Vous ne rêvez pas... Cet édifice se trouve bel et bien en France. Et il n'est pas le seul à sortir de l'ordinaire ! Faites connaissance avec ces « folies » qui portent bien leur nom.
À l’origine, les « folies » étaient des maisons de villégiature, construites par les classes aisées aux XVIIIe et XIXe s. Bien vite, le terme a désigné des constructions et des demeures extravagantes, mettant l’imagination au pouvoir.
Certains de ces édifices insolites sont toujours debout en France, issus des rêves de grands seigneurs ou de bourgeois, de passe-temps débridés de retraités et d’ouvriers ou exprimant des messages mystiques de marginaux. Ces œuvres inclassables sont aussi fascinantes que méconnues.
Routard.com a sélectionné les plus déraisonnables : découvrez la France en folies !
Folies, art brut et hors normes
« Tiens, vous aussi vous avez une folie ? », s’exclamait la Pompadour.
Une folie est une maison de villégiature à la mode au XVIIIe s. Son parc se doit de posséder des petits monuments inspirés de l’Antiquité, de la mode italienne ou chinoise : fausses ruines, temples d’amour, nymphées ou grottes de rocailles, glacières, pyramides et tentes tartares… Le goût du paraître et de l’excentrique continue au XIXe siècle dans le milieu bourgeois nouvellement enrichi, comme le montre l’architecture des folies des Pinardiers du Biterrois (34).
Dans un milieu plus défavorisé, des marginaux créent leur propre monde imaginaire. Leur matériau est simple : débris d’assiettes, pierres locales, peinture, plâtre ou béton. Tout est bon pour « embellir la vie » de Ferdinand Cheval, de Raymond Isidore ou de l’abbé Fouré.
Au XXe siècle et dans le même esprit, les mouvements artistiques de l’art brut et de l’art singulier ou hors-les-normes sont menés parallèlement sous la houlette de l’artiste Jean Dubuffet (1901– 1985) et de l’architecte Alain Bourbonnais (1925-1988). Dans la mouvance de leurs œuvres, ces créations sont exécutées par «des personnes indemnes de toute culture artistique »: internés psychiatriques, autodidactes, marginaux…
Malgré la protection de certains sites de l’art brut, beaucoup d’entre eux ont été délaissés, voire dispersés. Ces trésors de l’imaginaire, comme la cathédrale de Linard dans le Cher, devraient être sauvegardés.
1760. Le comte de Choiseul, ministre d’État de Louis XV, ne lésine en rien pour son nouveau château de Chanteloup, près de Tours.
Mais Chanteloup agace Versailles… Disgracié, exilé, Choiseul commande en 1775 à Le Camus une pagode dédiée à ses derniers amis. Sa veuve vendra le domaine, la Révolution fera le reste. La Pagode, sauvée du désastre, est restaurée au XXe siècle par l’architecte René Edouard André et restera dans cette famille.
Le chiffre 7 rôde comme une énigme autour de la construction. 7 étages à la croisée de 7 chemins forestiers. 16 colonnes = 1+6. Un escalier d’entrée à 7 marches… Il n’en faut pas plus pour rechercher des symboles ésotériques.
La montée au sommet est impressionnante, se rétrécissant à chaque étage par un escalier tournant. La vue s’étend par-delà les forêts jusqu’au château royal d’Amboise. Fenêtres et boiseries découpées sont restées intactes.
Située dans un parc avec une grande pièce d’eau, la pagode propose de nombreuses activités pour les familles (collection de jeux anciens en bois, promenade en barque etc…). Il est même possible de déjeuner sur place au bord de l’eau (pique-nique).
En lisière de la forêt de Marly, une tour étrange ouvre ses fenêtres béantes sur un parc en partie restauré.
Que reste-t-il de la folie du chevalier François de Monville (1734-1797), amant de la Du Barry ? En 1774, cet esthète fortuné recherche un lieu champêtre, un « désert » retiré où réaliser un parc paysager anglo-chinois.
D’après les dessins de Le Rouge, sur 40 ha plantés d’espèces rares et exotiques, une vingtaine de fabriques (constructions ornementales) évoquent l’ouverture au monde, thème cher au XVIIIe siècle.
