Shanghai : dans la gueule du dragon chinois

Un ex-Garde Rouge amateur de chaussures rares

Un ex-Garde Rouge amateur de chaussures rares
Marie Page

Avec Michel Miao, mon guide-interprète chinois, je me rends maintenant à l’ouest de la ville, chez un autre collectionneur privé de Shanghai. Monsieur Yang Shao Rong possède une collection de petits souliers anciens pour pieds bandés. Comme les horloges anciennes, ces chaussures minuscules évoquent une Chine précieuse et raffinée certes, mais cruelle.

Je pénètre dans un immeuble en béton de plus de vingt étages et l’ascenseur nous propulse en hauteur. Je retrouve Monsieur Rong, six ans après ma première visite. C’est un homme de haute taille, sportif, aux manières douces et agréables, au visage souriant. Descendant d'une famille de riches mandarins et de propriétaires terriens de la région de Hangzhou ruinés (et spoliés) par la révolution communiste de 1949, Yang Shao Rong était reparti à zéro comme simple prolétaire : travailleur dans une usine de montage de radio. Durant la révolution culturelle, il s’était même engagé dans les rangs des Gardes Rouges, chargés de faire table rase du passé. Curieusement, il a fait le contraire, il s’est mis à la recherche d’un passé menacé pour le protéger, au mépris de la loi en somme. Ainsi est née cette collection unique.

Comment est-il parvenu à rassembler dans son modeste appartement autant de pièces rares ? Il travaillait la nuit, pour s’adonner à sa passion dans la journée et, trois ou quatre fois par mois, il prenait sa besace et son courage à deux mains, quittait sa maison et sa femme, et partait à travers la vaste Chine. Il voyageait en train le plus souvent, toujours seul, affrontant les pires difficultés pour atteindre des lieux reculés (sauf le Tibet et la Mongolie) et y dénicher son bonheur : des petits souliers. Au fil des ans, il se fit connaître par le bouche à oreille. Il est ainsi parvenu à acquérir environ un millier de paires de petites chaussures, constituant la troisième collection du monde pour la qualité de ses pièces. Ses motivations ? « Je l’ai fait pour conserver la tradition et ne pas oublier le passé, dit-il, car ce sont des symboles du système féodal chinois ». Les petits souliers chinois étaient confectionnés autrefois pour servir de chaussures à des femmes dont les pieds avaient été comprimés par bandage dès leur plus jeune âge. À deux ou trois ans, leurs pieds étaient déformés, atrocement mutilés en fait, selon une technique très ancienne.

« C’était humiliant pour elles, mais à l'époque, dans les classes riches, c’était aussi un signe de reconnaissance sociale, un critère de beauté et un moyen d’accroître le désir sexuel masculin. » Les femmes restaient à la maison, sans activité sociale, exclusivement au service de leur époux. Les pieds serrés dans ces chaussures minuscules, elles pouvaient à peine sortir de chez elles et ne marchaient dans la rue que lentement et toujours à la recherche d’un impossible équilibre, tels des oiseaux blessés.

Aujourd’hui, cette tradition étrange et barbare a disparu, mais les chaussures restent dans les armoires des familles chinoises. Les rayonnages du modeste salon de Monsieur Rong sont remplis de ces pièces d’une grande rareté. Les unes recouvertes de soie colorée et brodée, les autres de coton, de laine ou de cuir. Les dessins d’une exquise finesse étaient réalisés par des artistes pour marquer les grandes occasions (fiançailles, mariage). Chaque paire véhicule une histoire particulière. Les chaussures les plus anciennes datent du XVIIe siècle. Attention aux copies que vendent les antiquaires de Shanghai, vous dira-t-il. Elles sont très bien faites, mais ce sont des fausses. Les vraies valent des sommes astronomiques. Vous comprendrez pourquoi on n’entre pas dans le salon-musée de Monsieur Rong comme dans un moulin… Avant de partir, il m’avoue que n’ayant pas d’héritiers, il pense vendre sa collection et prendre sa retraite. « Je préfère que mes trésors restent en Chine plutôt que de les voir acheter par un étranger et partir vers l’Europe ou les États-Unis. »

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Texte : Olivier Page avec l’aide de Marie Page

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