Voici la suite de ma découverte de l’Arménie, faite en solo et voiture de location.
J’ai décidé au dernier moment de faire l’impasse sur l’Arménie du sud, car si ce pays n’est pas plus grand que la Belgique, ses routes sont difficiles, tortueuses et mal entretenues, peu ou pas signalisées. L’alphabet latin disparait dès la sortie des villes un peu importantes.
Exit donc des sites tels que Dvin, le col Selim, Martouni, Goris… je me suis fiée à mon intuition que ces étendues désertiques et surchauffées me plairaient moins que les forêts du nord.
Me voici donc partie de mon hôtel d’Erevan, constatant que cette nuit, une petite poque était apparue sur ma Chevrolet garée dans la rue… Cet accroc s’ajoutera à la rayure du premier jour pour le calcul de ma caution… Mais je ne dois pas y penser, et ce soir, je dois être à Dilijian, et donc rejoindre l’autoroute M4. Un taxi m’indique la direction au premier carrefour : tunnel et tout droit, gestes à l’appui !
Je ne tarirai pas d’éloges pour tous ces anges gardiens que j’ai trouvé en chemin, ils m’ont mise sur la bonne voie, me faisant un croquis, voire prenant le volant à ma place quand mon cas était plus difficile ! Selon la pratique orientale, des groupes d’hommes stationnent souvent sur les trottoirs pour discuter en fumant, et tous sont venus à mon secours avec une gentillesse sans équivoque !
Je roule avec plaisir sur cette autoroute où circulent des véhicules souvent vétustes et fumant, voire d’inspiration militaire.
J’atteins le lac Sévan, la mer intérieure d’Arménie, qui fait le lien entre sud et nord, je distingue en contrebas guinguettes et camping, et le panorama du lac lui-même est magnifique !
Et très vite le paysage change, car j’arrive dans ce qu’on appelle la Suisse arménienne : villages coquets, forêts de sapins, vertes prairies et de nombreuses vaches, pas seulement sur la route…
Ces photos ont été prises en conduisant, faute de parking sur les bas-cotés…
Puis c’est la redescente sur Dilidjian, souvent vertigineuse, une petite ville de vacances on dirait, où j’ai choisi de faire escale. J’aurais très bien pu rejoindre Odzun, le but ultime, dans la journée, mais j’ai sans doute exagéré les difficultés, et voulu faire halte dans l’hôtel où je séjournerai trois jours au retour d’Odzun, la choisissant comme base pour les deux derniers monastères à visiter;
Quelques images de cette agréable petite ville, très animée, au bord de son étang romantique
Mon hôtel se situe un peu en dehors de la ville, sur la route d’Alaverdi, et miracle il est bien fléché en caractères latins : Il se nomme l’hotel Diligence, un nom français, choisi sans doute en allitération avec le nom de la ville de Dilijian, et pour évoquer peut etre un relais de poste.
J’ai tout de suite adoré cet endroit : l’hôtel, construit en pierres de pays, est au bord d’une rivière, au coeur de la nature. Son style “mitteleuropa” m’a séduit par ses boiseries sombres, ses parquets en vrai bois, ses carrelages rutilants, jugez par vous-même
Après la touffeur d’Erevan, cette première nuit au Diligence m’a fait le plus grand bien. Le long de cette rivière, il y a des tables de pique nique en bois. La clientèle est essentiellement arménienne, d’après les plaques de voitures garées sur le parking.
Le prix modique de la chambre (60 euros) comprend le buffet du petit déjeuner. Le soir, on propose un repas arménien, lui aussi en buffet, pour moins de 5 euros. Je crois n’avoir jamais si bien mangé que ce soir là, et je me réjouis d’avance de revenir dans quelques jours !
Quant à la chambre, elle est immense, dotée de grandes fenêtres (sans volets) donnant sur la campagne, équipée d’un plateau bouilloire, d’un réfrégérateur, d’un téléviseur et d’une jolie salle de bain à l’ancienne. La beauté chaleureuse du parquet, la dimension du lit me ravissent !
Je ne m’étendrai pas sur la cuisine, vraiment délicieuse et saine, viandes grillées, ou en sauce, soupes inconnues, légumes divinement cuits, fromages variés en consistance, nombreuses sauces au choix, gâteaux de riz, compotes, le tout arrosé de thé à volonté.
Le lendemain, après avoir informé la personne de la réception que je reviendrai dans deux jours, je pars en direction de Odzun, un village du nord de l’Arménie, connu pour sa basilique du 7ème siècle.
De là, je visiterai deux premiers monastères, Sanahine et Hagbat, ainsi que la basilique, bien sur, et reviendrai ensuite sur Dilijian pour les deux autres, Goshavank et Hagartsine. Le dernier jour, une excursion au Lac Litch s’imposera.