Autour de la colonne « détruite », symbole de la tour de Babel, la Maison chinoise, le Temple de Pan, la Tente tartare et la Glacière sont le cadre de fêtes fastueuses. Les têtes couronnées, dont Marie-Antoinette, mais aussi les présidents américains Franklin et Jefferson, se perdent dans les bosquets.
En 1856, Frédéric Passy, Prix Nobel de la Paix, s’y installe. En 1936, le domaine est à l’abandon. Colette et les Surréalistes s’en émeuvent. Le site est classé monument historique en 1941. Mais les travaux de.sauvetage ne seront entrepris que dans les années 70.
En 2007, la commune de Chambourcy rachète une partie du Désert, restaure la façade cannelée et faussement fissurée de la Colonne détruite. Si la Maison chinoise a disparu, la Tente tartare et le jardin notamment sont à nouveau présents.
Quel curieux hameau que Masgot, au cœur de la Creuse, près de Fransèches !
Ses habitants sont des personnages et des animaux fantastiques… en granit. Renard, aigle, chien, blaireau, chimère, personnages politiques et autres silhouettes hérissent le potager, les murs et les façades des maisons.
François Michaud (1810-1890), paysan-tailleur de pierre, a peuplé son village de statues naïves et poétiques qu’il surnomme ses « marmots ». Dans la lande toute proche, le granit ne manque pas. Son imagination fertile a transformé le puits en temple, la femme en sirène, la ferme en maison de maître.
Michaud s’inspire des journaux locaux, des événements de la capitale où émigrent maçons et tailleurs de pierre de la Creuse pour reconstruire le Paris du baron Haussmann.
Napoléon, Jules Grévy, Marianne sortent pêle-mêle de ses mains. Il transforme son pauvre hameau en une fantasia de la pierre, symbole de ses valeurs et de ses pensées souvent versatiles.
Dures comme le granit, ses sculptures ont traversé les siècles. Un véritable musée à cœur ouvert, à suivre en essayant de comprendre les énigmatiques rébus et inscriptions gravés dans le granit. « Après la mort, il n’y a rien et la mort elle-même n’est rien », inscrit-il en latin sur un reposoir.
Visites libres et audioguides. Stages de taille de la pierre et expositions.
C’est en hectolitres de vin que l’on désignait sous le Second Empire les jeunes filles à marier des pinardiers de Béziers !
Dès l’ouverture de la ligne Bordeaux-Sète en 1857, les vignerons de la plaine biterroise décuplent leur fortune. Mariages et dots unissent les domaines.
S’adressant à la dynastie des architectes bordelais Garros, les grandes familles biterroises font alors construire plus d'une centaine de manoirs ou folies, où elles partent l’été jusqu’aux vendanges puis la chasse.
En contrebas pour se protéger du vent, environnées d’arbres pour leur ombrage, ces folies empruntent les styles les plus curieux. L’amoncellement du néogothique, du néo-médiéval, du néo-Renaissance ou du néoclassique frise parfois le mauvais goût avec des intérieurs surchargés de passementeries, de vitraux et de blasons.
Réparties dans un rayon de 25 km autour de Béziers, les folies des pinardiers, souvent privées, s’observent de l’extérieur. Certaines se sont reconverties en chambre d’hôtes ou en caves vinicoles.
À voir :
- le château de Raissac (www.raissac.com) néoclassique, dans un parc dessiné par les frères Bühler, et ses collections de faïences en trompe-l’œil.
- le château de L'Hermitage de Combas à Servian derrière une muraille crénelée et des lambris blasonnés, actuellement fermé au public. - le domaine du prieuré d’Amilhac (www.prieureamilhac.com) où la cave voûtée voisine avec la chapelle de saint Dominique. - la tour de Saint-Jean d’Aureilhan, donjon de conte de fées à Béziers, près du CHU.
Casquette, moustache et brouette, tels sont les insignes du facteur d’Hauterives dans la Drôme, Joseph-Ferdinand Cheval (1836-1924), plus communément appelé le « Facteur Cheval ».
Né pauvre, il mourra pauvre, après avoir passé 41 ans à édifier deux chefs-d’œuvre de l’architecture naïve.
Chaque matin, Ferdinand entreprend donc sa tournée de 32 km à pied, par la route de Tersanne. En 1879, après avoir buté sur une pierre révélatrice, il commence la construction de ce qui deviendra son Palais idéal, puis de son Tombeau du silence et du repos sans fin où il est enterré.
