Canada : l'Acadie, une Amérique française
Au pays de la Sagouine, le « chiac »
Passé Néguac, les drapeaux canadiens reprennent le dessus. À Miramichi, parler français attire des regards au mieux compatissants. Au pire, méprisants. « Speak white », disait-on jadis aux Acadiens employés chez les notables anglophones. Quelle langue parler ? En grandissant, chaque Néo-Brunswickois semble développer une carte mentale de la province, qui lui permet de savoir où et comment s’adresser à qui…
À Saint-Louis-de-Kent, le français resurgit. À Bouctouche (photo), on visite le village de La Sagouine, l’héroïne de l’écrivaine Antonine Maillet, prix Goncourt 1979 pour Pélagie-la-Charrette — l’odyssée d’une femme acadienne devenue esclave, qui regagne son pays à pied depuis la lointaine Géorgie. Le lieu est attachant. Une dizaine de maisons de pêcheurs colorées et un petit phare se regroupent sur un îlot relié à la terre ferme par une longue passerelle en bois.
Même la cuisine s’inscrivait dans la lutte contre les Anglais. La poutine acadienne ? Des boules de pomme de terre râpée, plongées dans l’eau bouillante. Pour mieux dégoûter les soldats britanniques qui s’invitaient aux tablées… Ce qu’ils ignoraient, c’est que les boules cachaient du bon lard ou du cochon ! Luxe nouveau, on mange désormais la poutine avec de la cassonade, lors des soupers-spectacles redonnant vie à l’Acadie éternelle.
Vers Caraquet, on a un accent français en parlant anglais. À Shédiac, c’est plutôt l’inverse… Certains affirment que le port a donné son nom au chiac, ce drôle de patois qui conjugue à la française les verbes british, qui drop (sème) au coin des phrases des « but », des « cute » et autres « weird »… Le chiac a ses règles. Non, vous ne direz pas : « j’ai coupé mes hairs ». Mais : « j’ai fait une haircut ». Ou, éventuellement : « je m’ai coupé les cheveux ».
Texte : Claude Hervé-Bazin
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