« Quand tu aimes il faut partir Quitte ta femme quitte ton enfant Quitte ton ami quitte ton amie Quitte ton amante quitte ton amant Quand tu aimes il faut partir »
Extrait de Tu es plus belle que le ciel et la mer, in Feuille de route.
Né voilà 120 ans, Frédéric-Louis Sauser, alias Blaise Cendrars, est de ces écrivains dont le nom est pour toujours associé au voyage.
En train, en bateau, en voiture, il a parcouru l'Europe, la Russie, les Amériques... bien souvent sans un sou en poche.
De ses pérégrinations, Blaise Cendrars a tiré une oeuvre foisonnante. Passionné par les arts et techniques modernes, par les mystiques aussi, il fut à la fois un poète avant-gardiste et un prosateur généreux, un romancier et un reporter. Son oeuvre fascine par la simplicité et l'évidence de son style, par la force des tableaux et des portraits d'où jaillit une humanité rare.
L'auteur de L'Or, de Moravagine et de Bourlinguer alimente aujourd'hui encore notre désir formulé par le titre de son dernier roman : Emmène-moi au bout du monde.
Ce dossier vous propose de le suivre à la trace, en faisant quelques haltes afin de partager certains de ses points de vue.
Signalons, enfin, la parution chez Denoël du dernier volume de l'intégrale consacrée à Cendrars et la réédition augmentée de la biographie que signe sa fille Miriam.
Un jeune homme insaisissable
Le premier jour d'un long voyage
Frédéric-Louis Sauser naît le 1er septembre 1887 dans une famille bourgeoise de La Chaux-de-Fonds en Suisse. Son père est homme d’affaires, sa mère est au foyer. Il a un frère et une sœur.
Une enfance errante
Le père de Frédéric-Louis veut s’imposer comme importateur de bière à Naples. C’est un échec cuisant, mais Frédéric-Louis est tombé amoureux de la région. La famille y reste deux ans (1894-1896), avant d’être rapatriée par l’ambassade de Suisse. Au retour (1897), Frédéric-Louis va à l’école à Bâle, puis est envoyé dans un pensionnat en Allemagne pour y apprendre la langue germanique. Sa détestation de l’école, déjà prononcée, devient sans limites, de même que son aversion pour les Teutons. Que faire de cet olibrius ? Son père lui fait entreprendre des études à l'École de commerce de Neuchâtel (1902). Il n’aime pas cela non plus.
La Russie révèle un poète
En 1904, ça y est ! Freddy prend le large, tout seul. L’adolescent part pour la Russie, laquelle s’apprête à connaître sa première révolution. Il se rend à Saint-Pétersbourg, chez Leuba, un horloger suisse (1905-1907). Il fréquente de jeunes révolutionnaires et, assidûment, la bibliothèque impériale où il se lie avec un bibliothécaire. Celui-ci l’incite à persévérer dans la voie de la poésie. C’est dans ce contexte qu’il rédige La Légende de Novgorod ou de l'or gris, un premier texte édité en 14 exemplaires que l’on a longtemps cru perdu. Ce n’est qu’en 1996 qu’un Bulgare en découvre un exemplaire. Quoique discutée, son authenticité est reconnue. Tout comme celle de ce voyage sur la ligne ferroviaire du Transsibérien que l’écrivain racontera plus tard, en changeant souvent de version. En compagnie d’un certain Rogovine, il serait parti trafiquer en Sibérie, en Asie centrale, en Perse… Il y a au moins une chose dont on est sûr : il est tombé amoureux d’Hélène, qui disparaîtra brûlée vive dans son lit en 1907, alors que Frédéric-Louis est revenu en Suisse.