Sur le chemin, il met de côté des pierres de forme bizarre, qu’il va rechercher le soir avec sa brouette, « fidèle compagne de peine ». Ferdinand tire son inspiration de la Bible, des mythologies hindoue et égyptienne d’après les revues et les cartes postales qui lui passent entre les mains.
Tout un monde imaginaire encadre les messages visionnaires sur les façades. Monument égyptien, temple hindou, géants, momies, mosquée, chalet suisse, maison algérienne, château-fort, temple de la nature avec grottes et animaux…
Le moindre centimètre est modelé, travaillé, empilé de pierres et de fossiles. Un univers fantastique dont les ésotériques se sont volontiers emparé.
« Le travail fut ma seule gloire, l’honneur mon seul bonheur ». À voir une fois dans sa vie.
Les rochers sculptés de Rothéneuf - Ille-et-Vilaine
Non, ce n’est pas un mirage si vous voyez des monstres marins sur le littoral de granit de la côte d’Émeraude, à 5 km au nord-est de Saint-Malo…
En 1895, l’abbé Adolphe Fouré (1839-1910), devenu sourd, se retire à Rothéneuf. Durant une quinzaine d'années, il va sculpter quelque 300 personnages dans des rochers de granit sur 500 m2 de la falaise de la Haie. Ils représentent la lignée des terribles corsaires des Rothéneuf ainsi que des personnages de son époque ou de la région : la guerre du Transvaal, l’actualité coloniale, Jacques Cartier et des saints bretons locaux. A quelques mètres du site principal, à la Pointe du Christ, on peut voir d'autres sculptures, comme celle du Duc de Bretagne.
À l’époque, les sculptures étaient peintes. Des œuvres en bois s’amoncellent aussi dans sa maison de Rothéneuf, que l’on surnomme la « Haute Folie ». Les visiteurs arrivent de Cancale et Paramé en tramway pour voir « l’ermite de Rothéneuf ». C’est la renommée…
En 1907, atteint de mutisme, il arrête de sculpter. Par-delà le temps, les créations de l’abbé Fouré se dégradent. Les sculptures en bois ont disparu.
L’érosion marine, les pluies, les lichens et le passage des 40 000 visiteurs annuels auront-ils raison de ces rochers inamovibles ? Hélas, le site n’est pas classé. Chef d’œuvre en péril…
« Embellir sa vie » fut le rêve de Raymond Isidore (1900-1964), balayeur du cimetière de Chartres.
Sur les hauteurs de Chartres, proches de la cathédrale, une modeste maison cache derrière sa façade un univers imaginaire incroyable fait de débris d’assiettes.
En 1930, Raymond Isidore construit lui-même son petit trois-pièces. Un jour, il ramasse quelques débris d’assiettes, les enfonce dans un mur de béton frais, le transformant en une mosaïque de couleurs. C’est la révélation, un peu comme pour les pierres du Facteur Cheval…
Et bientôt tout y passe, les sols, les murs, le toit, puis l’intérieur, avec le lit, la table, les chaises, le poste de TSF, les pots de fleurs, la machine à coudre, l’armoire de sa femme Adrienne…
Les voisins, moqueurs, lui donnent le surnom de Picassiette pour le Picasso de l’assiette.
Durant 30 ans, il ramasse des millions de débris de vaisselle pour illustrer ses fantasmes. Il représente le Mont-Saint-Michel, la tour Eiffel, sans les avoir jamais vus. La Joconde voisine avec Landru. Il rajoute des dieux et des animaux puis une chapelle et une maison d’été sur le terrain voisin. Et, enfin, le Tombeau de l’Esprit… en bleu.
D’après sa femme, son inspiration venait de ses rêves nocturnes. Raymond Isidore finit dans la folie.
Devenue propriété de la ville de Chartres en 1981, la maison Picassiette fut classée en 1983.
Perdu dans la campagne de la Mayenne, un domaine étrange aux géants monstrueux, raconte l’histoire de Robert Tatin (1902-1983) et de sa femme Liseron.
D’abord charpentier puis formé à de nombreuses activités artistiques, Robert voyage beaucoup avant de créer à Paris son atelier de céramique. S’il fréquente les artistes de l’après-guerre, de Prévert à Cocteau, ce sera l’Amérique Latine qui le révèlera.
