La Floride du Nord-Ouest, hors des sentiers battus
Loin des clichés, loin des parcs d’attractions d’Orlando, des tours et des paillettes de Miami Beach, le Nord-Ouest de la Floride s’offre un grand bain de verdure. Nature Coast, Forgotten Coast, Emerald Coast s’enchaînent entre marais immenses, rivières sauvages, îles indomptées et plages de sable blanc d’une pureté inégalée.
C’est dans cette Floride authentique, encore un peu rétro, que l’on rencontre le mieux l’âme perdue du Sunshine State. Là que, sous le miroir des eaux, les lamantins se laissent le mieux approcher, à quelques brasses. Une rencontre mémorable.
Préparez votre voyage avec nos partenaires- Manatee Country : kayak et lamantins de Floride
- Cedar Key, de pêcheurs et de hérons
- Suwanee River : la Floride sauvage
- Apalachicola, la Floride vintage
- Le Panhandle : la Floride version Deep South
- Côte d’émeraude ou riviera beauf ?
- Pensacola, un air de Nouvelle-Orléans en Floride
- Les îles-barrières au large de Pensacola : sous le soleil de Floride
- Fiche pratique
Manatee Country : kayak et lamantins de Floride
Deux grosses narines rondes dépassent timidement de l’eau, laissant le reste de la bestiole dans le flou du chenal, légèrement troublé par le vent du matin. Un lamantin fait surface à 1 m du kayak, l’œil inquisiteur. Les marins de jadis les auraient pris pour des sirènes, dit-on… Les lamantins n’ont pourtant pas la taille bien svelte. Leur nom anglais, seacow (« vache de mer ») semble autrement plus approprié…
Nous sommes à 1 h 30 de route au nord-ouest d’Orlando, sur la façade occidentale de la Floride, côté golfe du Mexique. Lancé de l’embarcadère du Hunter Springs Park, à Crystal River, le kayak permet de dérouler l’écheveau des bras de mer et des voies navigables, au plus près des villas pieds dans l’eau et des hangars de la zone portuaire. Des pélicans, goguenards, se perchent sur les arbres d’une rookery insulaire, en compagnie de quelques cormorans.
Après une bonne demi-heure de pagayage plutôt soutenu, les Three Sisters Springs sont en vue. L’hiver, lorsque le mercure plonge, il n’est pas rare que plusieurs dizaines de lamantins se regroupent dans ses bassins naturels aux eaux turquoise translucides, affichant une température constante de 23,3 °C.
Il n’est alors pas possible d’accéder au site en kayak (on s’amarre devant), mais on peut y pénétrer à la nage, avec précaution. Il est fréquent, alors, que les mastodontes se glissent entre les baigneurs, ignorant d’eux-mêmes la règle qui interdit de les toucher… Un instant magique.
Cedar Key, de pêcheurs et de hérons
La Highway 98, qui relie la côte atlantique de la Floride au Mississippi, joue encore les doubles-voies lorsque vient le moment d’en sortir. Direction West 24, Cedar Key. Après 30 bornes de brousse et de pâturages, la route se lance au-dessus des marécages, puis de l’eau, entre digues et îlots. Les pontons se multiplient, précédant de micro-marinas. On hésite entre terre et mer.
Tout au bout, la bourgade de Cedar Key roucoule sous les alizés et les tulipiers, dans des tonalités pimpantes de rose et de turquoise, pastels vert amande, chocolat au lait et jus de raisin. L’heure est aux ice cream shoppes et aux flip flops (tongs), au farniente à l’ombre des palmiers, aux longues séances de pêche sur la jetée, sous l’œil des hérons impassibles et des pélicans qui se dandinent sur leurs gros pieds, en espérant le festin. Des vélos et des voiturettes de golf passent, à vitesse escargot. Ici, on prend son temps.
Au large, rejoint en bateau ou en kayak, une tablée complète d’îles désertes (13), composent le Cedar Key Wildlife National Refuge. Il y a là Seahorse Key, où, chaque printemps, nidifient quelque 20 000 sternes et autres oiseaux marins.
Il y a aussi Atsena Otie Key, 0,24 km2 de sable pur, de mangroves et d’insectes stridulants, de broussailles et de palmettos – dissimulant un cimetière de 1877 aux épitaphes usées, sur lesquelles pleurent encore des branches noueuses et les larmes des mousses espagnoles.
Un siècle et demi en arrière, l’îlot abritait le seul port entre La Nouvelle-Orléans et La Havane ! Faber y installa même une fabrique de crayons de papier, dont on peut encore deviner quelques maigres vestiges, épargnés par les fréquents cyclones.