La vie de bohème d’un bout à l’autre de l’Europe
De retour en Suisse, Frédéric-Louis reprend des études à Berne. Médecine, philo… Insatisfait, il a cependant le bonheur de rencontrer Féla Poznanska avec laquelle il fuit de nouveau. Le voici à Bruxelles, à Anvers, à Londres sans doute – où il prétendra avoir eu comme ami un certain Charles Chaplin… –, puis à Paris où le poète poursuit sa vie de bohème. Dans la capitale française, il fréquente les milieux anarchistes et se lie notamment avec Victor Serge, futur bolchevik. En 1911, Féla part pour l’Amérique et Frédéric-Louis retourne à Saint-Pétersbourg, qu’il quittera rapidement pour rejoindre sa bien-aimée à New York.
Naissance de Blaise Cendrars à New York
Frédéric-Louis poursuit son chemin en roue libre. Quasi asocial, il est déterminé à devenir un écrivain digne de ce nom. Il vit dans la misère. Féla enseigne dans une école anarchiste. C’est sous l’emprise de la faim et de la fièvre qu’il rédige Les Pâques à New York, un long poème qu’il signe du nom de Blaise Cendrars. « Je suis le premier de mon nom, puisque c'est moi qui l'ai inventé. »
Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le Sacrifice Est ici, parquée, tassée, comme du bétail, dans les hospices D’immenses bateaux noirs viennent des horizons Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons.
Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols, Des Russes, des Bulgares, des Persans, des Mongoles. Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens. On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens.
C’est leur bonheur à eux que cette sale pitance. Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance.
Extrait des Pâques à New York.
Dans le bouillon de culture parisien
Cendrars ne tient décidément pas en place. En 1912, le revoici à Paris. Il demeure dans le Quartier latin, dans les locaux de la revue Les Hommes nouveaux qu’il a cofondée. Il fréquente l’avant-garde des arts et lettres de l’époque : Guillaume Apollinaire, Marc Chagall, Fernand Léger… Et puis la peintre Sonia Delaunay, avec laquelle il réalise en 1913 un « livre simultané » sur une pièce de papier de deux mètres de haut, texte et peinture se partageant l’espace. Ils l’intitulent Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France.
En ce temps-là, j'étais en mon adolescence J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance J’étais à seize mille lieues du lieu de ma naissance J’étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours Car mon adolescence était si ardente et si folle (…) J’ai vu J’ai vu les trains silencieux les trains noirs qui revenaient de l’Extrême-Orient et qui passaient en fantôme Et mon œil, comme le fanal d’arrière, court encore derrière ces trains À Talga cent mille blessés agonisaient faute de soins J’ai visité les hôpitaux de Krasnoïarsk Et à Khilok nous avons croisé un long convoi de soldats fous J’ai vu dans les lazarets les plaies béantes les blessures qui saignaient à pleines orgues Et les membres amputés dansaient autour ou s’envolaient dans l’air rauque L’incendie était sur toutes les faces dans tous les cœurs
Extrait de Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France.
La guerre en Champagne
Blaise épouse Féla en 1914 et le couple s’installe à Forges-par-Barbizon (Seine-et-Marne). Ils ont un fils, Odilon, suivi par Rémy en 1915 et Miriam, sa future biographe, en 1919. La guerre est déclarée et Cendrars se rallie à l’union contre l’envahisseur « boche ». Il signe un Appel à tous les étrangers destiné à inciter ces derniers à s’engager pour la France. Pour sa part, il intègre la Légion étrangère. Sur le front, il est blessé au bras droit par une mitrailleuse le 28 septembre 1915. On l’ampute au-dessus du coude. Démobilisé et démoralisé, il passe une année d’errance alcoolisée dans les rues de Paris. En 1916, il est naturalisé français.
