Revenir à Saint-Martin : un an après Irma
Dans la nuit du 5 au 6 septembre 2017, l’un des plus violents ouragans jamais enregistrés dans l’Atlantique Nord s’abattait sur l’île de Saint-Martin, avec des vents à près de 290 km/h de moyenne et des bourrasques atteignant 360 km/h ! Du jour au lendemain, la très touristique Saint-Martin se retrouva coupée du monde. Les destructions ont mis à bas l’économie de l’île et ses habitants à genoux.
Près d’un an plus tard, où en est Saint-Martin ? La vie a repris et les plages sont toujours aussi belles... Petit état des lieux.
Préparez votre voyage avec nos partenairesSaint-Martin : une île, deux pays
Saint-Martin est un cas très particulier : une île mouchoir de poche (87 km2) partagée entre deux pays ! Tout remonte à 1648. Cette année-là, les Espagnols désertent cette conquête réalisée pour le seul principe d’affirmer leur souveraineté en mer des Antilles. L’or précolombien et les mines d’argent du continent sont autrement plus intéressants…
Deux nations avides de colonies profitent de l’occasion : la France, dont quelques colons planteurs de tabac se sont déjà installés sur place, et les Pays-Bas (alors Provinces-Unies), qui ont tenté d’y fonder un premier établissement dès 1631 pour exploiter le sel.
Plutôt que de combattre pour la possession de ce petit bout de terre pas bien riche, Français et Néerlandais se partagent le gâteau : les 6/10e nord reviennent à la France, les 4/10e sud aux Provinces-Unies. Pourquoi cette différence ?
La petite histoire raconte comment un Français et un Néerlandais, partis à pied de l’extrémité orientale de l’île, auraient été chargés de rejoindre l’ouest en longeant le littoral — l’un par le nord, l’autre par le sud — pour déterminer l’extrémité opposée de la ligne de démarcation au lieu de leur rencontre. Ensuite, les versions divergent. Le Français aurait couru au lieu de marcher, comme convenu. Il aurait coupé par les terres… Ou se serait enivré au vin, y trouvant de la force… À moins que ce ne soit le Hollandais qui se soit endormi sous l’effet du gin !
Les historiens, eux, penchent pour un autre facteur : les bateaux de guerre français amarrés au large de l’île.
Saint-Martin : une île, deux systèmes
La coexistence n’a pas toujours été aisée : la « frontière » a changé de tracé à 16 reprises ! Elle n’a pourtant jamais été une contrainte au déplacement des hommes et des marchandises. Et, aujourd’hui, seuls quelques panneaux discrets la matérialisent encore sur le bord des routes.
La partie française forme depuis 2007 une Collectivité d’Outre-Mer, disposant d’une certaine autonomie, notamment en matière fiscale. Quant à Sint-Maarten, elle possède depuis 2010 le statut de pays, entité composante du royaume des Pays-Bas, mais non-membre de l’Union Européenne. Cette différence de statut est naturellement source d’embrouilles et de concurrence.
Au sud, Sint Maarten laisse régner le capitalisme sauvage : l’essentiel du territoire a été bétonné, le salaire minimum y est riquiqui et les cotisations sociales quasi inconnues. Résultat : l’île a connu deux booms économiques et immobiliers, dans les années 1980, puis 2000, attirant une importante main-d’œuvre. La population a quadruplé (pour atteindre environ 80 000 habitants aujourd’hui sur l’ensemble de l’île) et près de 100 nationalités y sont représentées. Une vraie tour de Babel à plat !
Côté français, pas de casino, moins de béton et plus de villas, bâties dans le sillage des lois de défiscalisation. Mais les deux entités partagent une même réalité : une situation fiscale très favorable héritée de leur ancien statut de port franc et un tourisme en majorité américain. À tel point que le dollar est monnaie officielle au sud et largement accepté au nord.
Les ravages d’Irma
Lorsque survient Irma, dans la nuit du 5 au 6 septembre 2017, Saint-Martin est sur ses gardes : hommes et bêtes ont été confinés, les fenêtres renforcées de contreplaqué, les volets anticycloniques baissés pour ceux qui en possèdent. Mais comment se préparer à un tel ouragan ?
La tempête, qui atteint l’île par le nord-est, mesure, à pleine puissance, la taille de la France… Bientôt, sur les côtes, des vagues de 10 à 12 m s’abattent sur les hôtels et résidences bâties les pieds dans le sable. Les quais sont emportés, les cocotiers plient, puis rompent (pas tous !), se transformant en béliers, fissurant les murs jusqu’à les éventrer. L’eau envahit les centres-villes et les voitures partent à la dérive. Plus encore que les vents, ce sont les matériaux charriés qui sont dangereux : les arbres et tôles arrachés, qui deviennent projectiles, font exploser murs et toits sous leurs coups de boutoirs.
Un bilan très lourd
Au matin, le bilan est catastrophique : 11 morts, 95 % des édifices endommagés, le tiers entièrement atomisé, 1 200 voiliers et yachts coulés, échoués ou broyés, 18 des 21 établissements scolaires de l’île inutilisables, 8 des 11 pharmacies détruites. La végétation est presque totalement défoliée. Les réseaux d’électricité, d’eau et de télécommunications sont hors service.
