Turquie : voyage en Cappadoce
Au cœur de l’Anatolie centrale, au centre de la Turquie, la Cappadoce déploie sur près de 10 000 km2 des paysages superbes et insolites : on pourrait se croire, devant les formations rocheuses cappadociennes déchirant les horizons, sur une lointaine exoplanète.
Les dieux volcaniques à l’origine de ce merveilleux carnage tellurique (il y a 12 millions d’années) ont eux-mêmes subi les ravages des temps géologiques et se sont endormis. La cendre qui s’est agglomérée en durcissant a constitué cette roche friable, le tuf. L’eau, le vent, la glace, artistes inspirés, ont ensuite buriné des formes étonnantes, notamment des cônes et des aiguilles pouvant atteindre 30 m de hauteur qu’on appelle poétiquement les cheminées de fée (Peri bacaları).
Ajourées, percées, aménagées depuis 4 000 ans, d’abord par les Hittites (premiers peuples de la région) puis par les chrétiens byzantins, ces aiguilles polymorphiques se contemplent, de préférence, à bord d’une montgolfière ou en surplomb des vallées après une belle randonnée. Le paysage change au gré de la lumière, dans la journée et selon les saisons. Splendide Cappadoce !
Attention ! En raison de l'épidémie de Covid-19, certains sites et établissements peuvent être fermés et des activités peuvent être modifiées, voire suspendues.
Préparez votre voyage avec nos partenairesAu cœur de la Cappadoce
De Nevşehir, on ne verra pas grand-chose. Cette capitale provinciale, porte d’entrée de la Cappadoce, sert de gare de triage vers les principaux spots de la région. Sitôt sortis de l’avion, des servis (demandez votre transfert à votre hôtel) patrouillent dans les vallées anatoliennes pour décharger les visiteurs.
A 10 km de là, on sait à quoi s’attendre tant Göreme expose depuis des années sa trombine photogénique sur les réseaux sociaux. Pourtant, quand on y arrive, on se surprend encore… à être surpris. C’est comme si on débarquait dans le village des Schtroumpfs revisité par George Lucas, période Star Wars. Devant les nombreuses pensions troglodytes qui aménagent le moindre arpent de ce site très touristique, on peine à imaginer le passé rural de la ville.
À 15 minutes à pied du centre de la ville (1,5 km), le musée en plein air de Göreme (25TL), inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1984, déploie un large complexe monastique byzantin datant des 10e, 11e et 12e siècles, taillé dans le tuf. S’il est amusant de se perdre dans les passages et les cavités enténébrées, on est saisi par la beauté des peintures rupestres de la Karanlık kilise, le clou de la visite, avec sa toute petite fenêtre qui plonge l’église dans une sombreur bienvenue pour la préservation des fresques.
C’est impressionné par la pétulance des couleurs et la solennité du Christ pantocrator, démultiplié comme des petits pains sur les parois, que l’on ressort de ce chef-d’œuvre de l’art byzantin. Parmi les 11 réfectoires, d’autres églises valent qu’on s’y attarde. L'église à la Boucle (Tokalı kilise), à l’extérieur du site, présente un Christ en croix sur fond bleu du plus bel effet.
L’église Sainte-Barbe (Azize Barbara kilisesi) noyée dans les tons ocres, exhibe sur ses voûtes d’intrigants glyphes. L'église au Serpent (Yılanlı kilise, avec saint Georges estourbissant le dragon) ou l'église à la Sandale (Çarıklı kilise, avec de belles fresques datant du 11e siècle) ne doivent pas être prises à la légère.
Vous remarquerez que les figures de nombreux saints ont été détruites. Lorsque l’Islam s’imposa dans la région, les musulmans griffonnèrent les visages des icônes, puis ce fut au tour des Grecs de graffiter les parois alors que le site était abandonné. Ce n’est pas trop de le repréciser, essayez d’arriver tôt ou en fin d’après-midi. Les églises sont vite prises d’assaut.
Situé à 10 km de Göreme sur la route d’Avanos, le musée en plein air de Zelve est encuvé dans trois vallées, évacuées en 1952 tandis que l’érosion du tuf menaçait les habitants (la population a alors été déplacée à Yeni Zelve, alias Nouvelle Zelve, aussi appelée Aktepe).
Aujourd’hui, cet ancien complexe monastique, qui fut l’un des plus importants entre les 9e et 13e siècles, vaut moins pour ses églises et sa mosquée que pour son panorama de pitons rocheux. Un chemin de randonnée sinue à travers les vallées. Comptez 2 h de marche énergique pour en venir à bout.
À 8 km de Göreme, se prélasse Avanos. La ville est réputée pour son marché du vendredi et pour ses potiers (un hommage statuaire à cette corporation trône sur la place principale) qui profitent des générosités argileuses du plus long fleuve turc, le Kizilirmak. En trimardant, vous apercevrez plusieurs ateliers de poterie, sachez que certains artisans perpétuent des techniques hittites vieilles de 4 000 ans.
