Avouons-le :
notre sélection d'extraits qui suit est faite pour vous donner
l'envie de prendre un ticket pour l'une ou l'autre des destinations
de la merveilleuse Terre Humaine. Prêts à prendre la route ?
Arctique
Les derniers rois de Thulé
Jean
Malaurie (1955)
Le récit fondateur de la collection (réactualisé
plusieurs fois), une uvre savante et vivante. Géographe
et géologue, Malaurie se fait anthropologue à force de
côtoyer ses amis esquimaux du nord du Groenland - qui lui rendront
d'énormes services, notamment pour la réalisation de cartes
inédites. Il se dit lui-même « projeté
de la pierre à l'homme ». Comment vit-on dans un igloo
inuit ? Quelle est la meilleure manière de chasser le morse ?
Réponses à ces questions et à des milliers d'autres
dans ce récit foisonnant qui comporte également un implacable
réquisitoire contre ces envahisseurs états-uniens qui
installèrent une base nucléaire en pleine terre inuit.
En 1990, dans Ultima Thulé, Jean Malaurie évoquera
les explorateurs du Grand Nord qui, selon lui, ont produit des travaux
importants sur les populations inuits. À une présentation
de chacun d'entre eux s'ajoutent des extraits de leurs écrits.
En conclusion, il répond aux questions de la journaliste Eva
Rude. Dans Hummocks, paru en deux volumes en 1999, l'auteur fait
littéralement le tour du pôle Nord en revenant sur ses
trente et une missions. Il s'attache notamment à exposer le système
panthéiste inuit et réfléchit à l'avenir
des peuples de l'extrême Nord au sein des États canadiens,
danois, russes et états-uniens.
L'aventure n'est pas le thème principal des ouvrages Terre Humaine.
Mais son esprit souffle sur nombre de ses auteurs, à commencer
par Jean Malaurie lui-même :
« Novembre 1950 : je suis, un soir, sur mon traîneau
à chiens. Dans la nuit polaire, à la lumière de
la lune, je reviens par le détroit de la Baleine, faisant route
vers ma base de Siorapaluk. (
) Tout ce qui m'entoure m'apparaît
noir anthracite. Je suis seul pour la première fois, et à
la commande de mon attelage. (
) Je progresse, joyeux de cette
liberté nouvelle, dans le désert polaire, après
avoir surmonté de grandes difficultés aux prises avec
ce couple complexe qu'est l'homme et son attelage. J'avance sur une
mince glace de trente centimètres d'épaisseur, au-dessus
d'une mer profonde de mille mètres. Les Esquimaux m'ont bien
recommandé de ne pas m'approcher des caps où la glace
est plus mince - mais comment les reconnaître dans la nuit lunaire ?
Les crevasses peuvent s'y ouvrir brutalement et beaucoup s'y sont perdus.
Néanmoins, j'éprouve un sentiment d'heureuse détente,
tant l'unité avec mes chiens est forte
Je la ressens comme
une grâce qui me rend invincible et je chante du grégorien,
tentant aussi de me remémorer les phrases musicales, dans leur
continuité, de la sombre ouverture de Don Giovanni. L'odeur forte
de peau de bête de ma qulitsaq et de ma propre sueur monte à
mes narines. Je ferme les yeux. » Extrait de Ultima
Thulé.
Après une telle virée, on rentre dans son igloo :
« L'atmosphère est toute de patience et d'attente.
Chacun a maintenant les yeux fixés devant soi, les bras accoudés
sur les genoux. (
)
L'homme bricolerait-il que son esprit serait ailleurs. Il attend, il
espère l'événement qui ne manquera pas de se produire
et le tirera de la monotonie de ses loisirs.
C'est Pualuna qui, le premier, va nous le fournir. Il a senti
le moment de conter une légende. Ces récits fabuleux expriment
les pensées les plus profondément enfouies, les plus secrètes.
Ils font émerger le fond des âges où hommes et bêtes
se parlaient
».