Une image a marqué les esprits : celle des pillages, survenus avant même qu’Irma ne se soit totalement éloignée. Les cas légers se sont vus condamnés à des travaux d’intérêt général (nettoyage de l’île) ; ceux qui étaient armés ont été incarcérés. Beaucoup, sans doute, sont passés entre les mailles du filet. Fort heureusement, aucun cas de meurtre ou de viol n’a été relevé.
Très vite, une question s’est imposée aux esprits : partir ou rebâtir ? Beaucoup de familles ont envoyé femmes et enfants en Guadeloupe ou en métropole lors des premières évacuations. Quelque 16 000 personnes, estime-t-on, ont d’abord quitté l'île ; beaucoup sont revenues : un an plus tard, seuls quelques milliers manquent à l’appel.
Si le traumatisme est palpable, le calme est assez vite revenu, notamment grâce aux plus de 500 militaires pré-positionnés et 2 500 agents de l’État venus prêter main forte pour sécuriser l’île et la déblayer.
Sortez les calculettes !
Il a fallu un mois et demi pour que l’électricité revienne. Souvent deux mois ou plus pour que l’eau coule à nouveau dans les robinets. Dans certains secteurs (comme Oyster Bay), le téléphone fixe ne fonctionne toujours pas : il faut enterrer les lignes, revoir tout le réseau.
Il a aussi fallu attendre les experts en assurance, attendre leurs estimations, les contester éventuellement, attendre les indemnisations. Huit mois plus tard, seule la moitié des cas était réglée. Mais 60 % des habitants de Saint-Martin (côté français) n’étaient pas assurés — côté hollandais, c’était encore pire. Les dégâts, estimés dans un premier temps à 1,2 milliard d’euros pour les îles françaises (Saint-Barth incluse), ont été réévalués à plus de 3 milliards — soit la bagatelle de 65 000 € par habitant.
L’Etat participe à sa mesure : une enveloppe de 500 millions d’euros, aides européennes incluses, a été définie, dont le tiers déjà englouti par les seules opérations d’urgence. Mais l’État exige des comptes et un suivi des investissements, alors même que la communauté est en pénurie d’effectifs pour le suivi des chantiers.
Une polémique s’est parallèlement installée : faut-il aider financièrement Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui ont choisi de se placer en marge de l’État français par leur régime fiscal très favorable aux résidents ? Peuvent-ils, en contrepartie, attendre une aide de la métropole aussi massive que dans d’autres territoires ?
Les Néerlandais, eux, ont fait simple : une enveloppe de 550 millions d’euros a été accordée à Sint Maarten, pour solde de tout compte.
Des plages préservées et la vie qui reprend…
Dès novembre-décembre, quelques commerçants particulièrement entreprenants ou chanceux rouvraient boutique. Aujourd’hui, les supermarchés regorgent à nouveau de victuailles. Les voitures roulent (parfois sans pare-choc ni vitres !) et les embouteillages sont revenus… Les premiers touristes aussi : des Américains, souvent, soucieux de participer à la reconstruction en soutenant l’économie locale. Une nécessité vitale pour Saint-Martin : le tourisme est ici une monoculture.
Si les deux principales agglomérations françaises, Marigot (le chef-lieu) et Grand-Case, jadis très animées, ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes, la vie y reprend doucement. Les cases créoles du petit marché (mercredi et samedi) sont revenues sur le front de mer de Marigot et les vestiges du vieux fort Louis, témoin des premiers temps de la colonie française, n’ont pas bougé d’un iota.
Les plages, prunelle des yeux de Saint-Martin, n’ont guère été touchées : si Irma a enlevé du sable (blanc) dans la baie Rouge et la baie aux Prunes, il en reste bien assez pour se baigner ! Baie Longue et Baie Orientale sont toujours aussi belles, si l’on fait abstraction des cocotiers manquants ou décapités… Les beach bars sont revenus à Friar’s Bay. À l’Anse-Marcel, c’est plus difficile : la plage est généralement inaccessible en raison des travaux des hôtels littoraux, très endommagés.
Dans les terres, la Loterie Farm a perdu beaucoup de ses manguiers et ses restos, mais a déjà retrouvé sa piscine-lounge et deux de ses ziplines (la grande devrait bientôt suivre).
La face dorée de Saint-Martin
Une chose n’a pas changé : la beauté des panoramas de Saint-Martin. Le plus impressionnant se livre depuis le pic Paradis, 424 m au-dessus des eaux turquoise. On grimpe en voiture presque jusqu’au sommet, avant de se glisser derrière l’antenne pliée par l’ouragan pour découvrir toute la côte orientale. Au-dessus, près de la seule antenne intacte, c’est tout l’ouest de l’île qui s’étale.
