Amours
d'hier
On
trouve chez de nombreuses ethnies d'Océanie et d'Afrique noire
un mythe selon lequel le monde aurait été créé
par des humains qui, à l'aide de cordes et de poulies, auraient
séparé le ciel et la terre, conférant à leurs
héritiers la mission de les réunir à nouveau en s'unissant
par l'amour. Amour comme alliance cosmique rappelant le Banquet de Platon
et l'union parfaite de ces êtres dont Zeus punit l'insolence en
les coupant en deux, marquant ainsi nos consciences au fer rouge du mythe
de l'âme sœur.
L'autre mythe qui a marqué profondément nos mœurs,
c'est celui de Noé qui en rejetant toute animalité sur les
bêtes a coupé la parole à nos corps, déjà
meurtris par le péché originel.
Si pour les Grecs, la passion est une aliénation, pour les Romains,
un homme amoureux est considéré comme faible. Pour le christianisme,
l'amour trop ardent est un péché.
Jusqu'au XVIIIe siècle, la population est essentiellement rurale
et les femmes restent des objets de transaction dans les mariages arrangés.
Pourtant, dès le XIIIe siècle, on célèbre
déjà la Saint-Valentin, fête du valentinage, du solstice
d'été ou encore fête de mai, période pendant
laquelle les épouses peuvent se jeter au cou de leur galantin ;
ces fêtes permissives accordent un espace ponctuel où les
règles peuvent être transgressées et où le
plaisir peut pour un temps s'épanouir. Cette coutume, venue du
nord, sera réprimée par l'église et la morale bourgeoise
pour ne plus tolérer qu'un adultère sentimental à
l'orée de la période romantique.
Le siècle des Lumières, qui fait revenir le corps et ses
désirs au premier plan, va donner l'impulsion au processus d'individualisation.
Avec la révolution de 1789, le puritanisme bourgeois succède
au libertinage aristocratique, et avec lui, le romantisme va porter les
sentiments aux nues.
Le XXe siècle marquera la naissance de l'alliance du mariage et
de l'amour romantique.
Jusque dans les années cinquante, lorsqu'une demoiselle plaît
à un monsieur, celui-ci lui fait la cour suivant un rite social
très codifié avec la panoplie de cadeaux, de compliments
et de propos romantiques ; s'il se sent perdu, l'Église met
à sa disposition un bréviaire qui lui indique la marche
à suivre…
« L'imagination au pouvoir » scandera la révolution
sexuelle quelques années plus tard… La démocratisation
de la contraception avec la pilule sonne le glas de l'amour chrétien
et agricole ; la sexualité s'émancipe de la procréation,
nos rites amoureux vont s'en trouver bouleversés.
Amours
modernes
La
révolution sexuelle et l'émancipation féminine sont
passées par là, l'art de la conquête à l'aube
du XXIe siècle est devenu subtil et complexe.
Grâce aux diverses possibilités de contraception et à
leur démocratisation, la sexualité sert davantage à
resserrer les liens affectifs.
Exit la drague (dont le nom désigne avant tout un filet de pêche !),
née de la société de consommation et de la libération
des mœurs, exit l'esbroufe, l'heure est à la séduction.
Alors que le laps de temps s'était extrêmement réduit
entre la rencontre et le passage à l'acte, le flirt « nouveau »
réintroduit de la durée pour que séduction et fantasmes
puissent exister.
Si la séduction semble moins sexuelle, chacun est clairement sexué.
Les adolescentes se parent de vêtements près du corps et
tout en transparence, en prenant soin d'éviter la vulgarité ;
leurs corps se dévoilent laissant apparaître bijoux et tatouages ;
de leur côté, les garçons utilisent davantage produits
de beauté et parfums, et s'adonnent au shopping.
La démocratisation d'Internet multiplie les occasions de rencontres
et révolutionne l'art épistolaire, c'est le retour du billet
doux, mais celui-ci est plus humoristique et suggestif que romantique.
Après la révolution sexuelle et la transgression des tabous,
les femmes ont acquis une nouvelle liberté de parole et d'attitude,
ce qui leur ouvre de nouvelles possibilités de séduction,
la beauté n'est plus le seul faire-valoir ; elles ont acquis
leur indépendance économique, balayant dans l'élan
le pilier sur lequel l'homme se reposait.
La libération sexuelle a compliqué la donne, désormais,
on s'observe, on s'effleure en laissant planer le doute ; on rit
en cultivant l'ambiguïté et l'incertitude.
Pour Boris Cyrulnik, éthologue et psychiatre, « la nouvelle
valeur de séduction est l'intelligence au sens large, fini le tape-à-l'œil,
l'heure est à la délicatesse et au raffinement ».
Les fêtes et dîners entre amis sont les terrains intimes où
peut s'exercer la séduction ; à ces occasions, les
femmes n'hésitent plus à engager la conversation. Cependant,
en France aujourd'hui, c'est toujours l'homme qui propose et la femme
qui dispose, laissant à l'homme le soin de faire le premier pas…
Si les rites amoureux se transforment, les 18-35 ans sont 83 % à
voir dans le mariage un engagement pour la vie dont la première
motivation est l'amour (étude BVA, janvier 2005).
