Var : les secrets du fort de Brégançon

Comment visiter le fort de Brégançon ?

Une petite route longeant les vignes, entre Bormes-les-Mimosas et Le Lavandou, permet d’accéder à la maison de vacances des présidents de la République, ouverte à la visite en été, selon le bon vouloir de l’Élysée. Inutile de forcer la grille quand le président et son épouse sont là en week-end ou en vacances. Mais une fois les derniers photographes partis, on peut tenter sa chance et se joindre à une visite du lieu de villégiature le plus photographié de la côte.

Dans la fraîcheur de ses vieux murs, Brégançon renferme une partie de l’histoire secrète de la France depuis plus d’un demi-siècle.

La visite se fait à pied, sur réservation auprès de l’office de tourisme, qui gère le planning sous le contrôle de l’Élysée. La route d’accès passe en territoire luxembourgeois : eh oui ! C’est un cadeau d’extraterritorialité fait par de Gaulle à la famille ducale qui possède une immense propriété sur ce bout de cap. La route surplombe d’ailleurs les cabines de plage appartenant au grand-duc du Luxembourg.

À pied et en groupe, on suit la guide qui a 2h30 à 3h pour vous conter le fort et son mode de fonctionnement. Tour de vigie ? Repaire pour les pirates qui infestaient les côtes ? À chacun(e) sa vision des origines d’une forteresse que certains enfants du pays ont imaginée, durant des décennies, avec un souterrain le reliant au rivage…

Après le passage du gué, la rampe d’accès grimpe et on passe une poterne avant d’entrer dans le vif du sujet par une massive porte fortifiée (mâchicoulis, archères, aux armes, etc.).

De Bonaparte à De Gaulle : Brégançon, un lieu chargé d’histoire(s)

Un jeune capitaine nommé Bonaparte, en tournée d’inspection en 1794, chercha à évaluer la capacité de résistance de ce fort étrange, abrité du vent d’est et bénéficiant d’un emplacement stratégique exceptionnel face aux rades de Toulon et d’Hyères. Lorsqu’il accéda au pouvoir, il le fit équiper d’une vingtaine de canons et y logea une compagnie de vétérans.

De nombreuses têtes couronnées y vinrent en villégiature au fil des siècles. Comme la Reine Jeanne, qui quitta au 14^e siècle les états de Naples et de Sicile. Elle avait déjà tué un premier mari, on craignait qu’elle récidive. Mais elle préféra finalement le soleil d’Aix-en-Provence.

L’épisode de la reddition aux commandos d’Afrique, en août 44, des 80 soldats allemands reclus dans le fort reste un des plus mémorables. Les six sous-officiers qui avaient refusé de rendre les armes furent retrouvés égorgés sur la terrasse, après l’évacuation des troupes, arme à la bretelle.

Les premiers présidents à séjourner à Brégançon furent René Coty et Vincent Auriol, sous la IV^e  République, mais ils étaient les invités du propriétaire des lieux : un sénateur malin qui avait su transformer un fort inhabitable en lieu de résidence sommaire mais exceptionnel, malgré tout.

Le sénateur fut chassé de sa propriété par un général qui allait venir le week-end du 15 août 1964 commémorer le 20^e anniversaire du débarquement. Choc pour les baigneurs d’alors, qui se retrouvèrent évacués de leur plage préférée par des barbouzes ressemblant plus à Lino Ventura qu’à Alexandre Benalla, époque oblige…

1968 : et le fort de Brégançon devint résidence présidentielle…

En 1964, le président Charles de Gaulle n’apprécia guère la nuit passée au fort : lit trop court, moustiques en surnombre ; il n’y reviendra plus, tante Yvonne préférant la tranquillité de la Haute-Marne, mais le fera classer « demeure présidentielle » en 1968...

Si le général n’aimait pas aller s’afficher avec des starlettes ou des artistes à Saint-Tropez, encore moins se prélasser sur la plage ou plonger dans la mer, ce n’était pas le cas de son Premier ministre, qui allait devenir très vite son successeur.

Les Pompidou inaugurent à Bormes-les-Mimosas, et donc à Brégançon, qui fait partie de la commune, le côté sympa et populaire du couple présidentiel qui passe ses vacances à la plage... comme les Français d’en bas. Les meubles lourds disparaissent, le contemporain sobre mais confortable entre avec Pierre Paulin. Sa banquette, dans le grand vestibule, surprend toujours autant les visiteurs, 50 ans plus tard.

Côté cuisine, les mérous, les langoustes ou cigales de mer se retrouvent sur la table, selon la pêche et le marché. Une tradition qui s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui.

Les Giscard (surtout Anne-Aymone) font aménager et décorer les lieux dans une tonalité différente : les motifs à fleurs qu’on avait pu admirer lors d’une précédente visite ont disparu. On ne voit plus aujourd’hui la table prête pour les réceptions, avec les 80 cm obligatoires séparant les invités, comme Anne-Aymone les aimait. Les Macron ont épuré un max.

