La neige
Dès 1897, une rumeur se répand dans toute l'Amérique,
balayant tel un vent de folie la baie de San Francisco : il y a
de l'or dans le Klondike ! Il n'en faut pas plus pour aiguiser l'inextinguible
soif d'aventure du jeune London et solliciter sa fibre bohème. Le
25 juillet de la même année, notre apprenti bourlingueur, ivre d'espoirs,
s'embarque pour le Nord ! Au bout du voyage, il découvre un pays
de solitudes glacées, sauvage, d'une indicible beauté. Il y passera
un an d'efforts, de souffrances, de prospections, à braver dangers,
rapides, privations. Il en reviendra malade du scorbut… avec pour
toute fortune : 4 dollars 50 cents en poche ! Mais il dira de cette
expérience : " C'est dans le Klondike que je me suis réellement
découvert. Là-bas, personne ne parle. Tout le monde pense. On y
développe une vraie vision des choses. Ce fut mon cas ".
Premiers souvenirs de ce pays de neige, Jack London
publie en 1900 un superbe recueil de nouvelles intitulé Le Fils
du loup. À partir de là, naît sa véritable vocation : il devient
un écrivain officiel, reconnu. Il hérite - ravi -, du surnom de
" Kipling du Nord ". Ces incursions au Klondike vont encore lui
porter bonheur. C'est toujours en évoquant cette nature de beauté,
de violence, à laquelle l'homme doit sans cesse se mesurer, qu'il
va gagner ses véritables lettres de noblesse. En 1903, un autre
récit balayé par les blizzards du Klondike, L'Appel de la forêt,
vaudra à London une reconnaissance mondiale immédiate. Dorénavant
- et durant toutes ses années de productions littéraires -, Jack
London sera l'auteur le plus célèbre et le mieux payé d'Amérique
(de 1899 à 1916, il rédigera un millier de mots par jour et vendra
chaque mot qu'il écrira. En dix-sept ans, il publiera plus de cinquante
livres et signera plus de mille articles publiés séparément !).
Ses aventures dans le grand Nord vont lui inspirer
d'autres romans et nouvelles : Fille des neiges, Belliou la fumée,
Construire un feu, Les Enfants du froid, En pays lointain, Le Mépris
des femmes (théâtre), Souvenirs et aventures du pays de l'or,
Radieuse Aurore… mais surtout, absolu trait de génie, l'admirable
Croc Blanc, à la fois fable philosophique et récit d'initiation,
bouleversante histoire d'un demi-loup qui découvre, lardé de désillusions
et de plaies, le monde cruel des humains. Sur cette terre de silence
et de neige, située en Alaska, entre le Canada et les étendues glacées
du cercle arctique, se joue le plus farouche des enjeux : la lutte
pour la vie ! Ce thème, récurrent dans toute l'œuvre de London (cf.
notamment ce petit chef-d'œuvre qu'est L'Amour de la vie),
bat au cœur de ce roman que London définira alors comme " évolutionniste
". Enfin, de ce périple au pays de l'or, il faut citer un fait important
: la rencontre de London et des ethnies amérindiennes. Il assiste,
impuissant et grave, à l'anéantissement d'un peuple de guerriers
et de sages face à la folie insatiable et absurde des Blancs. En
naîtront des textes d'une incandescente lucidité, notamment : La
Loi de la vie, La Manière des Blancs, La Piste des soleils, L'Imprévu
(un sommet !) ou La Ligue des vieux que London définira comme
" la meilleure nouvelle que j'aie jamais écrite ".
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