Sophie et Florent – Le voyage de Maupiti en Atlantique
Une transatlantique en 2012, c’est une aventure de 8 mois que Sophie et Florent ont souhaité faire en bateau. Une vie confinée au milieu de l’océan, des navigateurs et des plongeurs hors-pairs, ils ont pu faire des rencontres incroyables notamment avec toute une bande de raies mobula ! Ils vous racontent leur vie à bord de Maupiti !
Pourquoi se lancer dans l’aventure d’un voyage comme une transatlantique ?
Pour Sophie et moi, c'était un projet qui ne sortait pas de nulle part : nous avons toujours beaucoup navigué, d'abord chacun de notre côté, puis ensemble.
Nous étions moniteurs de voile l'été sur des bateaux de croisière, nous avons fait pas mal de régates ensemble l'hiver, ainsi que des croisières.
Ensuite de mon côté, j'avais goûté au voyage au long cours en bateau en 2003 : nous avions embarqué avec deux amis sur un voilier reliant Nice aux Seychelles, en tant qu'équipiers. Ce voyage de 6 semaines m'avait beaucoup marqué, et j'avais toujours gardé en tête de recommencer un jour.
Enfin nous avons le goût des voyages, et arriver dans de nouveaux pays par ses propres moyens est un sentiment assez unique.
Bon après, pour mettre de côté le travail, poser son année sabbatique et vraiment partir, il faut souvent une circonstance particulière : de mon côté ça a été une possibilité de faire une pause professionnelle entre deux jobs qui a déclenché le mouvement. J'ai dû ensuite convaincre Sophie, challenge majeur ! Mais ça n'a pas été trop difficile heureusement.
Une fois la décision prise de partir, j'ai étudié toutes les possibilités qui s'offraient à nous dans le temps imparti (environ 8 mois).
Faire un tour du monde en voilier est un beau rêve, mais il faut compter autour de 3 ans si on veut faire quelques escales et ne pas faire que des traversées bout à bout !
Au départ j'aurais voulu aller vers le Brésil, mais les saisons ne convenaient pas, et le retour en France est assez compliqué et long en raisons de vents contraires.
Finalement c'est une boucle dans l'atlantique nord qui s'est imposée comme le bon équilibre, et qui tenait dans notre timing : Bretagne, Espagne, Portugal, Canaries, Cap Vert, transatlantique vers les Grenadines, puis remontée de l'arc antillais (Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthelemy), jusqu'aux îles vierges britanniques. Ensuite, remontée vers les Bermudes, puis transat retour vers les Açores, et, enfin, retour en France.
Au total, nous avons passé un peu moins de 3 mois en mer à naviguer, et le reste dans nos différentes escales.
Une aventure de cette sorte se prépare combien de temps à l’avance ?
Pour nous ça a été très vite : nous avons pris la décision de partir en juin 2011, et nous avons largué les amarres le 28 décembre 2011, donc 6 mois plus tard.
C'est un timing très court pour un projet comme celui-ci, car à l'époque nous n'avions pas encore de bateau ! Nous avons eu la chance de trouver très vite le voilier qu'il nous fallait, un OVNI 36 de 12 m, tout en aluminium. Nous l'avons visité en juillet, et en septembre nous le remontions de Vendée en Bretagne, d'où nous comptions partir.
Nous sommes partis assez tard en saison (décembre), normalement cette boucle Atlantique se fait en partant l'été, ce qui est plus clément. Notre descente de l'Europe a été un peu frisquette !
Quels ont été les préparatifs pour mener à bien votre périple ? Parcours, planning…
Il y a eu beaucoup de préparatifs ! Identifier le type de bateau qu'il nous fallait, puis le trouver, tout en dressant le parcours que nous pouvions faire.
Puis poser nos congés sabbatiques, ce qui n'a pas été compliqué pour nous, Sophie faisant du conseil où c'est plutôt accepté, et moi ayant la possibilité de le faire en raison d'un changement de job au sein de mon entreprise.
Ensuite, il a fallu préparer le bateau, même si c'était déjà un bateau de grand voyage, et que son précédent propriétaire nous l'avait laissé très équipé et dans un état excellent.
Nous avons surtout ajouté de l'électronique, avec un AIS qui permet de voir tous les cargos qui nous entourent, un iPad que nous utilisions pour naviguer, un téléphone satellite qui capte en pleine mer, en cas d'urgence et pour récupérer des petits fichiers météo quand on est loin des côtes...