De Chirac à Hollande, Brégançon à géométrie variable

C’est souvent autour de la table de Brégançon que des décisions importantes pour l’avenir du locataire des lieux ont été prises. Quand Giscard invita Chirac, alors Premier ministre, celui-ci se sentit tenu pour partie négligeable et réagit mal, une fois de retour à Paris, au point de donner sa démission, peu de temps après. Comme quoi tout le monde n’a pas la même idée de la simplicité.

Les Mitterrand y posent un pied de temps en temps... À ce fort inhospitalier, le premier des François préférait l’océan, sa bergerie de Latché. Pas un homme du sud, mais du sud-ouest. Il y réunit le premier cercle (Mauroy, Lang, etc.) pour préparer la contre-attaque contre Chirac, lors de la cohabitation.

Une fois au pouvoir, les Chirac y passent de larges moments, y compris hors saison. Le mari de Bernadette s’y sentait à l’aise, il avait même été photographié nu à la fenêtre de son appartement, mais les photos n’ont jamais été publiées. Du moins jusqu’à présent. Celles qui sont offertes à la vue de tous, dans les rues du village, montrent le couple à la sortie de la messe, devant l’église Saint-Trophyme, lors des traditionnels bains de foule initiés par les Pompidou.

François Hollande n’a pas aimé Brégançon, mais il l’ouvrit à la visite du public dans l’état, laissant à son successeur le soin d’y réaliser de menus travaux pour y passer des vacances méritées.

Le Routard chez le Président !

De tous temps, les journaux trouvèrent l’entretien du fort exorbitant. On découvre avec intérêt les intérieurs d’une bâtisse très bourgeoise et 18^e s, sans luxe ostentatoire, l’ameublement, les tapis, les tissus venant du mobilier national. Des pièces qui ont gardé la quasi modestie d’un lieu initialement militaire. Même les toilettes (si on pousse la porte par mégarde) sont d’un autre temps.

En traversant le hall d’honneur, inutile d’espérer pouvoir se jeter sur la banquette bleu-blanc-rouge commandée à Paulin par les Pompidou. La guide veille… Scoop : sur les rayons de la bibliothèque voisine, on a vu le Routard Côte d’Azur !

À l’exception des appartements privés du président et de la première dame de France, on voit presque tout, du salon aménagé dans une ancienne chapelle à la grande salle à manger pour  agapes protocolaires, avec des ouvertures permettant de superbes échappées vers la grande bleue.

On grimpe à l’étage (belles œuvres modernes et contemporaines à découvrir au passage) pour un moment moins familial et plus républicain : le (vrai) bureau du président. Ses appartements privés sont attenants. La lingère y a sa chambre, pratique à défaut d’être intime !

Dernière pièce, celle de l’aide de camp où l’on s’amusera à une étude comparée des portraits officiels des présidents de la V^e République.

Petit plus ! Depuis cet été 2019, direction le jardin pour découvrir la piscine qui fait partie du parcours de la visite guidée. 

Brégançon, une maison de vacances très bien située

Brégançon est une maison de vacances en or ! Il suffit de faire un tour sur les terrasses pour s’en persuader. Elles offrent des vues aussi panoramiques qu’époustouflantes sur la côte, jusqu’à Toulon, et sur les îles d’Or au large...

C’est d’ailleurs sur la terrasse que tout le monde vit, que le président reçoit, plus simplement. Durant la visite, la trace sur les murs de tableaux enlevés ne signifie nullement une vente de quelques croûtes pour payer les frais annexes, mais l’envie de préserver au maximum l’intimité. Pas de photos de famille autour d’une pizza confectionnée avec amour pour changer de l’ordinaire. Pas livrée, bien sûr, vu le temps qu’il faudrait pour la porter à bon port.

Le resto le plus proche, pour qui voudrait se changer les idées, c’est « Chez Pat et Gene », sur la plage de l’Estagnol : un genre de Biergarten à la provençale où la bière est remplacée par le rosé et la saucisse par des tartares de poisson délicieux et des grillades succulentes au feu de bois. Ici, c’est toute la famille Cruché qui est à l’accueil, au service et à la caisse.

Pour le vin, on a le choix. Sur les 12 domaines viticoles que compte le territoire de Bormes, il y en a trois très proches, qui proposent même des apéros-jazz le soir, en été : le domaine de Léoube, le Château Malherbe et le Château de Brégançon.

Pour se dégourdir les jambes, le sentier du littoral mène jusqu’à la plage des Salins, à 9 km (3 h 30) mais vous risquez d’être bloqué au niveau du fort, à moins d’avoir l’allure sportive d’un CRS faisant son footing matinal.

Quant aux petits malins qui voudraient s’approcher en paddle ou même en barque, le gardien du château a de la voix (il a même un porte-voix) et les gars de la Marine veillent sur la Drop Zone des 300 m. Mieux vaut éviter les PV, pas particulièrement bon marché : de 10 à 12 000 euros !