Non pas LES
mais
LA
?
« on the road »
TOUJOURS DEVANT
PENDANT VINGT ANS
GOLIATH
LA BALEINE BALADEUSE
Eh oui…
L’homme à la
BALEINE
c’est moi… !
Plus de 40’000’000 de visiteurs pour Goliath, la fameuse baleine suisse, “on the road”
non seulement derrière le sinistre rideau de fer…
Copyright Rezzonico Jean Lugano - 07.11.2017
Prologue
Dernièrement, on m’a demandé de résumer en deux ou trois pages mon épopée d’une vingtaine d’années avec la baleine “Goliath”.
Pas facile, les gars!
Eh oui, ce fut une exceptionnelle aventure de 1959 en Finlande à 1977 en Suisse. Après bref début prometteur en Finlande, il y a eu la France et la Suisse; puis, l’Europe occidentale ayant déjà été exploitée en tous sens, il y eu cette tournée triomphale dans les pays derrière le rideau de fer comme Hongrie, Bulgarie, Pologne (j’y ai épousé Krystyna), Roumanie, Yougoslavie, DDR (c’est-là que j’ai fait mes premiers pas de brocanteur-collectionneur) et Tchécoslovaquie; ensuite vint la Turquie dont je fus exclu pour incompatibilité d’humeur avec le boss. N’ayant pas tardé à réintégrer mes fonctions auprès du nouveau boos de Goliath, c’est durant la tournée en Grèce que mon fils Serge est né; puis vint Israël et enfin l’apothéose en Italie avant de finir en beauté dans mon pays, la Suisse avec le WWF; non sans oublier d’abord une seconde incursion en France et une brève visite en Allemagne fédérale. Donc, ensemble, le Léviathan et moi avons parcouru, de ville en ville, bien des km et accueilli non moins de 40 millions de visiteurs… payants.
LA BALEINE GOLIATH
souvent copiée, jamais égalée!
Juste après la deuxième guerre mondiale, quelqu’un avait déjà tenté le coup en France et en Afrique du Nord avec une baleine dénommée “Mrs Haroy”; plus tard, il y a eu une série de guerres de baleines, l’une expulsant l’autre de “son” territoire de chasse… aux clients: d’abord en 59 en Finlande, la baleine “Jonas” coupe la route à ma “Goliath”; ensuite en 1975 en Allemagne Occidentale, c’est la baleine “Hercules” qui répète la même manoeuvre de concurrence déloyale; enfin dans la seconde moitié des années 70, la fausse baleine inventée par Cottino, forain sacré roi des arnaqueurs italiens par les siens…
Voici quelques étapes marquantes de cette extraordinaire odyssée:
Sachez d’abord qu’en langue bulgare “baleine” se traduit par “kita”. Donc, en 1962, à peine franchi les confins de ce pays encore sous joug communiste, “kita” crée l’événement lui garantissant un succès colossal et foudroyant que personne n’attendait: plus de 400‘000 visiteurs en moins d’un mois à Sofia. Voilà pourquoi: précisément le jour de l’arrivée de “Goliath”, la nation bulgare était sous le coup d’une cuisante humiliation. Nikita Kruszev, premier secrétaire du parti de l’URSS, successeur du terrible Staline, avait, sans aucun préavis, annulé du jour au lendemain sa visite officielle. Personne d’entre vous n’aura oublié l’esclandre provoqué par cet énergumène lors d’une dramatique séance de l’ONU… Or donc, les média bulgares annonçaient en même temps l‘arrivée de “kita”, la baleine inconnue, et la défection de “Nikita”, le dictateur malaimé. Pour venger l’outrage, la “vox populi” invente alors un jeu de mot facile, mais imparable, qui se répandra dans le pays comme une traînée de poudre, mais bien sûr, uniquement sous le manteau:
A bas NIKITA… Vive KITA…!