À 60 ans, en 1962, il imagine une Maison des Champs qui se veut le carrefour de toutes les civilisations, et s’installe à Cossé-le-Vivien. Travaillant le ciment armé qu’il peint avec sa femme, il édifie 20 statues géantes qui bordent le Chemin des Géants menant au Jardin des Méditations. Rodin, Picasso, Gauguin et le surréaliste André breton figurent parmi ceux-ci.
Deux totems « être » et « avoir » et un dragon de 4 m mènent au musée entouré de hauts murs et de bas-reliefs évoquant l’Orient et l’Occident.
L’immense gueule d’un dragon sert de passage vers la porte du Soleil et le bassin central en forme de croix d’où émerge Notre-Dame-Tout-le-Monde. On contourne le bassin dans le sens de la rotation terrestre, pour atteindre les escaliers qui montent vers le ciel et le déambulatoire où sont exposées les autres œuvres de Robert Tatin : céramiques, peintures, dessins, aquarelles.
La Frénouse, maison où ils habitaient, côtoie au milieu des massifs fleuris cet univers onirique hors normes. Le tombeau de Liseron et Robert Tatin se trouve parmi les sculptures du jardin.
Le film vidéo de l’accueil est particulièrement intéressant.
Au Petit Paris, lisait-on dans les années 50 sur l’enseigne du discret magasin de confection tenu par Marcel Dhièvre (1898-1977) à Saint-Dizier.
En 1922, Marcel achète cette maison entourée de voyottes, ruelles du vieux quartier de la Noue. Cet homme renfermé, paralysé de la main droite, tient, avec sa femme, le magasin de bonneterie. Juste de quoi vivre...
La rencontre du peintre décorateur Radici lui fait découvrir un autre univers. À l’instar de la maison Picassiette, il commence par recouvrir son enseigne de débris d’assiettes. Puis des médaillons représentant les monuments de Paris.
À sa retraite, il continue à peindre avec des couleurs vives, principalement jaune, bleu et brun. Il recouvre les volets, la porte et bientôt les murs et la cour de motifs végétaux miniaturisés – faute de place – animés d’écureuils, d’oiseaux, de libellules.
Il travaille sans relâche, parfois même la nuit, réalisant aussi des tableaux d’art. Et l’on vient de partout pour admirer les fresques réalisées sur 80 m2 par Marcel Dhièvre au 478, avenue de la République à Saint-Dizier…
Dégradé après la mort de l’artiste, Le Petit Paris fut préservé par la propriétaire de la maison, inscrit à l’Inventaire en 1984, et enfin heureusement restauré par Renaud Drubigny. Il abrite désormais un bar culturel. Une merveille de l’art brut.
Dicy, village de l’Yonne, cache un secret insolite sous ses toits bourguignons : les collections de l’architecte Alain Bourbonnais (1925-1988).
Ce musée est consacré à un art hors-les-normes, terme qui veut se différencier de celui de l’art brut, inventé par l’artiste Jean Dubuffet en 1945. Un art dont la sensibilité se transmet directement de l’inspiration à l’artiste et de l’artiste au « voyeur ». Les créations, personnelles et singulières, ne s'inscrivent dans aucune tradition artistiques, bien qu'elles soient apparentées à l'art brut.
Commençons par le jardin. Autour de l’étang, un monde, naïf et coloré, ouvre ses portes à des créatures étranges et farfelues. Métamorphoser son univers quotidien en un lieu extraordinaire est bien l’idée qui semble inspirer le vacher Petit Pierre, rejeté par la société.
Un manège fait de bric et de broc et une tour Eiffel s’animent sous vos yeux ébahis. Sur fond de mur rouge signé Bourbonnais, Vidal crée un monde plantureux où l’on reconnaît Adam et Ève, Clemenceau au bras de Churchill…
À l’intérieur, les galeries-tunnels et les greniers ont été conçus par Bourbonnais. Le guide, nécessaire à la compréhension, explique aussi la vie marginale de ces bricoleurs géniaux : les meubles collés et peints dont l’ouvrier Podestà décorait son appartement HLM, les mécaniques en bois du paysan aveugle Ratier, les masques brodés de Lortet, les épluchures peintes de Dereux, entre autres. On frissonne devant les sombres Mauricettes de Marshall. On exulte devant les Turbulents de Bourbonnais.