Suwanee River : la Floride sauvage
La Nature Coast porte décidément bien son nom. Outre les multiples autres sources fréquentées l’hiver par les lamantins (dont Homosassa Springs et Manatee Springs), la région est traversée par le plus long fleuve de Floride, la Suwanee River, née dans les vastes marais d’Okefenokee, aux confins de la Géorgie.
Jadis remonté par les bateaux à vapeur, ce fleuve sauvage, roulant des eaux brunâtres aux relents d’Amazone, est retombé dans un oubli quasi-complet. Seuls quelques canoës, les hors-bord des pêcheurs et les alligators se glissent encore aujourd’hui dans son lit.
Sur ses berges prospèrent les cyprès chauves, racines aériennes en bataille, branches dégoulinant de mousses espagnoles en grappes. Sur les passerelles en bois du court River Trail, les discrets liquidambars pleurent de drôles de graines en forme de gros virus (dardées de piquants !). Et dans l’eau se cachent des monstres : des esturgeons du golfe du Mexique, dont la taille peut dépasser 1,5 m (pour près de 80 kg).
La Suwanee marque une sorte de frontière immatérielle. Au nord, la région se fait encore plus sauvage. Plus de terrains de golf ici, plus de route littorale, mais une côte sauvage presque entièrement tapissée d’espaces marécageux, inaccessible autrement que par bateau.
Waccasassa, Devils Hammock, Steinhatchee, Tide Swamp, Big Bend, Econfina River, Flint Rock, St. Marks… les parcs et réserves se succèdent. De vrais no-man’s land, obligeant à un vaste détour par l’intérieur des terres, sur la Route 98.
Apalachicola, la Floride vintage
Le ruban de goudron de la Highway 98 retrouve le golfe du Mexique après Panacea, pour le longer ensuite de près jusqu’à la longue digue franchissant la vaste baie d’Apalachicola, réputée pour ses huîtres sauvages (malheureusement en voie de disparition).
Apalachicola, quelle adorable bourgade ! 900 maisons historiques, pour la plupart en bois, s’y serrent en retrait de l’Apalachicola River, à demi-dissimulées par les grands pins, les palmiers et les vieux chênes centenaires.
Les plus anciennes remontent aux années 1830. Petites clôtures en bois ou colonnades blanches, larges porches où se balancent des rocking-chairs, l’ambiance est 100 % sudiste – bannière étoilée en prime.
Le Raney House Museum, au fronton néoclassique bien présomptueux, et la grande Ormon House (classée State Park), bâties toutes deux en 1838, restituent l’atmosphère d’une époque révolue. Des portraits de famille en costume confédéré. Des services en porcelaine. Des nappes en dentelle. Des lits à baldaquin. Des chandeliers. Des draperies. Des cheminées en marbre noir italien, bien exotiques sous ce climat.
Plus près de l’eau, le noyau de bâtiments de briques rouges, jadis pleins à craquer de coton, semble attendre encore le mugissement du steamboat à l’approche. On s’attendrait presque à voir surgir Tom Sawyer.
Le soir venu, les visiteurs y convergent vers l’Oyster City Brewing Company (pour une Dirty Blonde Fermentus Interruptus), le Hole in the Wall Seafood (crab cakes et fried oysters) et le Station Raw Bar, installé dans une station-service très 1950s. L’ambiance est bon enfant ici, très down to earth – et qu’importe si la plupart des huîtres viennent désormais d’ailleurs…
Le Panhandle : la Floride version Deep South
Étrange : on est encore en pleine Floride que, déjà, l’horloge fait un tour. À l’ouest d’Apalachicola, la pointe du Panhandle est sur le même fuseau horaire que Chicago et la Nouvelle-Orléans. Pas si étonnant, lorsqu’on sait que la Louisiane n’est plus qu’à 3 h de route et Miami à 850 bornes…
Drôle de surnom. Le Panhandle, la « queue de poêle », désigne cette longue embardée territoriale appartenant à la Floride, qui s’étire vers l’ouest sur un bon 200 miles. On quitte là la Floride coco-fluo pour le Deep South. L’accent prend le large, les fausses blondes mâchent leurs voyelles la bouche béante.
Et, dans les diners de bord de route, les grits (gruau) et les biscuits (tout chauds), tirés des livres de recettes de grands-mères, remplissent les assiettes. Avec les hushpuppies (beignets de maïs), le fried catfish (poisson-chat frit), le fried chicken (poulet frit), les fried oysters (huîtres frites) et tout ce qui passe à l’huile… Approprié pour un coin en forme de queue de poêle.
