Malaisie : Malacca, la reine du détroit
Fondée il y a six siècles sur la côte ouest de la péninsule malaise, Malacca a donné son nom au détroit qu’elle borde, 40 km en face de Sumatra.
Située à 150 km au sud de Kuala Lumpur et à 250 km de Singapour, Malacca est un clin d’œil au temps qui passe : figé par le déclin, son état patrimonial cosmopolite, reconnu par l’Unesco, devrait garantir son futur.
Visite d’une ville multiculturelle, ancien carrefour des routes maritimes reliant l’océan Indien à la mer de Chine, dont la vieille cité est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco.
Combien de temps faut-il pour visiter Malacca ?
Il faut deux nuits pour s’imprégner de Malacca, trois pour approfondir sans se presser, aidés d’une plaisante scène culinaire.
Malacca, une histoire cosmopolite depuis 1395
Hindoue puis sultanat, portugaise, hollandaise et anglaise, Malacca appartient à la Malaisie depuis l’indépendance du pays en 1963. Mais elle n’est pas exclusivement « malaise », car elle est peuplée à 40 % de Peranakan Cina, des Chinois arrivés à partir du XVe siècle.
Malacca et George Town, située à Penang, sont inscrites ensemble au patrimoine mondial de l’Unesco pour leur patrimoine multiculturel unique, issu de plus de 5 siècles d’échanges entre l’Asie et l’Occident.
L’odyssée de Malacca débute en 1395 d’après la légende. Cherchant une terre d’accueil, le prince Parameswara observe un cerf-souris (env 70 cm de long !) repousser ses chiens. Courage vaut bon présage : il baptise le lieu du nom de l’arbre l’abritant, un Porong Melaka, utilisé en médecine ayurvédique. Il s’y établit avant de se convertir à l’Islam en 1414.
De 1405 à 1433, le formidable navigateur chinois Zheng He s’arrête à Malacca à chacun de ses sept voyages. Trois cents embarcations dont 70 jonques « trésors » et 20 000 hommes, ça impressionne. Parameswara profite d’un retour pour présenter ses cadeaux au Fils du Ciel, qui lui accorde droit de se prosterner et vassalité. Fin du XVe siècle, Malacca est assez forte pour vaincre une armada du Siam (Thaïlande).
Sous la pression confucéenne, les Chinois se replient brutalement sur eux-mêmes. Le champ est libre pour les Occidentaux.
Gouverneur de l’Inde, le Portugais Alfredo de Albuquerque investit Malacca en 1511, après 6 semaines de siège.
Le petit château A Famosa construit, Albuquerque repart mais fait naufrage vers Sumatra avec son trésor, surtout constitué d’épices. Les 300 hommes restés à Malacca tiennent bon jusqu’au retour des Portugais. En 1538, la forteresse, incluant la colline, atteint 1,8 km de périmètre.
Sans même coloniser le voisinage, les Portugais construisent des entrepôts, un bassin de radoub et collectent des taxes. Mais leur installation à Macao en 1557 crée un appel d’air pour la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC), créée en 1602.
Les Hollandais prennent Malacca en 1641, après 6 mois de siège. Conservant Jakarta comme hub régional, ils contrôlent néanmoins le détroit, tissent de bonnes relations avec les communautés et marquent la ville de leur empreinte : l’essentiel de leurs constructions est encore debout.
Affaiblie par la faillite de la VOC et Napoléon, la Hollande laisse filer la péninsule vers les Anglais. Installés légalement en 1824, ceux-ci se demandent que faire d’un port inadapté à l’inflation des tonnages. Les créations de Georgetown (1786) puis de Singapour (1819) figent Malacca dans le sommeil.
À l’indépendance (1957), la balance penche vers Kuala Lumpur comme capitale. Envasement naturel, polders, Malacca tourne dorénavant le dos à l’océan, situé à 2 km. Pourtant, grimpé sur la colline St-Paul, c’est bien le Rail de Malacca qui guide à l’horizon 40 % du fret mondial.
Niché à l’intérieur du Stadthuys, le musée d’Histoire et d'Ethnographie, malgré son manque de rigueur et biais malais, permet de visualiser l’évolution de Malacca.
84 langues, 100 000 habitants, soit un dixième de la population de son vainqueur lusitanien : le contemporain Tomé Pires fait de Malacca l’une des vingt plus grandes villes du début du XVe siècle.
Patrimoine colonial, malais et Indian chetti
Dans le quartier colonial de Bukit Saint-Paul, partons de la place de l’Horloge, rive droite, celle du pouvoir colonial, dont la couleur rouge emblématique date du début du XXe siècle. Les Hollandais édifièrent le Stadhuys dans les années 1650. Malgré de nombreuses modifications, l’ancienne résidence du gouverneur conserve ses murs épais et grandes fenêtres. On y trouve un Musée historique, un musée d’Histoire et d'Ethnographie et la galerie de l’amiral Cheng Ho.