Le poète devient romancier au Brésil
Un début de reconnaissance
Épouse et enfants s’installent au hameau de La Pierre à Méréville (Essonne), tandis que Blaise, peu attiré par la vie de famille, rencontre l’actrice Raymone Duchâteau qui partagera sa vie. À Paris, il s’impose dans l’intelligentsia moderniste. Sensible au dadaïsme, puis au surréalisme, Cendrars n’a jamais aimé marcher au pas et se tient à l’écart des groupes qui constituent ces courants. Bien que ses poèmes (J’ai tué, Dix-neuf Poèmes élastiques…) lui apportent une reconnaissance de ses pairs, ils ne l’enrichissent pas. Cendrars s’en sort tant bien que mal. Durant plusieurs années, il fait des allers-retours entre la capitale et le sud de la France où on l’invite et où il écrit.
À défaut de partir…
Codirecteur aux Éditions de la Sirène avec Jean Cocteau, Cendrars publie Le Panama ou les aventures de mes sept oncles. Ce poème évoque le grand scandale financier du début du XXème siècle et la destinée des pseudo-oncles du narrateur. Les récits intègrent des cartes des lignes de chemins de fer. L’ouvrage original prend d’ailleurs la forme d’un guide de voyage. Celui-ci décline toutes les destinations vers lesquelles il ne peut aller.
Je tourne dans la cage des méridiens comme un écureuil dans la sienne Tiens voilà un Russe qui a une tête sympathique Où aller Lui non plus ne sait pas où déposer son bagage À Léopoldville ou à la Sedjérah près de Nazareth chez M. Junod ou chez mon vieil ami Perl Au Congo en Bessarabie à Samoa Je connais tous les horaires Tous les trains et leurs correspondances L’heure d’arrivée l’heure du départ Tous les paquebots tous les tarifs et toutes les taxes
Extrait de Panama ou les aventures de mes septs oncles.
Tenté par le cinéma
Cendrars conçoit le livret du ballet La Création du monde sur une musique de Darius Milhaud pour les Ballets suédois et travaille pour le cinéma avec Abel Gance (J’accuse, La Roue. Il se rend à Rome pour réaliser son propre film, mais le projet échoue. En 1918, il trouve une « petite maison des champs » où s’installer, au Tremblay-sur-Mauldre (Yvelines).
L’Afrique rêvée
Les arts africains fascinent déjà les plasticiens depuis une quinzaine d’années lorsque Blaise Cendrars fait éditer son Anthologie nègre en 1921. Il s’agit de contes et légendes recueillis auprès de colons et de missionnaires. La prise en considération de cette littérature orale est un acte très audacieux pour l’époque. Mythologiques, merveilleux, humoristiques, ces récits fascinent l’écrivain par leur poésie. Ce travail est aussi sans doute un moyen de patienter avant de partir pour le grand Sud. Éternellement fauché, Cendrars va pourtant réussir à concrétiser ses rêves.
Les voyages au Brésil
En 1924, Blaise Cendrars effectue son premier séjour au Brésil. Il est invité par un milliardaire, Paul Prado, à se rendre au pays du bois de Brésil, celui dont on fait des braises et qui devient cendres. Le coup de foudre est immédiat : il fait une halte à Rio, puis débarque à São Paulo, où, rapidement, il est adulé et traité comme un grand écrivain, au point de faire l’objet de nombreux articles dans la presse. Parmi ses amis modernistes locaux figurent le théoricien du « cannibalisme » culturel Oswald de Andrade et Sergio Buarque de Holanda (le père du chanteur Chico Buarque). Il fera de nombreuses virées dans l’intérieur des terres, où il sera fasciné par tout ce qu’il vivra et verra. Voici sa vision de São Paulo :
J’adore cette ville Saint-Paul est selon mon cœur Ici nulle tradition Aucun préjugé Ni ancien ni moderne Seuls comptent cet appétit furieux cette confiance absolue cet optimisme cette audace ce travail ce labeur cette spéculation qui font construire dix maisons par heure de tous styles ridicules grotesques beaux grands petits nord sud égyptien yankee cubiste (…) Tous les pays Tous les peuples J’aime ça
Extrait de Saint-Paul, in Feuilles de route.
