Elles sont quatre, non, cinq îles, flottant au large de la côte méditerranéenne espagnole, égrenées sur près de 280 km, du nord (Minorque) au sud (Formentera). Entre les deux : la citadelle rocheuse de Majorque, où siège la belle Palma et court la très enlevée Serra de Tramuntana ; la petite Cabrera (réserve naturelle) et la célèbre Ibiza des fiestas.
Autant de visages différents et complémentaires, aux identités marquées, qui déclinent une fantastique collection de calas (calanques), de falaises, de garrigue et de pinèdes, de vieux villages perchés et de monastères, de plantations d’orangers et d’amandiers, de vignes et d’oliviers.
Carte postale ? Assurément. Cela n’empêche pas les (bonnes) surprises : une crique quasi secrète, une rando sauvage, des monuments mégalithiques dont on ignorait jusqu’à l’existence, des églises et cathédrales grandioses modelées par l’empreinte du gothique catalan, des fermes presque millénaires héritées des colons arabes, des étendues naturelles préservées, des salines, des flamants roses… Les Baléares, on adore !
Des Gymnésies (les Grandes Baléares), au nord, Majorque est assurément la plus grande (3 640 km2) : elle couvre presque les trois quarts de l’archipel à elle seule. Côté sud, Palma de Mallorca, capitale de la région autonome, s’amarre à l’extrémité d’une longue baie sablonneuse portant son nom — avec aquarium et quartiers balnéaires tentaculaires. Si son port est très fréquenté, notamment par les croisiéristes, Palma n’en est pas moins une grande ville historique, parmi les plus élégantes d’Espagne.
Du front de mer souligné de palmiers et de jardins, se dessinent les murs ocre jaune du casco antiguo, aux ruelles labyrinthiques. Au premier plan : la grande cathédrale gothique, splendide, et le palais de l’Almudaina, d’où régnèrent jadis les gouverneurs maures et où séjourne encore le roi (partiellement ouvert au public). Derrière : un méli-mélo de palais baroques s’ouvrant sur des patios envahis de plantes vertes — certains occupés par de superbes musées — et les vestiges de bains arabes.
Le centre historique, grouillant de bars à tapas et bons petits restos, possède aussi de beaux édifices modernistes (l’Art Nouveau catalan). Côté ouest, la star se nomme Llotja : une ancienne bourse de commerce du XVe s, aux colonnes gothiques torsadées formant une voûte en palmiers. Exceptionnel.
Dominant la baie par l’ouest, le château de Bellver (XIVe s), entouré de pins et de cactus, est inhabituellement… rond ! Plus loin encore, la Fundació Miró regroupe l’ancienne demeure et l’atelier du peintre surréaliste, conservés en l’état, et un centre d’exposition moderne.
Majorque : la Serra de Tramuntana
Soulignant la côte ouest de Majorque sur près de 90 km, cette chaîne de montagnes culmine à 1 445 m au puig Major, à tout juste 4 km de la mer ! Ponctuée de villages perchés de pierre ocre, elle s’abime en Méditerranée en falaises nappées de pins. C’est beau, très beau, magnifique même. L’ensemble de la région a d’ailleurs été classé Patrimoine mondial, tant pour ses richesses naturelles que culturelles.
Exceptées de rares transversales, une unique route collectionnant les virages remonte au long de la côte, sans jamais vraiment la longer. Quelques embranchements s’en échappent, tortillonnant jusqu’à des criques discrètes où dodelinent des barques et s’endorment de vieilles bâtisses. Ainsi à Sant Elm, à Port des Canonge, au port de Valldemosa, à Cala Tuent, à la célèbre Cala de sa Calobra, dont la plagette de sable et de galets mêlés, baignée d’eaux turquoise, se livre à la sortie d’un étroit tunnel piéton…
Seule agglomération côtière, le Port de Sóller, devenu balnéaire, épouse une baie profonde et parfaitement dessinée. Un vieux tram en remonte jusqu’à la délicieuse petite ville de Sóller, nichée dans une cuvette entourée de montagnes et plantée d’agrumes odorants. On peut aussi, d’ailleurs, s’y rendre par le rail depuis Palma, en traversant toute la Serra : un superbe voyage d’1h, à petit train (rétro).
La Serra de Tramuntana, ce sont aussi les vignes de Banyalbufar perchées en terrasses au-dessus du grand bleu, Valledemosa et sa chartreuse où hivernèrent Chopin et George Sand, l’adorable bourgade artistique de Deià, les vieux villages de Biniaraix, Fornalutx et Orient, la ferme millénaire et les délicieux jardins de l’Alfàbia, le monastère de Lluc… et un nombre inconcevable de belvédères.