L’Église du Christ, sa voisine et cadette d’un siècle, arbore un photogénique fronton Dutch Colonial. Son sobre intérieur anglican aide à remarquer les poutres d’un seul tenant et la gravure sur bois de la Cène.
Sur la colline Saint-Paul, les ruines de l’église abritent de vénérables pierres tombales aux motifs pittoresques. La statue de Saint-François Xavier, cofondateur des Jésuites, rappelle ses offices entre 1545 et 1549, puis son enterrement provisoire après sa mort en Chine.
Vers la rivière et 200 m en amont, l’église de Saint-François Xavier, inspirée par la cathédrale Saint-Pierre de Montpellier en 1874, penche comme la tour de Pise.
Au centre de la vieille ville, la mosquée Kampung Kling remonte à 1748. Passée de bois en brique en 1872, elle combine joliment les styles : minaret en forme de pagode hindoue, colonnes corinthiennes, tuiles vernissées anglaises et portugaises, chandelier victorien et gravures d’influences hindoue et chinoise sur l’autel.
Environ 50 m au sud, le temple hindou Sri Poyatha Moorthi, un des plus vieux du pays, accueille toujours des fidèles Chitty, ou Indian Peranakan. Principalement tamouls, ils s’établirent à Malacca dès le XVIe siècle.
Dans un coude de la rivière 1 km au nord du centre, la Villa Sentosa est un bel exemple de maison traditionnelle malaise.
Comme à Angkor, remercions la latérite ! Né de la dégradation des sols tropicaux, ce matériau aux allures de gruyère se venge du temps en conservant les vestiges d’A Famosa et de l’église Saint-Paul. Les Hollandais en firent des briques.
Les Peranakan Cina de Malacca : le patrimoine sino-malais
Le terme malais Peranakan (qui signifie « local par la naissance ») s’applique à plusieurs communautés. Adjoint de Cina, souvent omis, il renvoie aux Chinois arrivés à la période coloniale.
Plus ou moins métissés, en tout cas acculturés, ces Baba-Nyonya, leur autre nom, sont culturellement sino-malais mais chinois de croyances. Les termes Straits Chinese (Chinois des Détroits) et King’s Chinese reflètent leur statut et sentiment. Le créole baba-malais mêle le hokkien de leur origine (région du Fujian) à des emprunts malais et anglais.
Datant de 1673 et situé dans le Chinatown malaccais, le temple Cheng Hoong, dédié à Guanyin, déesse bouddhiste de la compassion, accueille aussi le taoïsme et le confucianisme. De superbes autels et fresques ornent le hall principal. Sous sa toiture, ornée de magnifiques Jian Nian (hauts reliefs scéniques formés de coupés-collés de céramiques), se croisent sans heurts piété, lancés de baguettes divinatoires et touristes, cherchant le célèbre Hollandais de la charpente.
Trois shophouses accolées par la famille Chan en 1862 abritent le musée Baba Nyonya. L’équilibre symétrique de la grande salle de réception, aux superbes panneaux de soie brodée et mobilier marqueté de nacre, suit le modèle mandarinal. L’accès au-delà était réservé à la famille et aux proches.
Admirer les lanternes peintes avant de monter à l’étage. Tournée vers la rue, la chambre des maîtres est arrangée en chambre de mariage. Les costumes, impressionnants, venaient de Shanghai. Durant 12 jours, la cérémonie mélangeait joie et rituels.
Suivent les salles des anniversaires, funérailles et divertissements. Tennis et bowling sur herbe dénotent l’influence anglaise, chansons dondang sayang et keronchong (sorte d’ukulélé), la péninsule malaise et le Portugal.
À l’arrière de la demeure, la salle des ancêtres, encore utilisée 7 fois l’an, précède l’opulente et lumineuse salle à manger. La cuisine, véritable moteur de la maisonnée, recèle des accessoires pittoresques.
En bois sculpté doré à l’or et sans clous – réservés aux cercueils... –, le superbe escalier fut équipé de panneaux au XIXe siècle pour protéger les enfants des voleurs et… empêcher le mari noctambule de rentrer !
Malacca : shophouses d’hier et d’aujourd’hui
La rive droite de la rivière Malacca ravit le promeneur avec la photogénique homogénéité des anciennes shophouses. Seuls quelques temples et le hall des ancêtres la perturbent.
Combinant commerce et habitation, l’architecture sino-coloniale des shophouses, ces « compartiments chinois », évolua avec les styles, du « Hollandais » de 1700 au « Early Modern » de 1960.
Leur plan reste toutefois le même : 6-7 m de largeur sur rue, pour des raisons fiscales, sur 30 à 60 m de longueur. L’absence de fenêtres est compensée par 3 puits de lumière intérieurs, apportant s’il pleut fraîcheur et, selon la croyance, prospérité.
Les nouvelles enseignes sont un signe de vitalité, mais leur vocation touristique pousse les artisans traditionnels hors du centre.
Wah Aik (92 Heeren St) confectionne sur mesure des pantoufles chinoises ornées de perles en 2 à 3 mois. Pour les pressés, des chaussures brodées pour pieds bandés, une pratique heureusement disparue depuis les années 1980.
