La révolution du Routard (paru dans Le Monde)

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A l'occasion de la parution de son hors-série "Partir", Le Monde a demandé à Philippe Gloaguen,  fondateur du Guide du Routard, un article sur la révolution du tourisme vue par le Routard.

Une épopée surprenante et non dénuée d'humour, qui nous raconte les incroyables révolutions du voyage que le Routard a traversé depuis sa création en 1973.

Retrouvez ce texte ci-dessous et dans le hors-série Le Monde "Partir"  (octobre-décembre 2016)

« Pas facile d’évoquer près d’un demi-siècle de tourisme.

Pourquoi ne pas demander à Christophe Colomb son opinion sur les croisières ? On demande toujours l’avis des « vieux cons ».  C’est leur privilège. Effectivement, le « Routard » est né en 1973... Les enfants de Mai 68 avaient le goût de la découverte et des grands espaces. Pour le tourisme, ce sera la ruée vers l’or. Le voyage sentait bon la liberté. La route des Zindes n’était pas encore coupée. On dévorait du macadam pour réaliser ses rêves. Le goût était parfois un peu amer mais le prix de la liberté n’était pas si cher payé. A Istanbul, on lisait les petites annonces du Pudding Shop pour trouver un compagnon de route ...ou une compagne. Encore aujourd’hui, on peut y découvrir la photo d’un routard de la première heure : Bill Clinton.

Qui se souvient du prix en avion d’un Bourget-New York en 1950 ?  Le prix d’une voiture neuve (pas une Mercedes mais au moins une Simca).  Bon, les cigarettes étaient offertes à bord, on se souvient du cendrier dans les accoudoirs.

A la fin des années 1960, les vols charters étaient interdits sur le sol français. Les bus Nouvelles Frontières partaient de la place Denfert-Rochereau à Paris pour Bruxelles. En Belgique, une coopérative, la Sytour, affrétait les vols pour toutes ces associations françaises (Jeunes Sans Frontière, Nouvelles Frontières, FMVJ, Uniclam...) qui cassaient les prix. Des cow-boys qui se battaient contre les compagnies régulières.

Il y avait aussi de drôles de pistolets ! Un magasin de chaussures du 15e arrondissement vendait discrètement des soi-disant massages à Bangkok (doux euphémisme pour des « sex-tours »).  Des dizaines d’hommes (seuls) venaient verser des arrhes, en toute discrétion. Aucun client n’est parti et pourtant aucune plainte ne fut déposée.

Le Point Mulhouse avait acheté un vieux B707 pour desservir l’Afrique, notamment la Haute-Volta (qui deviendra le Burkina Faso). Tout reposait sur deux principes : le bénévolat et la « démerde ». Au retour les soutes étaient remplies de haricots verts africains revendus sur les marchés. Les babas-cools alsaciens proposaient des tarifs cinq fois moins élevés qu’UTA, la compagnie aérienne privée qui tenait l’Afrique avec des tarifs exorbitants. 

Ah ! la guerre contre UTA. Le Guide du Routard s’est toujours rangé du côté la démocratisation du voyage.  Nous avions lancé une croisade contre UTA en publiant un article incendiaire. On mit d’ailleurs le feu aux poudres puisque je reçus un coup de fil enflammé du directeur général, Antoine Veil (le mari de Simone). La presse et les radios reprirent nos arguments. L’animal était aux abois et la compagnie disparut d’ailleurs en 1992, suite  à d’autres grosses difficultés.

