Carnet de déroute
Un kibboutz version auberge espagnole ?
À vrai dire, c'est bien ce qui se passa, mais version auberge espagnole. Avec mes trois mots d'anglais qui avaient tant de mal à remonter à la surface face à tant de jeunes diplômés, je fus assez vite marginalisé. Nous étions tous casernés dans une partie du kibboutz et nous retrouvions en fin de journée ou le soir, fourbus et avachis sur l'herbe tendre ou dans un canapé moelleux de la cafétéria spécialement disposée pour nous, une espèce de petit bar au style underground (faute de moyens), parfait pour vivre l'esprit de groupe un peu destroy et complice de nos années dites " sauvages ". Certains partaient explorer le superbe canyon derrière le kibboutz au coucher du soleil avec des compagnons d'affinités ou une future conquête, d'autres partaient piquer une tête dans la piscine ou attendaient patiemment l'heure du film dans ce cinéma presque digne du Grand Rex. Quelques-uns tissaient leur toile dans leur chambrée ou au bar, nouaient des liens ou esquissaient déjà des ébauches de flirts. Mais tous attendaient avec impatience le traditionnel barbecue du soir largement arrosé de bières fraîches dont la comptabilité était assurée par un volontaire qui n'était pas le dernier à se servir ! Moi, je buvais ma petite canette dans mon coin tout en observant les couples qui se faisaient et se défaisaient. Si j'étais arrêté par le barrage de la langue, eux ne l'étaient absolument pas… Inspiré par la tradition littéraire de mon pays, je posais les problèmes de notre temps avec aplomb (une fois n'est pas coutume) tout en renforçant sans le savoir l'impression d'arrogance que ressentent parfois les étrangers à l'égard des Français. Faisant fi de cette faible différence entre les peuples, je croyais imposer mon style parmi cette grande diversité de croyances et de fraternités qui nous rassemblaient tous et m'envolais dans des considérations lyriques et hautement philosophiques, loin du terre à terre quotidien qui handicape tant les esprits compliqués… Alors, quelle ne fut pas ma surprise à la fin de l'une de ces soirées mémorables et éthyliques lorsque j'entrai par mégarde dans une chambrée pleine de rires et de moues, mais aussi de corps avachis à demi nus et savamment entrelacés. Bref, les barrières sociales avaient visiblement sauté depuis longtemps et j'étais le dernier au courant !
Texte : Fabrice de Lestang
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