Observer, sans déranger, la fabrication des tablettes chinoises dans la galerie Fwu Chang (87 Jl Hang Kasturi).
À 1 km au nord-est du centre, le centre culturel Bendahari intègre des rayons librairie et objets artisanaux (moules à gâteaux, tissus).
Créateur d’Orangutan T-shirts (59, Jl Hang Jebat), Charles Cham vécut en France. Citons aussi les carreaux de céramiques de Temple Art & Craft (13 Jl Tokong) et le street art.
Le long de Heeren Street, les passages couverts liant les shophouses, appelés « 5 feet way » pour leur largeur réglementaire, furent pourtant interrompus par des cloisons, les privant ainsi de leurs fonctions originelles. Est-ce le remords, la curiosité ou la sociabilité qui poussa les habitants à y percer des ouvertures circulaires qu'on surnomme affectueusement les « yeux de Malacca » ?
La cuisine peranakan de Malacca
Délice du métissage, la cuisine peranakan se caractérise par l’abondance des produits et épices régionales. Lait de coco, sambal belacan (pâtes d’épices et crevettes), tamarin, feuilles de laksa (goût de menthe et coriandre), gingembre et ses cousins s’apparient avec les cuissons et spécialités de la diaspora.
Quelques plats typiques à déguster :
– Babi Pongteh : ragoût de morceaux gras de porc braisés dans une sauce de haricots de soja fermentés. Succulent et parfumé (cannelle, anis, etc.) ;
– Ayam Buah Keluak : rendue comestible par sa préparation, la chair d’une noix des mangroves est réintroduite dans son enveloppe et dégustée avec du poulet, dans un gravy au tamarin ;
– Nyonya Laksa : soupe épicée de lait de coco et crevettes, aromatisé à la pâte de curry Laksa ;
– Otak-Otak : du poisson haché, additionné de farine et épices, puis grillé dans une feuille de bananier.
Les considérant essentiels à la maisonnée et preuve de bonne éducation, les belles-mères Nyonya jaugeaient le talent de cuisinière de leur future belle-fille, jusqu’à écouter le rythme du pilon dans le mortier !
Fiche pratique
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Comment y aller ?
En bus de Kuala Lumpur ou Singapour, prévoir entre 2 h 30 et 6 h. Vols directs de Paris CDG vers Kuala Lumpur avec Malaysia Airlines et Singapour avec Singapore et Air France. Trouvez votre billet d’avion.
Sur place, le centre se visite facilement à pied.
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Où dormir ?
– Layang Layang : 26 Jl Tukang Besi. Double à partir de RM 100 (21 €). Le QG routard du centre, basique mais propre et sympa.
– Mio Boutique Hotel : 189 Jl Bunga Raya. Double à partir de RM 140 (27 €). Récent, bon rapport qualité prix.
– Deux adresses dans des shophouses de style peranakan : Puri Melaka, 118 Heeren St, à partir de RM 250 (50 €) ; The Baba House, 121, Heeren St, à partir de RM 300 (60 €).
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Où manger ?
– Cuisine peranakan : Peranakan Mansion, 108 Heeren St, tlj sauf mer, cadre superbe, cuisine soignée ; Our Kitchen, Jl Hang Lekir, moins charmant, mais très bien.
– Food court (congrégation de cantines) : Jonker Street Kopitiam, Jl Laksamana ; Mei Sin Cafe, Jl Bunga Raya, jusqu’à 14h.
– Autres restos chinois : Lu Yeh Yen, 154 Jl Bunga Raya, soir seulement. Cuisine cantonaise : Sun May Hiong, Jl Laksamana, mar-dim 10-18h. Brochettes satay à la Hainan.
– Autres cuisines : Saravanna,18 Jl Bendahara. Cuisine indian-chetti, dont des sets green leaf ; Lou Kot, Jl Tukang. Délicieux Biryani, Chapati, Chai, etc., dans une shophouse calme; Waree, 7 Jl Tukang Besi, mer-dim midi slt. La cantine thaïe !
– Street food au Jonker Night Market (ven-dim).
Où prendre un verre ?
– Sin Hiap Hin : 5 Kg Jawa. Jusqu’à 16h. Le plus vieux bar de Malacca
– Les terrasses de Lorong Jambatan, pour se désaltérer jusqu’à tard.
– Mods Cafe : Jl Tukang Emas, déco et machines vintage, très bons cafés.
– Lung Ann : 93 Hang Jebat. Ven-mar 7h-16h. Petit déj. et boissons typiques peranakan.
– The Daughter : Jl Bunga Raya. Boissons et petits plats dans une brocante.
Sites et livres
– Malaisie, un certain regard, S. Jardin et S. Gradeler, Gope Editions ; French Memories of Malaysia, S. Jardin, 2023, Areca Book.
– Lettres de Malaisie : la Malaisie à travers les livres.
Remerciements à Serge et Charles, deux Malaccais émérites.
Texte : Dominique Roland
Mise en ligne :