Le passage au roman
Ce premier voyage au Brésil, si riche en manifestations de reconnaissance, est décisif. Cendrars se lance dans le récit romanesque, auquel il pensait depuis longtemps. Ses malles et ses neurones sont pleins d’histoires à raconter. En 1924, il sort Kodak, un dernier recueil de poèmes, réalisé à partir de phrases du Mystérieux docteur Cornelius, un roman de Gustave Le Rouge. Cendrars applique ainsi le principe de l’échantillonnage si cher aux musiciens hip hop et électro d’aujourd’hui.
Publié en 1925, son premier roman est un best-seller mondial. L’Or raconte l’épopée du Suisse Johann August Suter en Californie au milieu du XIXème siècle.
San Francisco. La Californie. Suter ! Les trois noms faisaient leur tour du monde, on les connaissait partout, jusque dans les villages les plus reculés. Ils réveillaient les énergies, les appétits, la soif de l’or, les illusions, l’esprit d’aventure.
Extrait de L'Or.
Des histoires en rafales
L’Or est suivi par Moravagine et Dan Yack, deux autres récits retraçant la destinée d’aventuriers. L’un est une sorte de serial killer, l’autre un idéaliste qui entraîne trois jeunes Russes sur l’îlot glacé de Struge. Paraissent ensuite d’autres romans et essais : L’Eubage, Une Nuit dans la forêt, Aujourd'hui, Vol à voiles…
Vous en avez assez de la vie que vous menez ? Moi aussi. Voici ce que je vous propose. (…) J’ai un schooner à vapeur de 192 tonneaux, The Old William, qui lève l’ancre à Liverpool (…). Je serai à bord. Rejoignez-moi. The Old William ravitaille nos flottes de baleiniers dans les mers du Sud (…). Eh bien, moi je vous y mène. Cela vous va-t-il ? Je vous offre un voyage autour du monde et un établissement, mettons d’un an, dans une île qui ne sera qu’à nous quatre.
Extrait de Dan Yack.
Nouveau cap en vue
À présent romancier à succès, Blaise Cendrars s’apprête cependant à aborder une fois de plus un nouveau genre d’écriture.
Un reporter peu académique
Des sujets de reportages éclectiques
Les méchantes langues prétendent que le journalisme mène à tout à condition d’en sortir. Mais il arrive que la poésie et le roman vous entraînent dans l’art du reportage. Un art que Cendrars pratique à sa manière : « Un reporter n’est pas un simple chasseur d’images, il doit savoir capter les vues de l’esprit. » De 1930 à 1939, l’écrivain aborde toutes sortes de sujets. Il commence, pour Vu, par une enquête sur l’affaire Jean Galmot. Cet homme d’affaires périgourdin établi en Guyane a, nous explique Cendrars, fait l’objet d’un complot d’oligarques en raison de son intrépidité et de son implication dans la politique locale. Sa mort est des plus suspectes (Rhum). Cendrars livre aussi des histoires de truands à Excelsior (Panorama de la pègre).
De notre envoyé spécial…
À la demande du jeune Pierre Lazareff, qui vient de prendre les rênes du quotidien Paris-Soir, Cendrars effectue en 1933 un retentissant reportage à bord du Normandie. Durant la traversée inaugurale de ce prestigieux paquebot transatlantique, il fait partager à ses lecteurs la vie des machinistes. Ce sont les soutes qui l’intéressent, pas les salons luxueux ! L’année suivante, L’Or ayant été adapté au cinéma, Cendrars se rend à Los Angeles pour le lancement du film. Il en profite pour réaliser un reportage sur Hollywood, la Mecque du cinéma.
