance sera officialisée par un accord en 1903. Panama, de par sa position géographique, est un endroit stratégique. Et puis, il y a ce canal commencé en 1881 sous l'impulsion du français Ferdinand de Lesseps. Bon, cela ne fut pas une mince affaire… Fièvre jaune, malaria s'en sont pris aux travailleurs (on estime à plus de 20 000 le nombre d'ouvriers morts lors de la construction). Le canal suscita la convoitise. Les Français, incapables de le terminer, le vendirent aux Américains, et, le 15 juillet 1914, un bateau emprunta pour la première fois le canal.
Quelques jours suffisent, je pense, pour visiter la ville de Panama. Le canal est un incontournable. Un musée donnant directement sur une écluse permet d'assister au passage des bateaux chargés de leurs containers. Le prix du passage pour les navires est assez élevé, mais le canal permet un vrai gain de temps. Pour un voyage de New York à San Francisco, un bateau gagne 782 miles s'il emprunte le canal au lieu de passer par le Cap Horn… La longueur de ce canal est de 79,6 km, composé de six écluses. On réalise mieux à l'évocation de sa longueur, les difficultés de sa construction.
Un autre lieu à visiter : les ruines du Panama Viejo, situées à l'est de la ville. C'est ici même qu'un conquistador espagnol a fondé, au début du XVIe siècle, la ville de Panama. Pour visiter ces endroits, je partage un taxi avec des amis anglais. Le prix par personne pour une journée est plus que raisonnable : moins de 10 $. Le chauffeur nous guide dans la ville, nous livre mille informations, nous raconte l'histoire de ce pays, et notamment le débarquement américain en décembre 1989, pour renverser le chef de l'État, Noriega. L'opération fut appelée « Just Cause ». Les Marines ont débarqué pour enlever Noriega afin de l'envoyer finir ses jours en prison, condamné pour trafic de drogue. Mais si les Panaméens sont contents d'être débarrassé du dictateur, ils n'oublient pas que c'est la CIA qui a formé Noriega…
Après quelques jours de découverte de Panama, je me rends au Voyager et rencontre Dina, une Colombienne. Elle travaille pour un capitaine. Ils partent bientôt pour Cartagena en Colombie. Elle me propose de le rencontrer. Je la suis dans un hôtel luxueux. À l'entrée, les portiers sont prêts à se jeter sur vos valises. Le hall est immense, le sol en marbre, des hommes et des femmes tirés à quatre épingles discutent dans de gros fauteuils. Qui est donc ce capitaine pour habiter dans un tel hôtel ? C'est la première question que je me pose, suspicieux. Et puis je le découvre, dans le bar situé au bout du hall, en train de descendre un pichet de bière en compagnie de deux jeunes femmes blondes. Il est souriant et chaleureux. Les deux filles sont allemandes et veulent faire, elles aussi, la traversée. D'autres routards se joignent au groupe : un Autrichien, des Canadiens et une Suédoise.
Capitaine Dennis, un Américain du Connecticut, nous explique : « Vous savez pourquoi je donne rendez-vous dans cet hôtel ? Parce qu'on peut jouer au billard gratos et consommer sa propre bouteille de rhum, personne ne vient jamais vous emmerder ici ! ».
Il nous rencarde sur le voyage. D'après lui, ça va être le meilleur moment de notre voyage, c'est ce que tous ses passagers lui disent. Il est tellement enthousiaste et chaleureux qu'on a envie de le croire sur parole. Il nous conseille d'acheter ici à Panama des pilules contre le mal de mer : on ne sait jamais. Il évoque des traversées précédentes, des motards canadiens qu'il a embarqués un jour avec leurs deux grosses bécanes, le poisson immense qu'ils ont péché, les fêtes sur le voilier…
Je lui demande si on croisera beaucoup de bateaux. Il me répond : « D'autres bateaux ? Très peu de chance. Et si tu veux parler des trafiquants, ceux-là, ils utilisent des bateaux hyper rapides, parfois télécommandés. Et comme ils ne veulent pas être vus, alors on ne les voit pas. Au fait : pas de drogue à bord ! Il y a des chances pour que l'on se fasse fouiller ! ». De toute manière, il faudrait vraiment être stupide pour faire rentrer de la drogue dans un pays qui en produit autant…
Le voilier du Capitaine Dennis est ancré à Portobelo, à 40 km à l'est de Colon. Nous décidons avec les deux Allemandes, Katia et Anke, de nous y rendre le lendemain. Les autres nous y rejoindront deux jours plus tard.
Texte : Xavier Le Frapper
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