Congo River, au-delà des ténèbres
Plus qu’un documentaire, Congo River est une aventure : la remontée des 4 371 km du fleuve Congo, de l’embouchure à sa source. Et, au-delà de l’exploit, le portrait saisissant d’un pays au cœur de l’Afrique, à l’histoire tragique et à l’avenir incertain. Ne manquez pas cet hymne à la vie et au continent noir, qui sort en salles le 5 avril.
Sur les traces des grands explorateurs
Dans son roman culte Au Cœur des ténèbres (adapté au cinéma dans Apocalypse
Now), Joseph Conrad livrait un récit halluciné de la remontée du fleuve
Congo, tout en témoignant des horreurs de la colonisation. C’est avec Conrad
en tête que le réalisateur belge Thierry Michel a réalisé le très beau Congo
River. Ce documentaire nous fait remonter les 4 371 km du Congo,
au cœur de l’un des plus grands bassins fluviaux du monde. Un périple démesuré,
à l’image du pays auquel le fleuve donne son nom : le Congo, une terre
marquée par la tragédie coloniale et déchirée par plusieurs années de guerre.
Auteur de plusieurs documentaires sur le Congo (Le Cycle du serpent ;
Mobutu, roi du Zaïre…), Thierry Michel explore dans son dernier film le
cœur sauvage de ce pays. Congo River est né d’une aventure. Pendant sept
mois, le réalisateur et son équipe ont parcouru le fleuve sur les traces des
premiers explorateurs de la région, Stanley et Livingstone. Le tournage, particulièrement
difficile, les a conduits à voyager en compagnie des Congolais, sur des barges
et des pirogues, en partageant leur vie et leurs galères. Aujourd’hui, la plupart
des infrastructures routières et des voies ferrées congolaises sont, en effet,
impraticables. La voie fluviale constitue le seul moyen possible pour traverser
le pays, et, aux yeux de Thierry Michel, le connaître : « Le fleuve,
c’est le pays lié à son histoire. Il porte le même nom, il est lié à sa grandeur,
sa démesure, ses tragédies ».
Le Congo, terre emblématique du continent africain
Bien plus qu’un simple récit d’aventures, Congo River est un film sur
le Congo, pays emblématique de la terrible histoire de l’Afrique. En remontant
le fleuve, Congo River nous fait aussi remonter le temps, à la rencontre
des vestiges du passé. Au cours du voyage, des images d’Épinal, issues des actualités
belges du « bon vieux temps des colonies », viennent nous rappeler
que le Congo actuel est l’héritier de l’exploitation coloniale. La Belgique
a pillé les richesses naturelles du pays (caoutchouc, cuivre…) jusqu’en 1960.
Puis vint la sanglante dictature de Mobutu, évoquée par des documents d’archives
et une séquence hallucinante : une promenade dans l’un des châteaux à l’abandon,
envahi par les ronces, que Mobutu a fait construire sur la rive.
Au-delà des ténèbres de l’histoire, il y a la vie. Celle des Congolais, dont
le destin est étroitement lié au fleuve. Congo River contient de nombreuses
scènes de la vie quotidienne sur l’eau, comme le transport du bétail, les marchés
sur les rives ou les aléas de la navigation, particulièrement dangereuse. Le
film montre aussi la relation panthéiste des gens au Congo, comme la croyance
à l’« esprit des eaux », qui serait à l’origine des ravages de la
maladie du sommeil. Il revient à plusieurs reprises sur l’importance grandissante
de la religion chez les Congolais, déçus par les promesses que leur histoire
n’a su tenir depuis la colonisation. Les scènes de ferveur religieuse, lors
de séances de prédications évangélistes, sont particulièrement frappantes.
Une odyssée au-delà des ténèbres
La remontée du Congo conduit, peu à peu, vers les ténèbres. La réalité rejoint
alors la fiction de Conrad, comme si rien n’avait vraiment changé en Afrique.
Ainsi, le haut du fleuve traverse des régions en proie à la violence, après
des années de guerre civile qui ont fait de deux à trois millions de morts.
Congo River montre alors ces images que l’on ne voit jamais au JT de
20 h : ces enfants oubliés, qui fouillent dans les mines de cuivre
et de cobalt pour 40 centimes par jour, ces milliers de femmes victimes
de viols collectifs ou le colonel Kindu, chef des rebelles lumumbistes Maï Maï.
Fier de ses crimes et fou de la Bible, il se croit possédé par l’esprit de l’eau
et l’âme du leader indépendantiste Patrice Lumumba. Une figure de la folie guerrière
des hommes, qui rappelle le colonel Kurtz d’Au Cœur des ténèbres.
Et puis, enfin, arrive la source… Congo River s’achève sur l’apaisement,
dans une clairière d’où sourd le mince filet d’eau qui donne naissance au puissant
Congo. On comprend alors que ce beau film est un voyage initiatique,
une quête de l’Afrique éternelle et de ses racines. Une Afrique dont la résistance,
le courage et l’incomparable instinct de survie font que, jusqu’au cœur des
ténèbres, l’espoir reste toujours possible.
Pour en savoir plus
Congo River, au-delà des ténèbres
Réalisateur : Thierry Michel
Montage : Marie Quinton
Musique : Lokua Kanza
Narration : Lyre Mudaba Yoka, Thierry Michel, Olivier Cheysson
Durée : 1 h 56
Sortie en France dans une trentaine de salles et, à Paris, à l’Espace Saint-Michel
(dans le 5e arrondissement).
Pour compléter Congo River
Mobutu,
roi du Zaïre, un excellent documentaire sur le Maréchal Mobutu, qui
dirigea le Zaïre d’une main de fer pendant plus d’un quart de siècle. Également
réalisé par Thierry Michel et distribué en DVD par Pias.
Texte : Jean-Philippe Damiani
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