La citadelle d’Uçhisar, à 5 km de Göreme (bus ou randonnée en passant par la vallée des pigeons), est perchée sur la plus haute cime de la Cappadoce, le Kale (1 300m et près de 150 marches). Cette position stratégique en a fait, lors des invasions ennemies, un refuge providentiel pour les villageois et, plus récemment, un spot très couru au crépuscule.
C’est joli, mais beaucoup de curiosités troglodytes et de tunnels sont fermés au public. Alors on s’y précipite pour le tableau sur la vallée et sur le mont Erciyes. Du coup, le sommet peut vite être encombré, en plus d’être fort mal barricadé. Plutôt que de vous entasser, allez plutôt tortorer des pide et des gözleme, plus bas, dans l’un des cafés à pic.
À 9 km à l’est de Göreme, la ville d’Ürgüp, anciennement Başhisar aux temps seldjoukides (des nomades d’Asie Centrale), constitue un parfait pied-à-terre pour sillonner la région. Baladez-vous dans ses ruelles flanquées d’anciennes maisons grecques en pierres, puis montez sur la colline des souhaits de Temenni, fenêtrée de nombreuses cavernes. Joli panorama sur la ville.
Les villes souterraines de Cappadoce
En Cappadoce, 37 cités souterraines ont été mises à jour, mais il en existerait des centaines. Creusé au temps des Hittites, optimisé par les chrétiens byzantins, cet entrelacement de corridors leur permettait de s’enterrer, 300 pieds sous terre, en cas d’offensives belliqueuses. Claustrophobes s’abstenir. C’est bas de plafond et lugubre.
Kaymaklı est la plus vaste cité souterraine découverte à ce jour. Elle s’échelonne sur 8 niveaux (mais seulement 4 sont ouverts au public). Le 3e reste le plus intéressant avec ses étables, ses cuisines, ses magasins d’alimentation et son gigantesque bloc d’andésite, dont les 57 creusets auraient servi à travailler le cuivre qui était extrait entre Aksaray et Nevşehir. La cité concentre un grand nombre de pièces de stockage, ce qui confirmerait les estimations démographiques tablant sur une population de 3 500 âmes.
Derinkuyu (à 10 km de Kaymaklı), cité excavée la plus profonde avec ses 85 m étagés sur 7 niveaux, aurait abrité à une époque près de 10 000 habitants. On dénombrerait environ 600 accès en surface, cachés dans des cours ou des puits. À l’intérieur de ce lacis de passages, vous aviserez des étables, des salles à manger, des caves à vin.
D’autres cités souterraines peuvent être visitées. Özkonak, à 15 km d’Avanos, a l’avantage non négligeable d’être délaissée des routines touristiques. Quatre étages (sur 10) sont ouverts au public. Découverte en 1972, la cité aurait été construite au 4e siècle av. J.-C. pour protéger les populations des invasions. Puits, meules (pierres) en guise de portes coulissantes, caves à vin, systèmes de ventilation… Tout le confort de la modernité. Petite spécificité ici, des trous au « plafond » des tunnels pour verser de l’huile bouillante ou planter une lance dans l’ennemi.
Enfin, à 18 km d’Ürgüp, Mazıköy superpose 6 étages (pour l’instant) dont 4 sont visitables.
Randonnées et vallées de Cappadoce
Les randonnées qui traversent les différentes vallées de la Cappadoce ne manquent pas.
La vallée de Devrent (Devrent vadisi), aussi connue sous le nom de vallée imaginaire, déploie des perspectives lunaires avec son aristocratie, très concentrée, de cheminées de fées aux formes animales (le chameau est la star, mais il y a aussi le serpent, le dauphin…) et même iconoclastes (les plus fervents chercheront une Vierge Marie tenant l’enfant Jésus). On vous conseille de ne pas suivre la route bitumée, mais de partir en hors-piste (attention de ne pas trop vous éloigner) à la chasse de ces fascinantes aiguilles rocheuses.
Avec sa dégaine de Grand Ouest américain, la vallée d’Ihlara transperce la Cappadoce tout en prenant soin d’en verdir les paysages. Au milieu de ce canyon échancré dans le tuf coule une rivière, la Melendiz, parfois appelée Uluırmak. Quelques belles églises en ruines (Kokar kilise, Purenli seki kilisesi ou Ağaçaltı kilise, pour les mieux conservées) émailleront vos pérégrinations champêtres à travers peupliers, pistachiers et vignobles, placés sous la protection, apaisée on vous rassure, de feu le volcan Hasan Dağı (mont Hasan littéralement).