Majorque : le cap de Formentor
Au nord, la Serra de Tramuntana perd un peu de son intensité. Le port de Pollença, épousant une baie profonde et sablonneuse délimitée par l’encore sauvage cap des Pinar, est autrement plus urbanisée. On passe rapidement, pour attaquer les circonvolutions de la route du cap de Formentor. Ce long doigt de roche, marquant l’extrémité nord de Majorque, domine la mer de plus de 300 m. Les panoramas sont par endroits époustouflants.
Le mirador d’es Colomer est un classique, avec sa vue plongeante vertigineuse sur la pointe de la Nau et l’ilôt de Colomer. Plus haut encore, le point de vue de l’Atalaia d’Albercutx, atteint par une série d’épingles à cheveux joueuses (chauffeurs timorés s’abstenir !), est encore plus fou. De là, le regard porte, à 360°, sur le chaos de rochers, de falaises et de crêtes de la péninsule.
Entre pinède et eaux turquoise, la platja de Formentor est jolie, mais logiquement surpeuplée. Son palace, bâti dans les années 1930, a vu défiler bien du beau monde, Agatha Christie et Charlie Chaplin aux premières loges. Autrement plus discrète, la cala Murta se réserve aux marcheurs. Idem, côté opposé, pour la cala Figuera, aux eaux limpides mais tout aussi caillouteuse, où se nichent quelques hangars à barques.
Enfin, la route bute sur le phare de Formentor, dressé dans son splendide isolement minéral. Les oiseaux de mer glissent dans le ciel et le regard, dos aux drapés bleutés des successions de falaises, se tourne vers Minorque, loin au large. Un grand classique à l’heure du coucher de soleil.
Majorque : des villages de l’intérieur aux calas de la côte orientale
Le cœur de Majorque est occupé par une vaste plaine d’où émergent quelques puigs (hautes collines) coiffés de vieux sanctuaires (Cura, Sant Salvador, Bonany…). À leur pied s’étend un patchwork de champs et de vergers à la terre orangée, piquetés de ruines de moulins à vent, alternant vert argenté des oliviers et moutonnement blanc des amandiers en fleurs en février. Quelques marchés y attirent foule, notamment, le mercredi, celui de Sineu, connu pour ses caves aux foudres géants aménagées en restaurants.
Au nord, sur les flancs de l’immense baie d’Alcúdia et au-delà, les zones humides du parc naturel de s’Albufera et les côtes sauvages du parc naturel de la Péninsule de Llevant dessinent de précieuses parenthèses de nature. Les premières sont fréquentées par de nombreux oiseaux migrateurs, les secondes ponctuées de criques et plages secrètes accessibles uniquement à pied (superbe S’Arenalet d’Albarca). Dans les terres, les vieux villages d’Artà et Capdepera (château) font d’excellentes bases arrières.
La côte orientale de Majorque, adossée à la Serra de Llevant (peu marquée) est essentiellement balnéaire. Si les plages de sable urbanisées dominent, quelques perles subsistent, échappant au béton. Pour les trouver, lire notre dossier « Baléares : quelle île choisir ? ».
Dans le coin, les grottes abondent, avec leurs stalactites XXL, stalagmites, draperies et autres orgues. Des sons et lumière plus ou moins réussis sont proposés aux Coves d’Artà, del Drach et del Hams.
Cabrera : l’illustre inconnue
Avec 11,5 km2, Cabrera est la plus grande île inhabitée de Méditerranée. Ce n’est certes pas la Corse, mais il y a là bien de quoi s’ébattre. À 10 milles nautiques de la côte sud-est de Majorque, elle est accessible à la belle saison depuis la station balnéaire de Colònia de Sant Jordi (www.excursionscabrera.es). On peut même y passer la nuit, dans d’anciennes installations militaires transformées en auberge (simple) !
Dès le XIVe s, une forteresse-vigie fut élevée ici pour prévenir les attaques des barbaresques sur Majorque. Les pauvres soldats postés sur place n’en menaient pas large : le bastion, en nid d’aigle, a été détruit une dizaine de fois au fil des siècles ! Du port, un sentier se hisse en 30 mn jusqu’à ses vestiges bien restaurés. Outre le panorama à 360°, on y découvre une étrange inscription : « Fleury Grapain, prisonnier en 1809 et 1810 ». C’est l’un des 9 000 soldats napoléoniens capturés durant la campagne d’Espagne, puis entassés sur l’île devenue prison, qui la grava. Affamés, sans eau ni abri, seuls 3 600 d’entre eux survécurent.