ODZUN
Je roule au creux d 'une vallée verdoyante, traversant la ville assez grande de Vanadzor, où je ne manque pas de me perdre, mais en prenant de l’essence, je suis bien renseignée : il faut rejoindre un pont, et poursuivre ma route… le jeune homme va jusqu’à me dessiner un plan sommaire qui me sauvera la mise.
Je ne manquerai pas le panneau Odzun qui indique un virage prochain, en épingle à cheveu, sur la gauche… et je commence la laborieuse ascension d’une dizaine de kilomètres en lacets. La route est étroite et périlleuse, le paysage, vertigineux !
Arrivée sur le replat et en vue de la petite ville d’Odzun, plutôt coquette avec ses quelques commerces et une école toute pimpante.
Le clocher de la basilique émerge mais je tiens à poser mes valises avant d’aller la voir. J’ai tout le temps, l’après midi est encore jeune.
Ce que je cherche c’est le panneau qui indique le “Pansionat”, mais point de panneau ; je sais que le motel se situe en haut du village, alors je monte… La route se rétrécit dangereusement, et aboutit… au cimetière. et ensuite il n’y a que deux chemins de terre… J’arrête la voiture et entre dans le cimetière, dans l’espoir d’y rencontrer du monde, surtout qu’il est très joli. A peine en ai-je fait le tour que deux adolescentes descendent de la montagne en bavardant. Je m’approche, leur demande comme je peux où se trouve le “Pansionnat”, et elles m’indiquent le chemin de gauche. Elles portent un panier plein de grosses mûres, et gentiment, m’en donnent une poignée… Je les remercie et remonte en voiture, doutant qu’elle puisse passer l’épreuve de ce chemin de terre, plein d’ornières et de mottes herbeuses.
Au pas, je me demande combien de temps je vais pouvoir rouler, mais ouf, j’aperçois le motel à moins de deux cents mètres et franchis la grille ouverte.
Il est tenu par une famille de femmes, que je pense être d’origine russe. La réception se tient dans leur salon encombré de meubles, bibelots et divers objets.
On me donne ma chambre après avoir tout vérifié, une merveille de chambre avec un grand balcon à balustres, donnant sur la montagne !
Le frigo ni la télévision ne fonctionnent, le lit est tout petit, et internet est dans le jardin, mais il y a beaucoup de fauteuil et une salle de bain parfaite, peinte en bleu turquoise tout comme la chambre.
Les vaches paissent librement dans le jardin, et le verger …
Je m’installe, soulagée d’avoir trouvé ce coin perdu, et reprends la voiture pour gagner le centre du village, où trône cette très ancienne basilique qui daterait du 7ème siècle. Je suis fascinée par le haut Moye-Age, et en France, on ne trouve aucun édifice aussi anciens que ceux que je vais découvrir en Arménie.
L’art roman était déjà né, si les dates sont exactes… Alentours, de nombreux tombeaux certains prestigieux comme le mausolée sur l’image numéro deux, et très anciens, d’autres d’époque récente. Comme on le voit, les restaurations vont bon train, des couvreurs travaillent sur les toitures en s’interpellant et chantant. Il y a quelques visiteurs, l’entrée est libre.
Je ne sais plus ce que j’ai mangé le soir, sans doute des biscuits et des fruits, le motel ne fournissant que les petits déjeuners, eux aussi fort bon, avec ses confitures de mures maison, son pain tendre et délicieux, son thé parfumé, ses fromages ni frais ni secs, avec oeufs durs et saucisses…
Un épisode sympathique : en fin de journée, je consultais ma tablette assise sur un muret dans le jardin verdoyant, quand une jeune fille m’a abordée, me demandant si j’étais française… Jene sais pas comment elle a pu le deviner ! elle s’appelait Ani, et m’a parlé de la France, qu’elle adorerait découvrir Paris. Elle m’a récité un bon morceau du poème d’Appolinaire, dans un français presque sans accent :
"Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours, faut-il qu’il m’en souvienne ?
La joie venait toujours après la peine…
Passent les jours et passent les semaines,
Ni temps passé, ni les amours reviennent… "
On a fumé notre cigarette, elle m’a parlé de ses études, un peu de sa famille… c’était un très joli moment.
Le lendemain, après une bonne nuit, je me suis réveillée à l’aube, pour découvrir cette merveille : un lever de soleil sur les montagnes, comme si j’étais aux premières loges d’un théatre grandiose…
MONASTERES DE SANAHINE ET DE HAGBAT
La seule journée entière que je passerai à Odzun sera consacrée à deux monastères assez voisins, sur la route d’Alaverdi, de part et d’autre de cette route E64, pas trop mauvaise. Je redescends donc les lacets d’Odzun, dès le petit déjeuner avalé - ici encore, pas avant neuf heures, ce qui me retarde, mais je n’ai pas le choix, c’est mon seul repas de la journée -
Sanhanine sera le premier et le plus beau des monastères, un peu à l’écart d’une petite ville assez moderne. Je dois encore demander mon chemin, en mimant avec mes deux mains jointes ce qui ressemble à un clocher.