Amazonie
Tristes tropiques
Claude
Lévi-Strauss (1955)
« Je hais les voyages et les explorateurs. Et voici que
je m'apprête à raconter mes expéditions. »
Ainsi débute Tristes tropiques, le deuxième volume
de la collection. Il est l'uvre Claude Lévi-Strauss, ethnologue
que Jean Malaurie pousse à raconter ses découvertes en
terres indiennes d'Amazonie durant les années 1930. Lévi-Strauss
réécrit très vite son travail sous forme de récit
de voyage aux accents philosophiques, sans imaginer que ce texte va
toucher un très large public mêlant initiés et novices.
« Comment on devient ethnographe », « Les
vivants et les morts », « Un petit verre de rhum »,
tels sont quelques-uns des titres de chapitres de cette confession qui
mêle travail ethnographique et autobiographie. Le chercheur ne
cache pas ses doutes, ses fragilités, tant professionnelles que
personnelles - comme beaucoup d'autres auteurs de la collection d'ailleurs.
Le voici au terme d'un de ses séjours dans la jungle amazonienne.
Il croise la route d'un groupe d'Indiens tels qu'il en cherchait :
« Ces Indiens, qui se désignaient eux-mêmes
du nom de Mundé, n'avaient jamais été mentionnés
dans la littérature ethnographique. Ils parlent une langue joyeuse
où les mots se terminent par des syllabes accentuées :
zip, zep, pep, zet, tap, kat, soulignant leurs discours comme des coups
de cymbales. (
) J'ai passé chez eux une plaisante semaine,
car rarement hôtes se sont montrés plus simples, plus patients
et plus cordiaux (
).
Pourtant, cette aventure commencée dans l'enthousiasme me laissait
une impression de vide.
J'avais voulu aller jusqu'à l'extrême pointe de la sauvagerie ;
n'étais-je pas comblé, chez ces gracieux indigènes
que nul n'avait vus avant moi, que personne peut-être ne verrait
plus après ? Au terme d'un exaltant parcours, je tenais
mes sauvages. Hélas, ils ne l'étaient que trop. Leur existence
ne m'ayant été révélée qu'au dernier
moment, je n'avais pu leur réserver le temps indispensable pour
les connaître. Les ressources mesurées dont je disposais,
le délabrement physique où nous nous trouvions mes compagnons
et moi-même (
) ne me permettaient qu'une brève école
buissonnière au lieu de mois d'études. Ils étaient
là, tout prêts à m'enseigner leurs coutumes et leurs
croyances et je ne savais pas leur langue. Aussi proches de moi qu'une
image dans le miroir, je pouvais les toucher, non les comprendre. Je
recevais du même coup ma récompense et mon châtiment.
Car n'était-ce pas ma faute et celle de ma profession de croire
que des hommes ne sont pas toujours des hommes ? ».
Pacifique sud
Les Immémoriaux
Victor
Segalen (1956)
La Polynésie avant et après la colonisation et, surtout,
le travail prosélyte des missionnaires chrétiens. Adoptant
la forme de roman, Segalen - qui connut Tahiti en tant que médecin
de marine - entreprend une critique virulente de la « civilisation »,
autrement dit la civilisation européenne. Terii, qui en est le
personnage principal, témoigne de l'acculturation qui touche
le peuple maori. Publié en 1907, ce livre oublié est aujourd'hui
devenu un grand classique. Sa réédition l'a enrichi de
nombreux documents.
Tout de même, les littérateurs contemporains des conquêtes
coloniales n'étaient pas nombreux à exprimer le point
de vue des « indigènes ». Ci-dessous, un
Maori fustige ses semblables en train d'abandonner leur culture :
« Vous avez perdu les mots qui vous armaient et faisaient
la force de vos races, et vous gardaient mieux que les gros mousquets
de ceux-ci
Vous avez oublié tout
et laissé
fuir les temps d'autrefois
(
) Les immémoriaux que
vous êtes, on les traque, on les disperse, on les détruit ! ».