Même si nous naviguions depuis longtemps, il a fallu nous former, notamment sur les systèmes météo que nous allions croiser, ce qui s'est fait au fur et à mesure que nous avons dressé notre parcours. Il faut savoir à quel moment passer dans telle ou telle zone : par exemple il faut éviter de traverser l'Atlantique vers les Antilles entre juillet et octobre, car il y a un risque de croiser un cyclone : ce sont des infos plutôt importantes quand on navigue sur un bateau de 12 m !
Question sécurité, que faut-il avoir comme trousse de premiers secours ? Avez-vous suivi une formation particulière pour répondre à un cas de force majeur ?
Alors, je ne pourrais pas vous détailler toute notre trousse, mais c'était deux sacs entiers de médicaments !
Nous avons suivi une excellente formation de 2 jours sur la médecine en milieu isolé, une sorte d'AFPS en plus costaud, qui donnait vraiment des techniques avancées en cas de gros problème en mer. En effet, au cours d'une traversée, il est possible d'avoir à attendre plusieurs jours avant d'arriver à un hôpital, car on sort vite de la zone d'intervention des hélicoptères. Ensuite, en cas de gros pépin, on peut faire dérouter un cargo qui vous achemine vers un port, mais c'est encore assez long. Et par nos propres moyens, à titre d'exemple, nous avons mis 19 jours pour faire Cap-Vert - Grenadines, donc on se trouve à un moment donné à plus d'une semaine de chaque côté (et puis impossible de faire machine arrière quand on a le vent dans le dos...).
Dans cette formation, nous avons reçu une liste de médicaments très complète, qui allaient jusqu'à la morphine, ou des antibiotiques très puissants, des médicaments que nous n'aurions utilisés qu'avec un avis médical.
En effet, le CHU de Toulouse a un service qui permet aux marins de les appeler en cas d'urgence (avec téléphone satellite), et d'avoir rapidement un médecin au bout du fil. Nous avions monté un dossier que nous avons fait parvenir à ce CHU, en leur donnant nos profils, notre liste de médicaments, notre parcours, etc. Heureusement, nous n'avons pas eu à nous en servir, mais en cas de besoin, nous aurions pu parler à un médecin même au milieu de l'Atlantique.
Pendant cette formation, nous avons pu recoudre des pieds de cochon et faire des intraveineuses à des pamplemousses pour nous entraîner, c'était sympa !
Comment avez-vous budgété vos dépenses et par quel mode de financement ?
Nous avons dressé un budget complet de l'intégralité des dépenses de nos vies, et pas seulement de notre projet, sur une année. C'était un beau fichier excel, nous ne l'avons plus jamais fait aussi précisément depuis :-)
Pour le bateau, nous avons emprunté la grande majorité, ce qui a été un chantier en soit, un bateau n'étant pas soumis aux mêmes règles d'emprunt que l'immobilier. Cela complique un peu les choses, mais nous y sommes finalement arrivés, avec un remboursement de l'emprunt qui démarrait en décalé : nous avons commencé à rembourser au moment où nous avons recommencé à travailler et où nous salaires ont repris, en septembre 2012.
Comment avez-vous sélectionné votre bagage idéal (sac à dos, vêtements, matériel spécial ultra-léger…) ?
Un grand avantage d'un voilier est l'espace disponible pour ranger des choses, surtout à deux !
Nous avions énormément d'équipement, d'abord celui du bateau (voiles, bouts, trousse à outils, bidon d'eau, de fioul, annexe, matériel de sécurité...).
Ensuite, pour nous, beaucoup de vêtements pour différentes saisons (hiver en Europe, climat tropical aux Antilles...), une bibliothèque fournie, deux planches de surfs, des palmes et masques, du matériel de pêche (le seul point noir de notre voyage : échec total !)... Nous n'étions pas vraiment limités dans ce domaine.
Comment votre entourage personnel et professionnel a-t-il réagi ?
Nous l'avons d'abord annoncé à nos parents respectifs, avec un peu d'appréhension, mais ils ont très bien réagi !
Ils ont vu que c'était un projet important pour nous, mais également réfléchi, malgré la rapidité de sa mise en œuvre : nous n'avons pas fait une croix sur nos carrières, nous avions une certaine expérience de la mer (même si c'est très relatif quand on navigue au large), nous avions une date de retour, etc.
À votre retour en France, avez-vous eu des difficultés à vous remettre dans le train-train quotidien ?
C'est la question qu'on nous pose le plus !
Finalement ça n'a pas été si dur, pour plusieurs raisons : nous avons repris très rapidement des jobs un peu différents de ceux que nous avions à notre départ (nouveau job pour moi, nouvelle mission pour Sophie), ce qui évite de trop cogiter et de se laisser gagner par la nostalgie, ce qui aurait évidemment été le cas pour ma part si j'avais dû passer plusieurs mois à chercher du travail.
