Son Excellence
Auteur : Naguib Mahfouz
Editeur : Actes Sud
176 Pages
Un cadeau posthume du géant de la littérature égyptienne arrive cette semaine dans nos librairies. Naguib Mahfouz, qui nous a quittés le 30 août dernier, a écrit Son Excellence en 1974, un court roman en forme de fable. Charge caustique contre l’administration égyptienne, Son Excellence retrace le pathétique destin d’Othmân Bayouni, un fonctionnaire zélé pour qui l’État incarne rien de moins que « le souffle de Dieu sur terre ».
Ambitieux et opportuniste, Bayouni pousse sa vocation de rond-de-cuir jusqu’au mysticisme. À ses yeux, sa carrière a tout du parcours d’un soufi pour accéder à la lumière divine. Mahfouz décrit sa lente ascension qui, loin de toute sainteté, est synonyme de veulerie, de flagornerie et de médiocrité. Othmân sacrifie totalement sa vie affective. Ses seuls rapports avec une femme sont ceux qu’il entretient avec Qadriya, une prostituée. Au faîte de sa gloire administrative, Othmân sombrera avec elle dans l’alcool et l’opium…
À travers son antihéros, Naguib Mahfouz s’en prend évidemment à une fonction publique sclérosée, symbole d’un État aux rouages écrasants, une bulle à l’écart de la société et de l’histoire. Un Moloch impassible qui ronge les cœurs et les âmes pour assurer sa propre survie.
Son Excellence n’a pourtant rien d’un drame. Sur un sujet qui aurait pu être kafkaïen, Mahfouz nous livre un petit bijou d’humour grinçant, mais aussi d’humanité. Car, finalement, le vil Othmân, victime de son ambition amidonnée, trouve grâce aux yeux du lecteur. Loin d’être un héros, il est la victime d’une fonction publique devenue « institution sacrée à l’égal du Temple ». Mahfouz l’humaniste avait raison de toujours préférer la personne humaine au système. Fable intemporelle, Son Excellence n’a pas pris une ride.
Texte : Jean-Philippe Damiani
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