Afrique
Afrique ambiguë
Georges
Balandier (1957)
Juste avant la décolonisation, cet ethnologue qui a largement
contribué à l'émergence du concept de tiers monde,
présentait l'état de ses recherches et de ses réflexions
sur l'avenir possible des peuples de l'A.O.F. et de l'A.E.F. Dans un
même mouvement, il se livrait à une critique en règle
de la manière dont les Européens percevaient (perçoivent
encore ?) les cultures africaines.
Ainsi, évoque-t-il le regard porté sur les objets exotiques
exposés dans les musées :
« Les objets, dépaysés à travers
l'espace ou les siècles, séparés de leur environnement
humain, gardent une absolue passivité. Et nous nous sentons d'autant
plus libres vis-à-vis d'eux qu'ils sont plus éloignés
de nous. Nous les chargeons de significations qui nous satisfont à
bon marché ; ils deviennent symboles de sauvagerie, images
de perfection artisanale ou prétextes à libération
intérieure. ».
Amérique du Nord indienne
Soleil Hopi
Don
C. Talayesva (1959)
Les mémoires d'un Indien Hopi de la première moitié
du XXe siècle - les Hopis sont localisés au sud des États-Unis.
Un temps tenté par l'assimilation au monde anglo-saxon, Talayesva
s'en détourne pour vivre selon les traditions ancestrales de
son peuple. L'ouvrage a été écrit en collaboration
avec le sociologue Leo W. Simmons.
Ce livre est riche d'enseignements :
« Pour faire l'amour, il y a des manières bonnes
et mauvaises. Mon vieil oncle Kayayeptewa nous a souvent raconté
ses propres expériences : on lui demandait, pour rire, comment
il faisait pour se trouver tant de femmes de rechange ; ce qu'il
conseillait, c'était de demander poliment à la femme ;
il disait : D'abord, elle dira non et elle t'enverra promener,
mais ce ne sera peut-être pas sérieux. Attends encore quatre
jours et redemande-lui ; elle dira non, mais elle t'engueulera
moins ; quatre jours encore, elle aura peut-être l'air indécis,
mais à la quatrième demande, elle dira probablement oui.
Si elle reste froide, fous-lui la paix. ».
Asie du Sud-Est
L'Exotique est quotidien
Georges
Condominas (1966)
L'ethnologue franco-vietnamien a partagé la vie quotidienne des
Mnong Gar. Avec lui, on pénètre les forêts montagnardes
du Vietnam et l'on découvre un peuple singulier dont l'identité
est mise en péril.
L'excitation qu'il éprouve au début de son séjour
fait plaisir à lire :
« Lorsque, après m'avoir déposé avec
mes bagages devant la case de passage, la voiture du Dr
Choumarra eut disparu sur la piste de Phii Ko', je fus envahi par une
immense joie : j'étais maintenant seul, à pied d'uvre.
Bref dans le bain. Finis les atermoiements, les hésitations,
la peur de l'échec, les craintes multiples, notamment celle d'avoir
oublié la langue ! Désormais, je n'avais plus à
me laisser distraire par des problèmes personnels ; je n'avais
plus qu'un objectif : m'intégrer dans la société
mnong gar, et, plus spécialement, dans celle de ce petit village,
isolé dans l'immensité de la forêt. ».
Amérique du Nord
Louons maintenant les grands hommes
James
Agee et Walker Evans (1972)
En 1936, le magazine Time-Life envoie James Agee enquêter sur
la pauvreté qui règne chez les paysans de l'Alabama. Saisi
par ce qu'il voit, entend, sent et comprend, le journaliste écrit
un chef-d'uvre du journalisme - le vrai ! - complété
par les photographies de Walker Evans.
Ce que c'est que d'être blanc ou noir de peau dans le Deep South
Voici ce qui arrive lorsque les deux reporters - blancs - s'approchent
innocemment d'un couple d'Afro-américains pour leur demander
un renseignement :
« Au crissement de mes chaussures sur le gravier, la jeune
femme parut s'accroupir dans une secousse de tout le corps, et le pied
gauche lui manquant sur la pierre lâche du trottoir elle tomba
presque, et à la façon d'une vache qui, ayant reçu
un coup de pied, s'enfuirait d'une mare, le regard fou et le menton
tiré elle s'élança comme au galop, non comme un
être humain, comme un bête sauvage terrifiée subitement.
