Plateforme
Auteur : Michel Houellebecq
Editeur : Flammarion
369 Pages
Événement de la rentrée littéraire, Plateforme, le troisième roman de Michel Houellebecq est la suite logique et impitoyable des Particules élémentaires et de Lanzarote. On retrouve le narrateur désormais familier, Michel, quadragénaire dépressif et désabusé, célibataire volontaire, fidèle lecteur de Hot Video, toujours à la recherche de l’impossible bonheur. Le livre commence par un enterrement, celui du père, victime d’un crime passionnel : « Les enterrements, décidément, c’était mon truc. » Dans Les Particules, Michel enterrait sa mère, sa grand-mère et sa petite amie d’enfance. Ce « tragique de répétition » est récurrent dans l’œuvre de Houellebecq et provoque parfois un effet de drôlerie irrésistible.
Notre anti-héros, fraîchement héritier et orphelin, décide de s’offrir un circuit touristique « Tropic Thaï » chez Nouvelles Frontières : « Prendre l’avion aujourd’hui, quelle que soit la compagnie, quelle que soit la destination, équivaut à être traité comme une merde pendant toute la durée du vol. » À Bangkok, il s’abandonne aux plaisirs du body massage et rencontre Valérie, assistante de Jean-Yves (« responsable produits pour le monde » à Nouvelles Frontières). À son retour à Paris, Michel s’installe avec Valérie, il est enfin heureux : « C’est très rare, dans la vie, d’avoir une seconde chance. » Valérie et Jean-Yves sont alors embauchés par le groupe hôtelier Aurore pour s’occuper d’une chaîne d’hôtels-clubs de plage qui périclite. Malgré leurs efforts, le nombre des réservations continue de chuter. Michel suggère à Valérie une nouvelle formule : « Propose un club où les gens puissent baiser. » Pas entre eux bien sûr, « il doit certainement se passer quelque chose, pour que les Occidentaux n’arrivent plus à coucher ensemble » mais avec les autochtones « qui n’ont plus rien à vendre que leur corps, et leur sexualité intacte ».
Les clubs « Aphrodite » sont promis à un bel avenir quand, lors de l’inauguration du premier club à Krabi en Thaïlande, un commando de terroristes musulmans commet un attentat meurtrier, venant mettre fin brutalement à ce business prometteur de tourisme sexuel organisé. Valérie meurt dans les bras de Michel. Ce dernier, inconsolable, échoue à Pattaya, capitale du sexe marchand, « sorte de cloaque, d’égout terminal où viennent aboutir les résidus variés de la névrose occidentale », renonçant à la vie et au plaisir pour attendre la mort avec une sérénité presque bouddhique. La fin de notre médiocre héros fait penser à celle de Marlon Brando dans « Apocalypse Now », couché nu sur sa paillasse, dans la moiteur tropicale avec ces derniers mots : l’horreur, l’horreur…
Certains verront dans ce nouvel opus de Michel Houellebecq la continuité de son constat de la déliquescence du monde occidental (causée par l’ultra-libéralisme), qu’il avait entamé avec Les Particules élémentaires. D’autres y verront la confirmation d’une œuvre énonçant des points de vue réactionnaires, et aux thèses idéologiques douteuses. Avec Plateforme, Houellebecq enfonce le clou un peu plus loin dans la provocation (un peu trop évidente) et le politiquement incorrect. La polémique annoncée ne sera-t-elle pas convenue ? Sans parler des violentes critiques contre le Routard et ses lecteurs, notons surtout l’apologie du tourisme sexuel, avec laquelle le Routard ne peut pas être d’accord, ainsi que des propos sur les musulmans (entre autres) qui lui vaudront probablement des problèmes. Et toujours ces mêmes interrogations lancinantes : peut-on faire dire n’importe quoi à des personnages de fiction ? Une œuvre de création doit-elle rendre des comptes à la morale ? La jubilation qu’éprouve parfois le lecteur à lire le dernier Houellebecq n’a d’égal que le malaise qui accompagne cette lecture.
Jean-Luc Bitton
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