Un autre itinéraire mène au museu Etnografìc Es Celler (histoire et écologie aussi), auprès duquel se dresse d’ailleurs un monument à la mémoire des soldats napoléoniens morts ici en captivité.
Démilitarisée en 1986, Cabrera est devenue parc national en 1991. Outre l’île et les îlots voisins, celui-ci englobe de vastes fonds marins préservés, où l’on croise mérous et poulpes (apportez masque et tuba !). On y visite aussi (en bateau) la Cueva Azul (Grotte Bleue). Cerise sur le gâteau : les criques et plage(tte)s !
Minorque : platjas et calas
Deuxième de l’archipel par la taille (702 km2), Minorque est à la fois la plus septentrionale et la plus tranquille des îles Baléares. Réserve mondiale de la biosphère, elle oppose deux côtes bien différentes.
Le nord, agité et presque partout rocailleux, est souligné de falaises sauvages et de péninsules elles aussi très iodées (caps de Cavallería, de Faváritx). De rares parenthèses aux eaux calmes s’y dessinent, notamment autour de la baie de Fornells, petit port de pêche à la langouste tout blanc et porte d’accès à la Reserva marina del Nord de Menorca (plongée). De loin en loin, de belles calas sauvages au sable souvent roux émaillent le littoral : ainsi à Cavallería, à Binimel.là, à Pregonda, à la Cala d’el Pilar, à Algaiarens… Au nord-est, le parc naturel de s’Albufera d’es Grau englobe une belle lagune préservée.
Au centre, la terre rouge se couvre d’oliviers, de caroubiers, de murets de pierre et de larges fincas (domaines) souvent transformées en agroturismos de luxe. Quelques collines plus élevées que la moyenne s’y coiffent de sanctuaires (comme le Monte Toro) ou de châteaux en ruines (comme Santa Agueda). Plus étonnant : les navetas (des tombes circulaires collectives) et les villages cyclopéens de l’Âge du Bronze.
La côte sud, elle aussi en partie bardée de falaises, offre pourtant un visage plus doux. Les pistes et petites routes cabossées s’y glissent jusqu’à des criques tantôt investies de petites stations balnéaires, tantôt sauvages, enrobées de pinèdes et baignées d’eaux émeraude. Les plus belles, au sud-ouest, se découvrent à pied.
Minorque : de Maó à Ciutadella
Les deux principales agglomérations de Minorque s’implantent à ses extrémités.
Tout à l’ouest, Ciutadella est la plus belle des deux. Grandie sur les flancs d’un port épousant l’écharde d’une calanque, cette petite ville a taille humaine a connu son âge d’or aux XVIIe et XVIIIe s. L’opulence de jadis s’y manifeste encore à travers une superbe unité architecturale, mise en valeur par deux grandes places jumelles : S’Explanada (ombragée de pins) et la plaça d’es Born, encadrée par le fier Hôtel de ville et deux vénérables palais. D’autres ponctuent les rues menant à la belle cathédrale gothique (XIVe s).
Autour du 24 juin, les très pittoresques festes de Sant Joan (la Saint-Jean) rejouent l’histoire lors de colcadas (cavalcades) mettant en scène une junte de cavaliers aux chevaux noirs représentant les trois ordres anciens — une manière de rappeler l’importance à Minorque de la tradition équestre, également démontrée par les spectacles de dressage proposés en saison par l’école du haras de Son Martorellet (près de Ferreries).
Tout à l’est, Maó (Mahon en castillan) s’étage tout au fond d’une baie étroite et très profonde, sous la surveillance de la puissante Forteresse de La Mola.
La situation, parmi les plus sûres de Méditerranée occidentale, poussa les Britanniques à y installer un grand port de guerre, après avoir raflé l’île au traité d’Utrecht, en 1713. Ils y demeurèrent près de 70 ans, laissant en héritage leur goût pour les bow-windows, le gin (on l’y distille toujours) et quelques mots qui émaillent encore le vocabulaire local…
Ibiza : la vieille Eivissa
Au sud, plus proches de la côte de Communauté valencienne que de la Catalogne, Ibiza, Formentera et les îlots rocheux qui les séparent forment le micro-archipel des Pitiüses (les Petites Baléares).