Air France jouait plus malin. Il faut d’abord savoir que les règlements internationaux obligeaient officiellement les compagnies aériennes à proposer des tarifs identiques pour une même destination. Et, pourtant, la compagnie nationale avait une politique plus novatrice. Elle avait décidé de cibler les jeunes générations (les clients de demain). Voilà pourquoi il existait  une officine discrète appelée « Air France Jeunes » dans le Quartier latin, avec effectivement des tarifs qu’on ne trouvait pas chez les concurrents. Pour résister à l’arrivée des charters, elle fut la première en 1979 à lancer les « vols vacances ». A l’embarquement, de charmantes hôtesses offraient aux passagers un sac plastique contenant un sandwich, mais les tarifs étaient en conséquence : le Brésil et l’Inde à 3 000 francs (450 €). N’oublions pas non plus les déclarations tonitruantes d’un Jacques Maillot (Nouvelles Frontières) contre les monopoles aériens qui ont bien fait bouger les lignes.

La plupart des agences de voyages rebelles n’ont pas survécu à ces années pionnières. La majorité d’entre elles ont fait faillite. Nouvelles Frontières a été repris par le groupe TUI et Jumbo par... Air France. Les années 1990 voient l’arrivée de jeunes financiers qui non seulement savent compter, mais affichent des valeurs proches de celles des papys fondateurs : liberté et humanisme. Ainsi, chez Voyageurs du Monde et Comptoirs des Voyages, on sait que lorsqu’on part en voyage, l’étranger c’est nous.

Easyjet et Ryanair sont les héritiers des charters de naguère et de la déréglementation. Plus besoin d’intermédiaire (le client économise la commission d’agences). La vraie révolution c’est bien Internet. Les comparateurs de prix donnent le pouvoir aux clients.

Routard.com a été créé en 1996, bien avant les autres. On n’a aucun mérite ; on a découvert le phénomène Internet en se baladant aux Etats-Unis.  Très vite, on a compris qu’il fallait s’adosser à un grand groupe et se lancer sur Internet qui  n’a jamais cannibalisé le papier. D’ailleurs, le guide traditionnel est toujours le meilleur produit nomade : pas besoin de batteries, il supporte le sable, il peut tomber par terre et il est très pratique pour écraser un moustique dans sa chambre d’hôtel. Essayez donc avec votre tablette !

Tout le secret d’un bon site réside dans la gratuité de la consultation. Les internautes détestent payer pour voir. On n’est pas au poker. Pour faire vivre une rédaction numérique et les techniciens, tout  dépend de la publicité. Une marque forte n’est pas suffisante. Il faut aussi un contenu original et de qualité. Une équipe part tous les deux jours pour réactualiser nos informations. L’outil idéal pour dénicher des idées de voyages, développer son  inspiration et partager ses expériences.

Tous les sites de voyages donnent la parole à leurs utilisateurs.  Il faut lire l’impressionnante activité du forum du Routard. L’économie du partage est une réalité forte. Elle est à portée de clics. Certains posent des questions, d’autres y répondent en direct. Au Sri Lanka ou en Californie, l’hôtelier ou le restaurateur qui sort des clous est aussitôt découvert. Notre rédaction reçoit aussitôt (oui, dans la seconde) une flopée de récriminations envoyées par un portable vengeur. A nous de vérifier ensuite le caractère justifié ou non de la plainte. Nos mises à jour sont incessantes. On sait dès le matin que le patron d’un restaurant a changé la carte des desserts la veille.

Que de chemin parcouru depuis l’époque de l’auto-stop et des « Magic Bus » qui partaient en Inde. On voyage plus malin grâce à des informations plus fiables et une réservation d’hôtel à l’arrivée. Même dans un autobus low-cost, le Wi-Fi est de rigueur. L’aventure reste, mais la galère disparaît progressivement du paysage.  Et pourtant, bien des destinations ne sont plus vraiment fréquentables. Tout a changé, même si l’héritage de 1968 a laissé des traces : couchsurfing, Erasmus, voyage sabbatique… Notre lecteur n’est plus toujours étudiant. Il a plutôt 45 ans, il est cadre ou exerce une profession libérale. Ses valeurs n’ont pas changé. Le routard d’hier a toujours détesté le préfabriqué, alors aujourd’hui autant qu’avant, il recherche le vrai.»

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