Me voici de nouveau sur une très mauvaise route, et une brave fermière m’accompagne sur le chemin de terre, j’ai laissé la voiture devant un hameau très rustique. Il doit y avoir un autre accès pour les visiteurs, je pense, mais je l’ai apparamment raté !
Le monastère du VIIIème siècle se trouve au coeur de la forêt, et on pénètre directement dans le réfectoire aux piliers larges et bas, tapissé de pierres tombales, parfois gravés de mots en arménien et de dessins sommaires : silhouette humaine, poissons…
On avance dans un dédale de salles sombres, de cloîtres, rencontrant des chapelles, une église plus grande, j’ai l’impression de me trouver dans un jeu vidéo tellement cet environnement est étrange, plein de surprise et de mystère. Il n’y a que deux visiteurs à part moi, je suis vraiment sous le charme…
J’ai vraiment du mal à partir de là ! Je fais un tour dans le village, où l’on est occupé à goudronner une ruelle…
Je mets le cap sur l’autre monastère, Hagbat, qui est inscrit au patrimoine de l’Unesco. Sans doute encore plus grand, mieux conservé, et situé en montagne.
La route en lacets qui y conduit, de l’autre côté de l’E64, a été refaite récemment, car elle était réputée difficile.
Il y a là davantage de touristes, réputation oblige, et puis on est l’après midi. Des paysannes vendent des chapelets, des icônes, des brioches, mais ne font rien pour accrocher la clientèle ; elles rient et discutent ensemble.
Le site est magnifique, composé là aussi de nombreux bâtiments de toutes sortes, restaurés ou pas. Il domine la montagne et quelques fermes au toit tombant.
J’ai du mal comme tout un chacun je suppose, à imaginer la destination de chaque bâtisse, parfois reliées entre elles, parfois isolées.
Sauf bien sur ces deux tombes jumelles de deux nobles époux, qui avaient du combler la communauté de leurs dons.
Je redescend dans la vallée, avec une halte dans la petite ville industrielle d’Alaverdi, dont la pollution, les usines, nous ramènent dans les années soixante. j’achète un soda et des biscuits dans une toute petite épicerie.
Demain je retourne à Dilijian, mais je garde un très bon souvenir de cette escale en pleine montagne (plus de 1000 mètres d’altitude pour Odzun)…
RETOUR A DILIJIAN - MONASTERES DE GOSHAVANK ET HAGARTSINE
Le lendemain, c’est comme chez moi que je reviens à Dilijian, trouvant encore le moyen de me perdre dans Vanadzor, et n’ayant toujours pas découvert le fonctionnement des phares de ma Chevrolet. Je franchis à l’aveugle les noirs tunnels de montagne, heureusement pas très longs… Mon ange gardien comme souvent est mis à contribution.
J’avais demandé la meme chambre mais on m’en donne une autre, tout aussi grande et belle, le luxe, c’est l’espace, et il y en a, et le plafond est très haut, je me sens comme dans un palace !
Je fête mon retour par une bonne Kilikia achetée au village et une balade au bord de la rivière avec un bon bouquin
J’y fait la connaissance d’une autre Ani, étudiante en histoire, qui s’amuse à déchiffrer le titre de mon livre. On échange des bonbons et quelques mots. Elle est venue avec des amies, dont une maman qui vient faire faire ses devoirs de vacances à sa fille d’une douzaine d’années. L’Arménie est le pays où j’ai le plus échangé au cours de mes voyages en solo !
Le lendemain je pars pour une autre paire de monastères, Goshavank d’abord, puis Hagartsine.
Goshavank
Le monastère est situé cette fois au coeur d’un village agricole, que je traverse avec intérêt pour monter jusqu’au petit cimetière en haut de la colline.
Encore des visages souriants, ça fait du bien !
Maintenant je me dirige vers le monastère. Deux camping car italiens sont garés, et je retrouverai les occupants en visitant, l’un d’eux semble faire le guide, et j’en arriverais presque à comprendre l’italien, privée de langue romane depuis des jours !
Ici se trouve la plus belle “khachtar” gravée d’Arménie, datant du 13ème siècle, et signée. Je la mets en premier dans les images suivantes.
Ces khaschtar sont comme des pages de pierre d’un livre de prière. La belle écriture arménienne d’ailleurs, on la trouve partout jusque sur les murs extérieurs des églises.