On s’attend à découvrir une brochette de boîtes de nuit et on tombe nez à nez avec un centre historique classé au Patrimoine mondial ! Eh oui, Eivissa(ville) a une belle gueule. On s’y endort à l’aube, tant les bars colonisent toutes les places et les ruelles, mais cela n’enlève rien au charme de Dalt Villa, ce colossal promontoire dominant le port, habité depuis… 2 600 ans ! Franchissant les puissants remparts, on y avale des ruelles et des escaliers fleuris de bougainvillées pour rejoindre, tout en haut, une belle cathédrale gothique, des palais à gogo et un ancien château qui devrait bientôt devenir hôtel de luxe.
Renforcée au XVIe s par des architectes italiens sur ordre de Charles Quint, Dalt Villa forme un parallépipède à 7 côtés ponctué d’autant de baluards (bastions) et percé de seulement 3 puissantes portes (2 à l’origine) et un discret escalier souterrain. Une des plus belles places fortes de Méditerranée !
Les panoramas, naturellement, sont spectaculaires. Du bastion de Santa Llúcia d’abord : le port à droite, les murailles et la vieille ville étagée à gauche. Du parvis arrière de la fraîche église de Sant Domènec : sur le vieux quartier des pêcheurs de Sa Penya. Puis du chemin de ronde, très pentu, qui contourne tout l’arrière de Dalt Villa, dominant la mer, la côte sauvage et une crête coiffée de vieux moulins en ruines.
Ibiza : au-delà des boîtes…
Les Anglais parlent de beach hopping : où comment collectionner les plages, par sauts de puce. Le passe-temps favori des Ibizencos (le week-end) comme des touristes. Des criques entaillent partout les côtes rocheuses, en alternance avec des falaises par endroits très impressionnantes. Au sud-ouest, près de la Cala d’Hort, elles offrent un mirador imprenable sur le pain de sucre de l’îlot d’Es Vedra, surgissant des flots (382 m). Idem au nord-ouest, du côté des Puertas del Cielo, dans un recoin isolé et serein.
Ibiza, île bosselée, cache un cœur tendre de champs à la terre orangée, d’oliveraies, de vignes, de caroubiers, de vallons secrets et de villages campagnards plus ou moins touristiques. Ici aussi, on peut résider dans des agroturismos de (grand) luxe (aux prix météoritiques !).
Emblématiques de l’île, les églises fortifiées, où la population se regroupait lors des invasions pirates, dominent souvent les vieux villages blancs. Les plus belles sont à Sant Jordi, Sant Josep de sa Talaia, Sant Miquel de Balansat, Sant Joan de Labritja. Près d’Eivissa, celle de Jesús cache un trésor : un exceptionnel retable de l’école valencienne datant de 1503.
Au sud, passé l’aéroport, il y a aussi le vaste patchwork rosé des Salines, encadrant une petite route menant à la très belle plage éponyme. On peut (notamment) y observer des flamants roses et des échasses. Le secteur, réserve naturelle et réserve de la biosphère, englobe de vastes herbiers de posidonies (des algues) s’étendant entre la côte sud d’Ibiza et le littoral nord de Formentera : un bastion de biodiversité.
Formentera : l’île des pins
Chaque jour, des dizaines de ferries traversent le détroit séparant Ibiza de Formentera, cinglant au plus près d’une flottille d’îlots rocheux déserts, avant de frôler les langues de sable de l’ilha S’Espalmador.
Beaucoup ne viennent que pour la journée et, surtout, pour la reine des plages locales : Ses Illetes. Courant au flanc occidental d’une longue péninsule broussailleuse, elle est assurément la plus belle des Baléares, adossée à de courtes dunes où fleurissent les lys des sables. Si belle que, l’été venu, l’accès routier est souvent fermé dès 11h, tant l’affluence est grande… Reste alors, au dos de la péninsule, sa jumelle : la platja de Llevant. En chemin, le patchwork des anciennes salines oscille entre le gris et le rose laiteux.
Reliant le port et les 3 principaux villages, une unique grande route traverse l’île d’ouest en est ; dans les champs encadrés de murets de pierre, se dressent d’étranges figuiers aux ramures étalées. Une multitude de pistes s’échappe de cet axe, menant au sud (vers Migjorn notamment) à des bouts de calas plus ou moins sableuses où s’oublie souvent un chiringuito — ou un vrai bon restaurant de poisson.
Tout à l’est, la carretera s’incurve et grimpe à travers une épaisse pinède sur un haut plateau venteux. Passe le village d’el Pilar de La Mola, puis un vieux moulin restauré, avant que le goudron ne butte sur une falaise plantée d’un phare à la position assurément panoramique. Un autre se dresse tout au sud-ouest de l’île, au cap de Barbaria, atteint à pied (en 25-30 mn depuis le parking, sans ombre).