L'histoire de Leonidas Saunier Martins

Me voici convié à partager la soupe familiale à la table d'Eudes R. Martins de Almeida, c'est son nom, et d'écouter cet homme généreux me raconter sa vie. À la fin du repas, après avoir remercié son épouse, professeur de géographie au lycée, je regarde notre hôte qui se donne en spectacle. Debout dans le patio fleuri de sa villa, il chante d'une voix de stentor, la bouche grande ouverte, le regard radieux, la tête levée vers le ciel, les bras tendus comme s'il implorait la descente sur terre de Michel Polnareff et d'Hervé Vilar, deux stars qu'il vénère sans même parler un mot de français. Quel personnage ! Il m'avait dit : « Appelez-moi R. Martins, ça suffit ». Cela donne avec l'accent local : « errré martinnnse ». Qui aurait pensé que cet Amazonien chantant est le fils d'un riche bourgeois parisien ?!

Son père, Leonidas Saunier Martins, un habitant fortuné de la plaine Monceau à Paris, aurait porté un titre de prince. Mais de quelle principauté ? Je n'ai pas approfondi la généalogie de R. Martins, ni vérifié toute cette histoire, c'est pourquoi je parle au conditionnel. Mais il m'a assuré de la véracité des faits. D'origine juive, son père aurait prévu la menace d'une invasion allemande et l'expansion des idées nazies et antisémites en France. Au milieu des années 1930, celui-ci préféra tout vendre, et partir le plus loin possible, s'embarquant pour le Brésil avec femme et enfants (dont Eudes). Il traversa l'océan Atlantique en paquebot, remonta le fleuve Amazone à la vitesse des vapeurs, destination Santarém, dans la province de Parintins, autrement dit un des secteurs les plus isolés de l'Amazonie, à plus de 700 km de Manaus et plus de 800 km de Belém.

Et là, les persécutés d'Europe trouvèrent un refuge sûr. Ils reprirent goût à la vie malgré la douleur de l'exil, découvrirent l'espoir d'une existence meilleure. Ils reconstruisirent leur quotidien et leur maison perdue. La vie recommença, à Santarém, non sans peine, mais loin de la barbarie, très loin du fracas des armes. Comme quoi il n'y a pas en Amazonie que des forestiers et des propriétaires fonciers sans foi ni loi. On y rencontre aussi une belle tranche d'humanité dans un jeune et grand pays en marche. L'Amazonie, lieu de tous les rêves humains, territoire de tous les possibles, n'est-elle pas le symbole même de la Genèse (un réservoir de beauté et d'oxygène) et le Brésil, le pays le plus racialement mélangé de toutes les nations du globe ?

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