Carnet de déroute
Un chien dans un jeu de quilles ?
Côté boulot, je changeais de poste un peu trop souvent. Affecté à la cuisine, je m'entaillais régulièrement le pouce, ce qui me fit passer manutentionnaire à l'entrepôt de marchandises et pour un bleu auprès des filles qui n'avaient pas entièrement tort de rigoler. À l'entrepôt, où s'empilaient des tonnes de boîtes de denrées en tous genres dans des formats pour collectivités, je travaillais avec des malabars dont les pectoraux étaient sensiblement du même tonneau que les boîtes qu'ils transportaient, et qui en jouaient volontiers, ce qui fut peut-être la raison (allez savoir) pour laquelle je fus tant impressionné et tombai du haut d'une échelle… En désespoir de cause, le commandant de la troupe eut finalement l'idée de m'envoyer manier le Karcher dans le but de procéder au traitement de la viande… cachère. En fait, même si la viande devient une semelle de cuir, l'opération consiste à lui faire rendre son sang, considéré comme impur par la religion juive. Bon, imaginez un clone de Woody Allen travaillant dans la boucherie en gros. En fait, ceci m'amusa beaucoup plus que mes fonctions précédentes et je passais mes journées dans une oasis du Proche-Orient par une température en dessous de zéro, en train d'asperger des quartiers de viande ayant séjourné dans le gros sel (sans jamais oser demander si c'était celui de la mer d'à côté), équipé de grosses bottes de jardin, de gants énormes et protégé par une bâche en plastique en guise de cape.
Texte : Fabrice de Lestang
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