La région étendue entre Apalachicola et Panama City a hérité de son propre nom : Forgotten Coast, la Côte Oubliée. Il faut dire que les touristes ne s’y pressent guère, surtout depuis que l’ouragan Michael (catégorie 5) a ravagé le secteur à l’automne 2018. Les vents, dépassant les 250 km/h, n’ont souvent laissé que la dalle de béton des belles villas sur pilotis de Port St Joe et Mexico Beach. Reste le sable, éclatant.
Côte d’émeraude ou riviera beauf ?
Le redneck peut se traduire en français par "beauf" ou "plouc". Celui du Sud des États-Unis, conservateur, tendance raciste et fier de sa cambrousse, paradant et pétaradant à bord de son pick-up, flingue dans la boîte à gants et sticker In God We Trust placardé sur le parechoc.
La Redneck Riviera, déversoir naturel des États du Sud profond, accueille cette clientèle un peu particulière débarquée du Kentucky, du Tennessee et du Texas. Et beaucoup, beaucoup de jeunes spring breakers venus s’encanailler lors des vacances de Pâques (sea, sex and sun).
Les offices de tourisme locaux préfèrent promouvoir la région sous le nom d’Emerald Coast. On les comprend. Le terme, décrivant à l’origine surtout le coin de Fort Walton Beach et Destin, en est venu à englober toutes les plages et stations balnéaires du Panhandle, à l’ouest de Panama City. Les premières sont aussi exceptionnelles que les secondes sont tartes. Comment ne pas adorer ces interminables plages de sable d’un blanc si blanc, que l’on jurerait du sucre glace ? Et comment ne pas haïr au premier coup d’œil ces tours de béton de 30 étages grimpées sur leurs flancs ?
Tout n’est pas moche, heureusement. Prenons Seaside, ville idéale, toute de villas riantes pieds dans les dunes, si carrée, si pensée, si tranquille que le visionnaire Truman Show en fit la bulle de son héros (joué par Jim Carrey), grandi depuis sa naissance sous les yeux des projecteurs et des caméras – critique mordante de la téléréalité.
Pensacola, un air de Nouvelle-Orléans en Floride
Après 3 bonnes heures de goudron, Pensacola s’annonce. La principale ville à l’extrémité ouest de la Floride (52 700 habitants tout juste) est une secrète, une pudique. Il faut naviguer d’abord dans le marasme de ses zones commerciales et ses lacis de larges avenues (menant à une base aérienne XXL) pour finir par dénicher le noyau de vieilles bâtisses en bois pleines de charme de son discret downtown historique.
Le quartier, pas géant – et, comme toujours, parfaitement quadrillé –, n’est pas sans rappeler quelque chose de La Nouvelle-Orléans. Normal : les plus anciennes maisons de bois ont été bâties par des marchands français venus de Louisiane au 18e s. Pour le reste, ce sont les Espagnols, surtout, qui ont campé ici. Le coin a même vu la première tentative de colonisation de l’histoire de l’Amérique du Nord, en 1559. Un (autre) puissant ouragan fit tourner court l’aventure, mais la graine était plantée.
Rues soulignées d’orangers, becs à gaz, petits musées attachants, vieille église, bicoque bancale d’une esclave émancipée, fières demeures de marchands et cottages rétro déclinent deux siècles d’histoire, avec leur lot d’anecdotes (en visite guidée).
Le soir, la bière coule à flot au WOB (50 choix à la pression) et au Seville Quarter. En vedettes : le duel de pianos ; les (parfois très bons) concerts du Vinyl Music Hall ; et les concerts jazzy du Five Sisters Café. Devant, un panneau rappelle que le blues est pour ainsi dire né ici, à l’aube du 20e siècle. B. B. King était un fidèle.
Les îles-barrières au large de Pensacola : sous le soleil de Floride
Cure de décibels achevée, il faut prendre le large. De pont en pont. Sur le pont d’un bateau. Face à la côte du Panhandle s’ancrent de drôles de rafiots : des îles de sable, rien que de sable, anciens cordons littoraux longuement étirés par les courants côtiers.
Plusieurs, dans la région, font partie du Gulf Islands National Seashore, une sorte de parc national qui n’en a pas le nom, mais les attributs. De toutes les îles, celle de Santa Rosa, partiellement classée, est la plus accessible : les routes 98 et 399 y enfilent les perles de sable sur une bonne partie de ses 64 km de longueur (pour seulement 600 à 800 m de large en moyenne !).