Il me reste encore un monastère à voir, celui d’Hagharstine, mais je laisse filer devant les deux camping car italiens - ils m’auraient ralenti, si lourds ! - et fait encore un tour dans ce village attachant.
Haghartsine
Deux monastères par jour à nouveau, et celui-là sera le dernier. J’ai de la chance, c’est un jour de mariage au monastère. je remarque au parking de nombreuses voitures enrubannées et descend sur le site, légèrement en contrebas. qui émerge d’une épaisse forêt de sapins.
Que de verdure au nord ! Ce n’est pas ainsi qu’on imagine l’Arménie, mais c’est un fait. Les amateurs de montagnes pelées et désertiques doivent aller bien plus au sud.
Le Lac Bleu (Parz Litch)
Mon voyage va se terminer sur une petite déception. Il fallait bien meubler cette dernière journée, un dimanche, suite à la réorganisation de mon circuit, avec la suppression de deux nuits au sud.
J’aurais été mieux inspirée de rester dans au bord de la rivière, et de profiter du doux luxe de ma chambre !
Mais le Lac Bleu, présenté comme très agréable dans les guides, ne comblera pas mes espérances. Déjà, je dois faire dix kilomètres sur une route totalement défoncée, étroite, partiellement goudronnée et truffée d’ornières. J’essaie de rouler au pas pour ne pas abimer davantage ma voiture de location ! Mais je suis suivie par d’autres voitures qui se rendent sur les lieux, cela doit etre la sortie du dimanche pour les gens d’ici…
Je me gare dès que possible, préférant continuer à pied et j’arrive enfin à ce fameux lac, qui bien sur n’est pas bleu mais d’un vert jaune assez glauque… L’air des montagnes ne perce pas le couvert des arbres qui enserrent le lac, très petit, presque un étang!
Le site est aménagé en base de loisirs, avec promenades à ânes, buvette, musique, et de tout petits bungalows à louer pour le week end…
Il fait trop chaud, il y a des moustiques, je peste à l’idée de refaire cette affreuse route et de casser un essieu !
Le soir j’ai un peu le cafard, de quitter ce bel hôtel, de devoir rendre la voiture aussi, déjà trouver la rue, le quartier au moins, me garer, et présenter le véhicule avec sa poque et sa rayure !!
Dernier jour à Erevan - Villa Delenda
Le lendemain, je reprends la route d’Erevan en sens inverse. La route du col est coupée pour travaux, il faut donc prendre la route ancienne, qui mène au col et au village de Sevan. Mais à coté de celle de la veille, celle ci me semble très facile, et serpente parmi les sapins et les échappées visuelles vers la vallée que je viens de quitter.
Je fais halte sur la presqu’île d’Airavank, qui offre une belle vue sur le lac Sevan.
J’approche d’Erevan et commence à lorgner les panneaux d’affichage, et soudain, je reconnais le nom d’ une rue bien connue, la rue Abovian, qui je le sais me mènera tout droit au centre ville, quel miracle !
Quand je sais être suffisamment proche de l’avenue du Nord, parce que je reconnais les lieux de mes promenades, je cherche à me garer et que vois-je ? une place libre, rien ne l’interdit et je fais un créneau impeccable !
Je ramène en tremblant l’employé de Sixt qui doit évaluer l’état de la Chevrolet, il l’examine en silence, muni de la check list de la prise en main. Suspense … et soudain l’incroyable verdict : “OK” - Je l 'embrasserais tant je suis surprise et soulagée, j’ai donc rêvé ces petits défauts, car ils ne sont pas notés sur mon exemplaire… Je lui fais un grand sourire et lui tends royalement la clé… et vite, avant qu’il ne change d’avis, je m’éclipse avec ma valise et mon sac de voyage par dessus !
Demain mon vol est à 9heures, je n’ai pas trouvé plus tard. Je dois donc arriver un peu après 7 heures. Ce soir je dormirai à la Vila Delenda, une sorte de maison d’hôtes un peu plus chère que mes précédents choix, mais pour une nuit… Cette maison de ville, en pierre sombre, a été construite par deux frères, des riches bijoutiers, à la fin du XIXème siècle. Elle donne sur un joli square arboré.
J’y poserai mes bagages avec émerveillement avant de refaire un tour de ville dans la relative fraîcheur du soir.
Il faut mettre le réveil à six heures pour le jour du départ, le taxi sera là trois quarts d’heure plus tard. je ne pourrai pas profiter du petit déjeuner local, mais on me fera prendre un café et des biscuits dans la cuisine…
Ainsi s’achève ce périple inoubliable et peu commun. Maintenant je me dis que j’aurais pu faire plus plus, voir plus… Mais tout n’est-il pas question avant tout d’atmosphère ?
Merci de me donner si possible, votre ressenti !