Dans le même instant, le jeune homme se figea, tous les sens dans
son visage effaré braqués sur moi, sa main droite raidie
vers sa compagne, laquelle, après deux ou trois foulées,
la conscience reprenant le dessus sur les réflexes, était
venue à s'arrêter, se tenant debout, non pas droite mais
malade à mourir. ».
France
Le Cheval d'orgueil - Mémoires d'un
Breton du pays bigouden
Pierre-Jakez
Hélias (1975)
Bienvenue à Plozévet, paroisse bigoudène. L'auteur
raconte une société bretonne en voie de disparition en
se souvenant de son enfance et en restituant des récits de son
grand-père. Énorme succès, ce livre a accompagné
le renouveau des folklores régionaux qu'a connu l'Europe dans
les années 1970 - il a été écrit en breton.
Le Cheval d'orgueil, qui fera l'objet d'une adaptation cinématographique
signée Claude Chabrol, connaîtra une suite, Le Quêteur
de mémoire (1990) du même Hélias.
Un beau matin, le petit Pierre découvre l'école de la
République :
« L'entrée à l'école ne se fait pas
sans appréhension le premier jour. À peine la barrière
franchie, nous voilà dans un autre monde. C'est un peu comme
à l'église, mais beaucoup plus déconcertant. À
l'église, on parle, on chante en breton, le catéchisme
est en breton. Si le curé débobine du latin, du moins
ne nous demande-t-il pas de l'apprendre. À l'école, nous
n'entendons que du français, nous devons répondre avec
les mots français que nous attrapons. Sinon, nous taire. ».
Europe
L'Été grec - Une Grèce
quotidienne de 4 000 ans
Jacques
Lacarrière (1976)
La Grèce racontée au rythme du pas d'un marcheur, sur
la route ensoleillée d'un poète érudit, libre de
toute attache. Au terme, provisoire, de trente ans de pérégrinations
à travers péninsule et îles hellènes, Lacarrière
nous fait partager ses découvertes. Son escale sur le mont Athos
où logent de fascinantes communautés religieuses orthodoxes
et nombre d'ermites est particulièrement mémorable. Une
dizaine d'années plus tard, dans Chemins d'écriture
(1988), Jacques Lacarrière évoquera son parcours intellectuel,
les auteurs et les lieux qui l'ont inspiré.
Récit quasi picaresque, L'Été grec comporte
des passages savoureusement cocasses :
« C'est à Dionysios, au cours de mon dernier séjour,
que je fis une rencontre mémorable : celle de Christos,
un ouvrier d'Épire qui venait chaque année pour travailler
au mont Athos. Tout le monde le connaissait et l'estimait car il rendait
de grands services. (
) Son point de vue sur Athos n'avait rien
de très religieux. Il respectait les moines, les offices, Dieu,
le Christ et la Vierge mais n'en faisait en fait qu'à sa tête.
À chacun son domaine, me dit-il un soir dans la cuisine
du monastère. Aux moines le vin de messe, à moi le vin
tout court. Car Christos buvait ferme mais avec art, je dirais
même avec science. Il m'initia à un aspect essentiel d'Athos
qui ne figure nullement dans les anthologies mystiques : savoir
où nichaient les bonnes caves et les meilleurs archontaris :
Les meilleurs moines, disait-il en fermant les yeux, sont ceux
qui font le meilleur vin. Si on ne sait pas faire du bon vin avec de
bonnes vignes comme ici, comment feraient-ils quelque chose de bien
avec leur âme, ce qui est beaucoup plus difficile ? ».
Moyen-Orient
Le Désert des déserts
Wilfried
Thesiger (1978)
La fascination du désert a inspiré un grand nombre de
voyageurs, qu'ils soient aventuriers, mystiques, chercheurs ou encore
simplement passionnés comme cet auteur. Publié originellement
en 1959, ce livre relate les séjours de Thesiger au cur
de tribus bédouines d'Arabie.