Héritiers à la fois des Lumières et des romantiques,
individualistes souffrant de « solitude existentielle »,
nous voici épris d'amour dans une société dépolitisée
et dépassionnée ; enfants de la libération sexuelle,
encore engoncés dans des corps dont la sensualité reste
freinée par de nombreux tabous, nous voici, alchimistes de nouveaux
rites amoureux.
Des
chats au speed dating…
Dans
les sociétés industrialisées, jamais le nombre de
célibataires n'a été si important. Si chaque pays
possède ses particularités amoureuses, certains rites s'internationalisent.
L'heure est au speed dating, à « l'amour-Internet »,
aux sms et aux obligations de la Saint-Valentin.
New York, capitale mondiale des célibataires, est également
la capitale du blind date, rendez-vous à l'aveugle organisé
par des amis communs. Marque d'une civilisation pragmatique qui refuse
la fatalité du célibat, le blind date est l'antidote à
l'incertitude des petites annonces et à la difficulté de
la rencontre.
Tokyo détient le record du nombre d'agences de rencontres avec
5 000 agences.
À Tokyo comme à Québec, les femmes prennent de plus
en plus les choses en main devant l'apathie de la gent masculine.
Partout, Internet et ses sites de discussions, ses sites de rencontres
et ses chats, gagne du terrain. Chaque jour, des centaines de milliers
de personnes de nationalités différentes tentent le choc
des cultures en se rencontrant virtuellement et elles sont de plus en
plus nombreuses à passer le cap du virtuel pour se rencontrer réellement ;
rencontres qui deviennent autant de nouvelles occasions de voyages et
qui, parfois, se transforment en histoires d'amour.
Promesses
d'amour
Saviez-vous
que le blaireau, animal monogame doit chaque année reconquérir
sa compagne au printemps ? Nature ou culture ?
Pour Diderot, « il y a un peu de testicules au fond de nos
sentiments les plus sublimes et de nos tendresses les plus épurées ».
Les « amours primitifs », nous rappellent l'intérêt
central du sexe, puisque, ainsi que l'explique Malinowski, « il
structure vie sociale, religieuse et matérielle. Première
leçon : même dans les sociétés les plus
licencieuses en apparence il y a des règles, des tabous interdisant
l'accès à un certain type de partenaires. Le sexe n'est
ni sale, ni obscène, il est central ».
Nos religions monothéistes, pour s'imposer, ont prétendu
le contraire, coinçant nos corps et abîmant nos esprits dans
la culpabilité et la honte. Preuve de la multiplicité des
mondes qui se côtoient, aujourd'hui encore, deux millions de femmes
subissent chaque année l'excision pour des motifs religieux.
Si l'essentiel des mariages sur terre sont encore arrangés, l'individualisation
de nos sociétés pousse aujourd'hui l'homme et la femme à
se réaliser pleinement ce qui entre en contradiction avec l'idéal
romantique de la fusion amoureuse. Vivre ensemble tout en continuant d'exister
pleinement en tant qu'individus différents, voici le défi
que nous propose de relever la crise de la conjugalité et l'explosion
du nombre des divorces dans nos sociétés. Les nouveaux rites
amoureux s'inventent en ce moment même et progressivement nous revenons
sur nos rigidités culturelles : fidélité sexuelle,
jalousie et possessivité sont autant de comportements hérités
de nos cultures agricoles. Dans nos sociétés de plus en
plus virtuelles, ces schémas rigides auront-ils toujours raison
d'être ? Bientôt nous vivrons en bonne santé jusqu'à
cent-vingt ans, continuerons-nous de souhaiter partager notre vie avec
une seule personne ?
La communauté gay ouvre la voie des amours de demain avec les grandes
fêtes païennes et populaires que sont devenues les Gay Pride
au cours desquelles, hétérosexuels, transsexuels et homosexuels
convoient ensemble dans une ambiance internationale chaleureuse, amoureuse
et festive.
L'homosexualité encore condamnée par de nombreuses religions,
gagne chaque année en légitimité et s'approprie les
formes de romantisme et de conjugalité de l'hétérosexualité.
Le développement du tourisme international ou la mondialisation
ne réduiront pas la diversité des rites amoureux, ils en
multiplieront sans doute le nombre. C'est la mondialisation de la contraception
qui, petit à petit, bouleverse chaque culture en libérant
la femme de l'emprise patriarcale, en même temps qu'elle libère
la sexualité de l'emprise de la procréation.
La
déclaration d'amour : dans un parc, un homme s'agenouille devant une femme
et lui tend des fleurs, en présence d'autres personnes.
Peinture de Jean-François De Troy, XVIIIe s. Berlin, Château de Charlottenburg.
© Hachette Livre
|