Histoires vraies
Ses derniers reportages, mêlés à des nouvelles fortement autobiographiques, seront réunis dans Histoires vraies (1938), La Vie dangereuse (1939), D'Oultremer à Indigo (1940). Histoires vraies ? Il faut toujours garder à l’esprit, lorsqu’on lit Cendrars, que l’on a affaire à un écrivain chez qui l’imagination est au pouvoir. Dans ses récits, rêves et réalités s’amalgament. Et de cette fusion naissent des récits auxquels on croit, envoûté que l’on est par le produit de son sens aigu de l’observation, de son érudition – il fut un insatiable lecteur d’ouvrages de voyage et de géographie, notamment –, et de sa grande intelligence des passions humaines.
Ainsi, Fébronio nous bouleverse. C’est l’histoire d’un tueur en série de Rio que Cendrars dit avoir rencontré à l’occasion de la visite d’une prison en compagnie d’Albert Londres, lorsque celui-ci vint chercher Dieudonné, le bagnard évadé (voir notre dossier consacré à Albert Londres). Cendrars entend nous faire pénétrer dans l’esprit tourmenté du terrifiant Fébronio, un Afro-brésilien illuminé qui a tué de jeunes garçons.
Quand (…) couché sur une plage il entendait s’ébattre autour de lui et rire à gorge déployée les prestigieuses femmes blanches, les insouciantes mulâtresses cariocas, les ribambelles des heureux petits enfants, dont des cohortes de négrillons ressemblant à des angelots que leurs mères trempaient dans la vague et élevaient dans la lumière comme une offrande, Fébronio fermait les yeux, pris d’un vertige qui n’était pas seulement dû à son estomac creux. (…) Enfin son regard se fixait sur le Pain de Sucre, ce cône de granit, qui des profondeurs de l’océan, d’un seul jet, jaillissait dans les profondeurs de l’azur, comme un rêve de pierre émergeant d’une frange d’écume et d’un ourlet de palmiers, comme un trône, une table de pierre, un autel de sacrifice, dressé face à la capitale du Brésil, comme un lieu désigné, délectable, préétabli.
Extrait de Fébronio.
De nouveau la guerre
Quand la guerre est déclarée en 1939, Cendrars renonce à un tour du monde qu’il devait effectuer à bord d’un voilier. Il devient le correspondant de guerre de Paris-Soir à Arras auprès de l’armée britannique. Ses reportages sont publiés dans Chez l’Armée anglaise, un livre qui lui vaut d’être recherché par l’occupant allemand. Réfugié à Aix-en-Provence, il s’abstient d’écrire jusqu’à ce que la guerre prenne un nouveau tournant. En revanche, il étudie la vie des saints à la bibliothèque du couvent de Saint-Maximin (Var). À partir de 1943, Cendrars se consacre à la rédaction de ses mémoires : L'Homme foudroyé (1945), La Main coupée (1946), Bourlinguer (1948), Le Lotissement du ciel (1949).
Le Bourlingueur
Dans Bourlinguer, Cendrars revient sur ses aventures passées en évoquant des choses vues, vécues et imaginées dans des ports. On doit d’ailleurs à cette œuvre la popularisation de ce verbe issu du vocabulaire des marins. À son énoncé, surgit l’image quasi mythologique du bourlingueur sans attaches ni préjugés, avide de rencontres, curieux de tout et ouvert à toutes les propositions…
Dans le premier récit de cet ouvrage, il nous offre un souvenir d’enfance. Nous sommes avec lui sur le bateau qui le mena d’Alexandrie à Naples. « J’avais quatre ou cinq ans », écrit-il. Il a convaincu un marin de le cacher afin de pouvoir poursuivre le voyage jusqu’en Amérique.
Je me souviens que lorsque Domenico vint me tirer de mon sommeil je nous croyais arrivés à New York et que ma désillusion fut immense lorsque Domenico, qui me serrait fortement dans ses bras, traversa le pont avant et se mit à gravir l’échelle qui menait à la passerelle éclairé de l’Italia où [m’attendait] maman (…). Un autre enfant se fût débattu, eût pleuré, crié, égratigné avec les ongles le visage de cette canaille de matelot qui avait trahi. Certes, l’envie ne me manquait pas (…) ; mais je ne disais rien, je retenais mon souffle. (…) Ma mère me serrait sur son cœur. J’étais malheureux. Puis je tombai malade. - Vous savez, ce n’est rien, dit le docteur. (…) Une infusion le soir ou un peu d’eau de fleur d’oranger, quelques gouttes, ça suffit, ça fait dormir…
Extrait de Naples.
