Sainte-Hélène, une île de légende
Arrivée à Sainte-Hélène
Le temps s’écoule autrement. Je retrouve ce que j’ai tant aimé à bord du Transsibérien. Rien de concret, quelques repères, un espace-refuge, de la déambulation, la contemplation de l’immensité. Pas un bateau en vue, pas une côte, pas même un gros poisson. Rien, l’eau, l’écume, agitée en permanence de soubresauts. À certaines heures, la lumière du soleil rend l’étendue irréelle. Nous voici sous les tropiques, le ciel est blanc, la chaleur humide.
Très tôt le matin, l’impensable arrive enfin. Après quatre jours et cinq nuits de traversée, la silhouette de l’île se dessine à l’horizon et je pense à Chateaubriand qui la décrivait comme un « catafalque de rochers ». Nous débarquons, au milieu de l’Atlantique, sur cette terre improbable qu’un navigateur portugais égaré découvrit en 1502. Je n’oublierai jamais les premières lumières de Jamestown perçant à peine dans la brume. L’aube éclaire très lentement les immenses falaises. Le pont se remplit peu à peu, à ma droite une femme pleure, elle revoit pour la première fois depuis 43 ans l’île où elle est née, son mari la serre bien fort dans ses bras. Le RMS fait presque du surplace, contournant avec solennité les sommets hérissés de murailles. Le phare de Jamestown brille encore dans la nuit qui finit. Il y a deux ou trois siècles, un marin aurait crié : « Terre ! »
Je pense à ce que Napoléon ressentit lorsqu’au terme de soixante-quinze jours de traversée, promenant sa lunette en direction de la côte, il eut la même vision. Nous jetons l’ancre. Sur le pont, l’équipage au grand complet hisse le pavillon de l’empire britannique, alors que retentit God Save the Queen. Les passagers quittent le bateau en empruntant une échelle de coupée, ils embarquent sur des chaloupes. Il ne faut pas cinq minutes pour gagner les vieilles marches du quai de Jamestown, les mêmes qui virent l’Empereur rejoindre sa dernière demeure le soir du 17 octobre 1815.
Texte : Bertrand Deschamps
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