D’Anse-Marcel, un sentier, dégagé, permet à nouveau de rejoindre la seule plage déserte de Saint-Martin : la baie des Petites-Cayes. Une balade de 45 mn, terminée par un point de vue imprenable, depuis un promontoire rocheux, sur ce trait de sable blanc solitaire.
Les navettes des petits bateaux ont repris vers l’îlet Pinel. Ce gros radeau de roche a conservé sa fantastique langue de sable blanc et retrouvé ses deux restos de plage. Au Yellow Beach, les tables ont carrément les pieds dans l’eau ! Derrière la crête, la plage nord, protégée des courants et des sargasses, a tout du séjour de Robinson. Même une vieille chaise en plastique à l’ombre d’une planche.
Pour l’exotisme, il faut pousser côté hollandais, un peu moins touché et davantage reconstruit. On y retrouve les gros porteurs rasant la tête des vacanciers à Maho Beach avant d’atterrir (horaires affichés au Sunset Beach Bar !) et on y déambule dans les rues de Philipsburg, le chef-lieu, arrimé le long d’une large et belle plage bordée d’une promenade, de bars et de transats. L’église méthodiste y a retrouvé son adorable coquille de bardeaux et le palais de justice son ananas sommital !
Fiche pratique
Retrouvez tous les bons plans, infos, adresses dans le Routard Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barth
Consulter notre guide en ligne Saint-Martin
Site officiel du tourisme à Saint-Martin
Site officiel du tourisme à Saint-Martin côté néerlandais (en anglais)
Comment y aller ?
Air France a repris ses rotations vers Saint-Martin à raison d’1 vol hebdomadaire ; ils devraient être portés à 5 vols/semaine dès l’automne. On peut aussi rejoindre l’île tous les jours sauf lundi et mardi par KLM, via Amsterdam. Tous les vols internationaux atterrissent à l’aéroport Princess Juliana, côté néerlandais (en travaux jusqu’à l’été 2019, sans doute). Côté français, le petit aéroport de L’Espérance accueille des vols en provenance de St Barth, la Guadeloupe et la Martinique.
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Climat
La haute saison correspond à l’hiver (décembre à mi-avril), ensoleillé et aux températures agréables (25°C en moyenne). L’été est nettement plus humide et chaud (28-30°C) ; il correspond à la saison cyclonique, avec un pic de risque en septembre et jusqu’à la mi-octobre. Certains établissements ferment à cette période. La température de l’eau, elle, oscille entre 26 et 29°C.
Hébergement
Si Irma a causé des dégâts considérables au parc hôtelier insulaire, commençons par une bonne nouvelle : ceux qui fonctionnent affichent pour l’heure des tarifs plutôt modérés en attendant que le tourisme redémarre.
Côté français, seuls quelques hôtels ont déjà rouvert leurs portes, à l’instar du Mercure à Nettlé Beach (toujours partiellement en travaux) et du sympathique Colombus (colombus@wanadoo.fr), à Oyster Pond. La plupart des autres établissements ne rouvriront que fin 2018, voire en 2019.
Heureusement, il y a aussi des guesthouses. On vous conseille notamment Couleur Café à Mont-Vernon (et surtout ses 2 cases créoles) et Dolce Villa à Baie Orientale (windyreef971@gmail.com) avec son bungalow mignon et pas très cher (pour l’île !).
Si vous avez davantage de moyens : la Résidence Adam et Ève, au même endroit, occupant une splendide villa d’architecte, ou le boutique-hôtel 5 étoiles Sol e Luna (Mont Vernon), d’un luxe consommé.
Autre option : aller dormir du côté hollandais, où le choix est plus important. Si l’on n’est pas fan des grands immeubles de condos, dominants de ce côté, on y trouve une AJ (Vickey’s Keys) — certes chère — et quelques bonnes guesthouses, comme Alicia’s Inn, idéalement située à Philipsburg.
Restaurants
Comme pour le parc hôtelier, le panorama des restaurants a été fortement perturbé par Irma. Cela étant, pas mal de classiques ont déjà rouvert (même s’ils observent souvent des horaires réduits) et quelques courageux ont même relancé de nouveaux établissements !
Là encore, les prix sont plutôt à la baisse, notamment à Grand-Case — l’ex « capitale gastronomique des Antilles », dont le front de mer a été totalement dévasté par Irma. Là, on vous conseille le tout nouveau et très vivant Rainbow, sur la plage. A Grand-Case et Marigot, il y a les lolos, ces mini-restos locaux où l’on mange créole dans une ambiance débonnaire. La plupart sont à nouveau au rendez-vous.
Plongée
S’il est un peu tôt pour établir un bilan complet, les responsables de la réserve naturelle de Saint-Martin ont été plutôt bien surpris par la capacité des récifs à résister à Irma. Si certains des coraux les plus fragiles (cornes de cerfs notamment) ont été brisés, la plupart sont encore là. Les herbiers ont repoussé. Et, après plusieurs semaines marquées par la turbidité des eaux, les langoustes et les tortues sont revenues. Il y aurait même plus de poisson qu’avant en raison de la pêche réduite !
Texte : Claude Hervé-Bazin
Mise en ligne :