La station balnéaire de Pensacola Beach y a pris pied, mais le centre et la pointe ouest, préservés, restent le domaine des (courtes) dunes, des pins et des oiseaux marins. Les pélicans y croisent en escadres et les étranges becs-en-ciseaux s’y reposent du poids de leur bec disproportionné (avec lequel ils écument la surface).
Un vieux fort de briques (21,5 millions de briques !) s’amarre là, gardant la baie de Pensacola. Trois autres lui répondent, en face. Ils furent un temps à couteaux tirés : Unionistes ici, Confédérés là-bas. Restent les souvenirs de Geronimo, qui y fut enfermé, des couloirs humides, des bastions enherbés, des batteries de canons. Et l’envie d’une dernière aventure…
De Biloxi, dans l’Alabama voisin, le Captain Pete emmène à la belle saison les Robinsons sur le radeau de sable de West Ship Island. Comme un point d’orgue de ce long road trip aux confins de la Floride. Sous le soleil, exactement.
Fiche pratique
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Comment y aller?
Si les vols vers Miami sont directs et bon marché, on peut néanmoins préférer atterrir à Tampa (avec escale), histoire de se retrouver directement aux portes de la Nature Coast. Autre option : un vol avec changement d’appareil vers Pensacola. Les tarifs ne sont pas beaucoup plus élevés.
Idéalement, on arrivera dans l’un des deux aéroports pour repartir de l’autre… ou même de La Nouvelle-Orléans, à moins de 3 h de route à l’ouest de Pensacola.
Bonne nouvelle : le drop-off (restitution) du véhicule de location) dans une ville différente est gratuit partout en Floride avec la plupart des grandes compagnies ; ce n’est par contre pas le cas si vous poursuivez votre route jusqu’en Louisiane.
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Quand y aller?
Le nord-ouest de la Floride connaît une haute saison décalée par rapport au reste de l’État. On vient ici de préférence au printemps ou à l’automne, et en été pour profiter des plages, même s’il pleut davantage de juin à septembre et que l’air peut se révéler étouffant. Les ouragans se manifestent entre la fin de l’été et l’automne. L’hiver est assez sec et ensoleillé, mais les brumes et brouillards sont alors monnaie courante et les nuits sont fraîches. Côté mercure, attendez-vous à 8-18 °C en hiver et 25-32 °C en été.
Où se loger ?
Si la région est moins touristique que le reste de la Floride, les bons vieux motels sont encore néanmoins au rendez-vous – à des tarifs généralement assez abordables, week-ends et jours fériés exceptés. Tout juste le choix est-il plus réduit. On trouve aussi des hôtels (généralement pas trop grands) et quelques bed & breakfast, mais ces derniers sont en voie d’extinction devant l’essor inexorable des locations par les plates-formes entre particuliers type Airbnb. On peut camper dans de nombreux parcs et forêts d’État, et dans les parcs nationaux ; en saison, mieux vaut réserver sa place à l’avance :
www.floridastateparks.reserveamerica.com et www.recreation.gov
Quelques adresses qui nous ont tapé dans l’œil :
- Chossahowitzka Hotel à Homosassa Springs. . Un adorable petit hôtel en bois de 1910, joliment restauré, entouré de grands chênes drapés de mousses espagnoles.
- Firefly Cottages à Cedar Key. Qu’ils sont mignons, ces bungalows en bois des 1950s repeints en jaune et turquoise ! Ian et Darrin vous y accueillent avec un sourire jusqu’aux oreilles.
- Coombs House Inn à Apalachicola. L’accueil (avec l’accent du Sud !) est un peu impersonnel, mais cette grande bicoque en bois de 1905 ne manque pas de charme. Au choix : des chambres pétries par le temps onsite, ou des suites modernisées dans des dépendances.
- St. George Island State Park Campground à St. George Island. Une immense langue de sable battue par les vagues du golfe du Mexique, des pins à gogo et aucune construction à l’horizon. Emplacements bien séparés et équipés.
- Fort Pickens Campground à Pensacola Beach. Le presque-jumeau du précédent, dans le Gulf Islands National Seashore. Même décor de langue de sable, oasis de verdure (des chênes, ici !) et nature sauvage.
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Liens Internet
Les sites des différents sites et villes :
www.discovercrystalriverfl.com
Les réserves et parcs nationaux principaux :
www.threesistersspringsvisitor.org
www.nps.gov/guis (Gulf Islands National Seashore)
Texte : Claude Hervé-Bazin