« Ce que je cherchais, à travers les épreuves
qu'impose l'exploration des déserts et au contact des peuples
qui les habitent, c'est la paix de l'âme. Certes, j'avais assigné
un but à chacun de ces voyages, mais il n'avait en soi que fort
peu d'importance. (
) Non, ce n'est pas le but qui importe, mais
le chemin qu'on accomplit pour l'atteindre, et, plus le parcours est
difficile, plus le voyage a de prix. (
) Mon hostilité à
l'égard des inventions modernes tient peut-être précisément
à ce qu'elles rendent les choses trop faciles. (
) Pour
ma part, je n'aurais guère aimé traverser le Désert
des déserts en automobile. Heureusement, cela était impossible
à l'époque où j'entrepris mes voyages, car franchir
les Sables à dos de chameau, alors que cela pouvait se faire
en voiture, aurait réduit l'aventure à un simple exploit
sportif. ».
Amérique
latine
Les Veines ouvertes de l'Amérique latine
Eduardo
Galleano (1981)
D'abord édité en 1971, cet essai écrit par un journaliste
uruguayen raconte comment les oligarchies latino-américaines
s'y sont prises pour tenir tous les pouvoirs entre leurs mains. L'auteur
attaque vigoureusement les gouvernements états-uniens dont il
dénonce le rôle dans cette mainmise. Même si les
situations ont évolué, certains mécanismes sont
encore en parfait état de marche.
Dans le passage suivant, Galleano évoque un fameux révolutionnaire
nicaraguayen :
« L'épopée d'Augusto César Sandino
émut le monde. La longue lutte du chef guérillero du Nicaragua
évolua vers la revendication agraire et aiguillonna la colère
paysanne. Pendant sept ans, sa petite armée en haillons lutta
à la fois contre les douze mille envahisseurs nord-américains
et contre les membres de la garde nationale. On fabriquait les grenades
avec des boîtes à sardines pleines de cailloux, on se battait
avec les fusils Springfield arrachés à l'ennemi et les
machettes ne manquaient pas (
). Ni le feu nourri de l'infanterie
de marine ni les bombes qui pleuvaient des avions ne réussirent
à réduire les rebelles (
). Le chef guérillero
fut invité par le président à une réunion
décisive à Managua. En chemin, il fut tué dans
une embuscade (
). Somoza, alors responsable militaire ne tarda
guère à s'installer au pouvoir. Il gouverna le Nicaragua
pendant un quart de siècle et ses fils héritèrent
de la fonction. ».
Australie
Rêves en colère - Alliances aborigènes
en Australie
Barbara
Glowcezwski Barker (2004)
L'auteur connaît bien les Aborigènes d'Australie. Cette
directrice de recherches au CNRS est en effet mariée à
l'un d'eux et arpente le pays depuis plus de vingt ans. À travers
les récits que lui ont confiés de nombreux Aborigènes
du Nord-Ouest, l'anthropologue expose la vision du monde de ces derniers.
Toujours menacée mais encore très vivace, la culture de
ce combatif peuple premier est en grande partie bâtie à
partir de signes, dont ceux que leur livrent les rêves ou la nature.
« La plupart du temps [les noms de lieux] sont dits avoir
été formés par le végétal et l'animal
qui y est associé sous forme d'un peuple de Rêve qui a
laissé là son empreinte. Sa trace de disparition sous
terre devient une grotte, son sang un gisement d'ocre, ses larmes un
trou d'eau, telle partie corporelle démembrée ou tel organe
devient un rocher. (
) Cette géographie mythique qui est
au cur de l'apprentissage initiatique préserve en chaque
homme et femme la mémoire du lien sacré qui les unit aux
plantes, aux animaux et à toutes les forces du cosmos, vent,
pluie, feu et étoiles.
Pour beaucoup d'anciens, la terre n'est plus la même : l'introduction
de nouveaux animaux et plantes a modifié la flore et la faune,
et les forages miniers avancent comme des taupes qui érodent
tout sur leur passage. (
) La tentative de domestication technologique
du désert semble ainsi effacer un grand nombre de traces ancestrales
dont le langage de traits topographiques racontait l'histoire depuis
des millénaires. ».