Chanté Nwèl : Noël métisse en Martinique
Véritable fête populaire, les Chanté Nwèl soulèvent l’enthousiasme des Martiniquais lors de la période des fêtes de fin d’année. Partout sur l’île, des groupes interprètent des cantiques et des chants populaires revisités à la mode créole. D’où viennent les Chantè Nwel ? Quel message véhiculent-ils ? Explications sur une tradition 100 % antillaise, très vivante et en perpétuelle mutation.
Préparez votre voyage avec nos partenairesUne tradition importée d’Europe
« Mon filao, beau filao, que j’aime ta souplesse / Quand tu naquis au pays chaud / On te baptisa filao ». Aux Antilles françaises, Mon beau sapin, Minuit chrétien, Petit papa Noël, sont connus sous le nom créole de Chanté Nwèl. Comme le précise Marie-Hélène Joubert, spécialiste de la tradition de Noël aux Antilles françaises, les cantiques ont été composés en Europe dès le Ve siècle, en latin. Ils ont ensuite été traduits en langue vernaculaire avant de passer dans la culture populaire.
Ils sont arrivés aux Antilles avec les missionnaires. Au départ, ce sont les Jésuites qui les ont enseignés. Les Antillais les interprètent en bon français ou en latin au son d’instruments européens. Mais, ces chants vont se créoliser peu à peu. En effet, la période de Noël est contemporaine des fêtes de la fécondité de certaines religions africaines importées par les esclaves. Ces derniers ajoutent progressivement leurs propres symboles et codes culturels aux chants de Noël.
Les Chanté Nwèl, fruits du métissage
C’est ainsi que les airs venus d’Europe deviennent biguine, gwo ka, bélé. Les textes liturgiques demeurent tels quels mais des couplets, souvent issus d’improvisations en cours d’exécution, sont ajoutés. Fruits d’un véritable syncrétisme, les Chanté Nwèl témoignent de la faculté d’appropriation des populations locales. De forme imposée, le cantique de Noël devient une expression proprement antillo-guyanaise. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, le Chanté Nwèl est inscrit au patrimoine immatériel martiniquais en grande partie grâce à Loulou Boislaville, directeur du groupe folklorique de la Martinique, auteur compositeur de la plupart des Chanté Nwèl en créole. On ne citera ici que son fameux « an nou Chanté Nwèl » dont la ritournèl (refrain) est assez explicite : « Nowèl ! Vini soulajé nou ! Nowèl ! Vini pou guéri nou ! Nowèl ! Vini pou sové nou ! Nowèl ! Vini ekléré nou ! Nowèl ! Vini fowtifyé nou ! Nowèl ! Vini pou béni nou ! Nowèl ! Vini purifyé nou ! »
En Martinique, on chante autant pour célébrer Noël, fête de tradition chrétienne, que pour se retrouver entre voisins et amis. Marie Porino, disciple de Loulou Boislaville et directrice de plusieurs groupes de Chanté Nwèl pour la commune du Gros Morne se rappelle de son enfance. « On se retrouvait en famille après la messe de Noël chez les voisins pour chanter les cantiques traditionnels. Nos parents se déplaçaient avec leurs instruments de fortune : chachas en boîtes de lait concentré avec des graines de réglisse, coques de lambi (gros coquillages), ti bwa... On apportait aussi de la nourriture : schrubb à base de peaux d’oranges macérées, sirop de groseille, punch coco, liqueurs, pois d’Angol, ragoût de cochon, pâtés… » À travers ces regroupements informels, improvisés et festifs, Noël était synonyme de convivialité, de partage, d’échange.
Une tradition en pleine évolution
« Actuellement », constate-t-elle « un nombre croissant de groupes de Chanté Nwèl apparaît. Rien que chez nous à Gros Morne, on compte 5 groupes ! » La plupart de ces groupes se structurent sous forme d’associations pour bénéficier de subventions. Certains répètent dès le mois de juillet. Durant la période de l’Avent, ils effectuent des « tournées », parfois mondiales pour les plus célèbres d’entre eux. On ne va plus chanter chez les voisins mais sur les stades où on se « produit » en concert avec des « sonos » devant des foules de 10 000 personnes. Les chachas, flûtes et ti bwa sont accompagnés de guitares, basses et solo, synthétiseurs, batteries. Des CD sortent, les télés s’arrachent les groupes Ravines Plates du Vauclin ou encore Mazin Gouin de St Joseph, tout comme les comités d’entreprises qui les paient pour leurs prestations. Cette professionnalisation n’exclut pas pour autant le rôle social des Chanté Nwèl. La plupart des groupes chantent aussi dans les maisons de retraite, prisons, hôpitaux, foyers...
À l’image de Jean-Paul, salarié d’une entreprise de sécurité la journée, ils sont des centaines de bénévoles à se retrouver dès début novembre, au minimum deux soirs par semaine, à la sortie du travail. En groupes de 20 ou 30 personnes, ils chantent la naissance de Jésus, l’arrivée des rois mages, les aventures du père Noël. Jusqu’à parfois tard dans la nuit, ils chantent en créole, français, latin sur des airs de valse, zouk, biguine ou mazurka. Que ce soit pendant les répétitions dans les maisons ou lors des fameuses tournées, tous continuent de chanter véritablement à cœur joie pour Noël. « Mon filao, beau filao, que j’aime ta ramure, quand le soleil, veut te griller, la pluie s’empresse de t’arroser mon filao, beau filao, que j’aime ta ramure. »
Où ? Quand ? Comment ?
Pour assister à des Chanté Nwèl en Martinique, il n’y a pas de programme général. Se renseigner auprès des offices de tourisme et de la culture des communes.
Pour en savoir plus
Quelques dates
- Le Vauclin :
les 6 et le 19 décembre place Atanase (marché) à partir de 19 h.
- Le Lamentin :
tous les mercredis de décembre jusqu’au 23 compris, au Tropicana Café à partir de 23 h.
- Diamant :
le 5 décembre, à partir de 19 h, soirée spéciale Chanté Nwèl.
- Les Trois-Îlets :
le 6 décembre, dès 20 h, centre-ville sur le front de mer
le 13 décembre, dès 20 h, anse à l’âne sur la plage
le 20 décembre, dès 20 h, pointe du bout
le 23 décembre, dès 20 h quartier beau Fond
- Le Carbet :
le 13 décembre à partir de 19 h, quartier Bout-Bois, groupe de quartiers.
Texte : Mahé Mas
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