Ensuite, une expérience comme celle-ci, même si c'est globalement absolument génial, ça n'est pas toujours de tout repos, on vit malgré tout dans un espace confiné pendant 8 mois, avec de longues (très longues) traversées qui peuvent parfois être monotones, ou dures en cas de gros coup de vent, ce qui nous est arrivé sur la transat retour.
Au final, nous étions contents de retrouver une forme de confort et de sécurité : ne pas avoir besoin de regarder la météo tous les jours pour savoir à quelle sauce on allait être mangés était un vrai soulagement !
Qu’avez-vous retiré de cette expérience ?
Pour moi c'est un vrai marqueur dans une vie. On apprend à mieux se connaître, à mieux connaître l'autre. On découvre des espaces immenses, la nature sauvage (bancs de dauphins devant l'étrave, des baleines qui nous suivaient et passaient sous le bateau au large des Açores...), des nouveaux pays (ça a été surtout des îles pour nous !). On réalise un rêve, et ça c'est quelque chose d'assez important je pense, en tous cas pour moi : la satiété, le calme qui suit le fait d'avoir réalisé l'un des rêves de sa vie.
Enfin, on apprend à mieux apprécier nos vies au retour : la proximité de nos proches, le confort de la vie moderne, la beauté de la côte française... des choses auxquelles on s'était peut-être habitués, et qui sont ravivées par cette période d'éloignement.
Quels sont vos coups de cœur ?
Alors dans l'ordre du trajet, une sélection un peu erratique d'endroits que nous avons aimés (on pourrait y passer longtemps !) :
Baiona, petite ville portuaire à la frontière de l’Espagne et du Portugal, un bijou (tapas à tomber !).
Graciosa, petite île perdue tout au nord des Canaries, juste au-dessus des immenses falaises rouges de l'île de Lanzarote.
Mindelo, charmante île du Cap-Vert, et son incroyable carnaval qui avait lieu pendant notre escale. Très bonne cuisine au Casa Café Mindelo.
Les langoustes au barbecue dans les Tobago Cays, aux Grenadines.
La baie de Bequia, aux Grenadines, où nous avons « atterri » à la fin de notre transat : de très jolies plongées, l'eau turquoise et des maisons colorées. Super pâtisseries dans la « German bakery » au bord de l'eau...
La petite pizzeria juste en face de l'îlet pigeon, en Guadeloupe : installé sur le parking, avec musique et plantes tropicales, on se délecte...
Les Saintes, au large de la Guadeloupe : un très bel endroit, avec de magnifiques plongées (club des Pisquettes, au top), surtout le Sec Paté, un haut fond en plein courant situé à mi-chemin de la Guadeloupe !
L'anse du colombier à Saint-Barth, tortues et carangues sous le bateau.
Aux Bermudes, à Saint-Georges : excellents burgers chez Mama Angie, à ne pas rater !
Les Açores, coup de cœur général : mention spéciale pour Horta, et les plongées avec Dive Azores (raies mobula en pleine mer...).
La liste est longue…
Avez-vous une anecdote de voyage ou une rencontre exceptionnelle à partager ?
Notre rencontre avec des baleines au large des Açores, qui nous suivaient et passaient juste sous la coque en nous regardant de côté, a été un moment extraordinaire.
Comme notre petit déjeuner, bacon-beans-œufs, qui a suivi la tempête que nous avons essuyée entre les Bermudes et les Açores. Ce réconfort après une nuit à barrer dans le gros temps, quand la houle et le vent se calment peu à peu et que le soleil réapparaît, est un moment unique.
Mais ce ne sont que des bribes, car 8 mois c'est un morceau de vie !
Quels conseils pouvez-vous donner ?
Sur un grand voyage, pas forcément en bateau, ce qui rajoute de la complexité, je dirais que le plus difficile est de prendre la décision : une fois qu'on a sauté le pas, on trouve des solutions. Mais on se met beaucoup de barrières mentales, qui nous maintiennent dans notre quotidien : cela convient à la plupart des gens, et ces barrières sont nécessaires, sans quoi tout le monde se mettrait à faire n'importe quoi, et notre société se disloquerait ! Mais si vous vous sentez régulièrement tenaillé par l'appel du large ou du lointain : prenez votre décision !
On termine par une question portrait chinois : Si vous étiez un pays… lequel, et pourquoi ?
La Polynésie peut-être, car c'est tout ce qu'on aime !
Retrouvez Sophie et Florent sur Internet !
Le blog de Maupiti : http://voyagedemaupiti.tumblr.com
Texte : Cédric Duchamp de Routard.com