La vallée du Pacha ou des Moines (Paşabaği) représente un site remarquable bien qu’envahi par les marchands de souvenirs. Et dire qu’au 5e siècle, des ermites du coin, sur le modèle de Siméon le Stylite, localisé à Antioche (et canonisé plus tard), y avaient élu domicile pour se couper du monde... Vous trouverez des éminences géologiques (20 m parfois !) aux formes improbables, souvent surmontées de cônes de basalte très découpés, tendance fongique. Une chapelle dédiée à saint Siméon a été creusée dans une cheminée tricéphale.
Ne vous laissez pas décourager par son nom. La vallée des pigeons, entre Göreme et Uçhisar, doit son sobriquet à ces alcôves creusées à flanc de falaise qui servaient de pigeonniers (parfois agrémentés de dessins au trait éblouissant) et qui permettaient aux agriculteurs de la région de récupérer les fientes des volatiles pour en faire de l’engrais. Ces perforations dans la roche donnent à ce décor un aspect pictural, aérien, même fromager tandis que certaines concrétions semblent meringuées (oui oui).
Ne manquez surtout pas la randonnée qui chaîne Çavuşin aux vallées Rose (Güllüdere) et Rouge (Kizilçukur). Entre les tons… gorge-de-pigeon de la roche et les églises planquées qui recèlent de trésors (on pense à la Kolonlu (ou Direkli) kilese, l’église aux colonnes, à l’église dite Aux Trois Croix ou à l’église Joachim-et-Anne), sûr que vous y trouverez votre compte. Et si vous n’en avez pas assez, le coucher du soleil finira de vous en mettre plein les yeux.
D’autres vallées sont plus confidentielles, mais non moins grandioses. Au nord-ouest de Göreme, la vallée de Zemi ou vallée de l’amour achalande de beaux spécimens de cheminées érectiles. Les vallées de Gomeda et de Çat, avec ses nombreux pigeonniers et son tuf ivoire, proposent également de superbes parcours. Autour d’Avanos, la vallée de Dereyamanlı et le canyon de Çayağıl permettent des déambulations tranquilles mais non moins monumentales.
Tout le monde a en tête ces photos du parc national de Göreme moucheté de montgolfières. Mais sachez que le spectacle se mérite (et se paie cher, 180 € minimum par personne). Navette à l’hôtel à 4 h 05 (si le temps le permet), rassemblements des aventuriers dans un restaurant pour boulotter un petit-déjeuner rapide, constitution des équipes par nacelle (16 personnes), van, arrivée sur le site, gonflage du ballon et c’est parti.
On a beau jouer les blasés, en haut, on force sur les pupilles devant la majesté d’un lever du soleil qui vient crayonner de rose les lignes de crête. Et on retrouve les mêmes visages extatiques dans les 80-100 montgolfières qui patrouillent autour.
Fiche pratique
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Comment y aller ?
Vol Istanbul – Nevşehir avec Turkish Airlines, comptez 1 h 10. Navette aéroport – Göreme, 40 minutes. Trouvez votre billet d’avion
Bonnes adresses
- Koza Cave Hotel : Aydinli Mahallesi, Çakmaklı Sk. No:49, 50180 Göreme/Nevşehir Merkez/Nevşehir. Ah, le Koza Cave Hotel, son rooftop très « mille et une nuits » avec ses tapis orientaux, sa vue sur Göreme… Ses filles en robes longues et ses garçons en chapeau qui s’immortalisent devant les cheminées de fée. On n’est pas sûr que ce joli monde soit là pour l’esprit écoresponsable de cet hôtel de charme, mais tant pis. Chambres agréables. À partir de 90 € la chambre double.
- Esbelli Evi : Esbelli, Dolay-1 Sk., 50400 Ürgüp/Nevşehir. Belle maison d’hôte dont les murs extérieurs sont parcourus de plantes grimpantes tandis qu’à l’intérieur, le mobilier en bois se marie à la perfection au tuf. Le panorama sur Ürgüp y est grandiose et l’accueil aux petits soins. À partir de 110 € la chambre double.
- Turkish ravioli : Aydınlı Mahallesi, Aydınlı Sk. No:1, 50180 Göreme/Nevşehir Merkez/Nevşehir. Perché sur sa terrasse (sans vue pittoresque), ce restaurant affiche ses intentions jusque dans son nom. Obéissants, on est donc partis sur ces raviolis turcs, les mantı, à la pâte souple et généreusement fourrée. Pour notre plus grand plaisir. 10 € par personne.
- Steak House Göreme : İsalı Mah, İçeridere Sk. No:8, 50180 Göreme/Nevşehir Merkez/Nevşehir. Les steakhouses ont pignon sur cheminée de fée en Cappadoce. En voici une à Göreme qui régalera les carnivores de tout poil. Viande tendre, frites maison et chats plaintifs qui réclament leur part. 20 € par personne.
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Texte : Florent Oumehdi
Mise en ligne :