Le bout du monde
Et le bourlingueur se remarie. Le 27 octobre 1949, il épouse Raymone Duchâteau. Cette même année, il écrit La Banlieue de Paris en vis-à-vis des photographies de Robert Doisneau. Installé à Saint-Ségond, près de Villefranche-sur-Mer (Alpes maritimes) en 1948, il quitte cette villégiature pour retourner à Paris deux ans plus tard. En 1956, paraît son dernier roman, Emmène-moi au bout du monde !, l’histoire d’une comédienne en partie inspirée par la vie intrépide de Marguerite Moreno.
Très malade, il est atteint de crises d’hémiplégie qui le paralysent du côté gauche, celui de sa main. Il parvient avec difficulté à écrire de nouveau. Mais peu de temps après avoir été décoré par cet autre aventurier qu’était André Malraux, lequel était alors ministre, il meurt le 21 janvier 1961.
Blaise Cendrars est enterré au cimetière des Batignolles à Paris. En 1994, il reprend la route, mais cette fois pour un nouveau caveau à Tremblay-sur-Mauldre où il demeure actuellement. Qui sait ? Peut-être va-t-il encore repartir, ce sacré bourlingueur !
Pour aller encore plus loin
Livres
Les écrits de Blaise Cendrars
- Tout autour d’aujourd'hui, œuvres complètes en quinze tomes, édition critique établie par Claude Leroy. Éditions Denoël, 2001-2006.
- Blaise Cendrars. La vie, le verbe, l'écriture, de Miriam Cendras. Éditions Denoël, nouvelle édition, revue et augmentée en 2006. La biographie la plus copieuse sur l’écrivain, par sa fille.
- Doisneau rencontre Cendrars, éditions Buchet-Chastel, 2006. Photographies de Robert Doisneau, textes de Blaise Cendrars. Évocation de l’amitié qui lia le jeune photographe d’alors et l’écrivain qui ont réalisé ensemble un travail sur la banlieue de Paris. Évocation de l’amitié qui lia le jeune photographe d’alors et l’écrivain qui ont réalisé ensemble un travail sur la banlieue de Paris.
- L'Homme que fut Blaise Cendrars, de Albert T’Serstevens, éditions Arléa, 2004. Un portrait enlevé et amical de l’écrivain-voyageur par l’un de ses pairs qui l’a connu dès ses jeunes années. Publié la première fois en 1972.
- Aujourd'hui, Cendrars part au Brésil, de Jérôme Michaud-Larivière, Éditions Fayard, 2003. L’auteur suit les chemins pris par Cendrars au Brésil et évalue l’importance des séjours de l’écrivain dans ce pays sur son œuvre.
- Brésil. L’Utopialand de Blaise Cendrars, dirigé par Maria Teresa de Freitas et Claude Leroy, avec des textes inédits de Blaise Cendrars, éditions de L’Harmattan, 1998. Ce qui a passionné Cendrars au Brésil et ce qui a nourri ses poèmes, reportages, nouvelles et mémoires.
- Blaise Cendrars : l’or d’un poète, de Miriam Cendrars, Gallimard, coll. « Découvertes Littératures », 1996. Une courte biographie richement illustrée.
Films
- Éclats de Cendrars, film documentaire de Thomas Gilou (2003), petit-fils de l’écrivain. Avec Miriam Cendrars. Commentaire dit par Bernard Lavilliers. Une belle évocation de l’écrivain. Le rapport entre les œuvres et les lieux où il vécut et passa y est très bien établi.