Cette similitude entre “Nikita”, prénom de l’homme politique, et “kita”, “baleine” en langue bulgare, s’est révélée inestimable pour la réussite de la tournée: 1’450’000 visiteurs en 165 jours. Aucun impresario n’aurait été capable de mettre sur pieds un coup pareil. Pour finir, les badauds ne savaient même plus ce qu’ils venaient voir : “Nikita” ou “Kita” ?
Une année plus tard, au passage de la frontière hongaro-roumaine, la baleine “Goliath” et sa suite, visiblement attendues, étaient immédiatement parquées sous bonne garde dans un énorme hangar. A l’intérieur, nous y attendaient une vingtaine de fonctionnaires, douaniers ou militaires, je ne sais plus, chacun avec sa mitraillette pointée contre nous. En outre, plusieurs autres en blouse blanche soumettaient tout, mais vraiment tout, à un contrôle des plus minutieux. C’était bien la première fois qu’on nous traitait de la sorte. Ils étaient certainement à la recherche de quelque chose de précis. Mais quoi? En fin de journée, on nous libérait sans aucun commentaire et ce n’est que plus tard, qu’on nous révélait le motif de cet acharnement. Il était du aux élucubrations d’un jeune officier en mal de promotion. En effet, le héros de son dernier roman d’espionnage n’était autre que la baleine “Goliath”…protagoniste d’un va-et-vient de devises étrangères en échange de dangereux espions capitalistes, entrant et sortant de Roumanie dissimulés dans la panse du cétacé… qui en avait vu d’autres, comme chacun sait. Naturellement, trafic secrètement organisé par la CIA. Ce qui faisait de
la baleine… un nouveau “cheval de Troie”!
Je vous rappelle que nous étions en pleine guerre froide. Il y avait tout juste un an que l’on avait érigé le tragiquement fameux Mur de Berlin. En dix heures de séquestration dans ce sordide hangar, ils avaient tout retourné de fond en comble au moins une dizaine de fois. Pour finir, rendus à l’évidence et déçus, ils avaient alors subitement abandonné leurs recherches et apposé rageusement toute une série de tampons sur nos documents d’importation temporaire. Mais la bévue des douaniers n’avait pas manqué de faire le tour des chaumières grâce au tam-tam nègre qui fonctionnera toujours envers et contre tout, surtout sous régimes totalitaires. Le triomphe remporté ensuite par la baleine “Goliath” en Roumanie était la preuve que plus on en parle, en bien ou en mal, mieux c’est!
Puis, en 1969, en Italie, l’accident mortel provoqué par un chauffeur de poids lourd ivre, après avoir seulement effleuré l’énorme transport exceptionnel de la baleine, avait été monté en épingle par les média:
“BALEINE ASSASSINE”
“A Macerata, la baleine tue un abbé”
Titre suscitant inévitablement l’intérêt d’une marée de futurs visiteurs. Il est absolument évident que tous ces gens accouraient en masse non pas pour visiter l’exposition didactique du fameux mysticète, mais bien pour voir de près l’étrange assassin du jeune prêtre. Le journaliste, inventeur de ce titre-là, mériterait bien le Pulitzer de la bonne «fausse » nouvelle.
Ce qui m’amène à réaffirmer ceci: pour faire fortune dans ce business, car, soyons franc, l’exposition didactique de la baleine n’était autre qu’un business,
il faut créer l’événement!
Je dirais même plus: l’événement dans l’événement! Comme enseignent les prof en marketing. Facile à dire, mais difficile à faire. Pour “la baleine assassine” de Macerata et pour la ressemblance “kita - nikita” de Sofia, le destin nous avait aidé. Eh comment! Mais maintenant, ne serait-ce que pour maintenir le niveau atteint de visiteurs dans cette tournée italienne si bien commencée, il fallait inventer autre chose. Je ne pouvais décemment tuer un prêtre à la semaine… ça ne se fait pas, que diable! Probablement, me suis-je dit, le parrainage d’une organisation importante en mesure de créer l’événement par elle-même comme les entreprises d’Etat dans les pays de l’Est… serait une solution. Eh bien, modestement, j’ai trouvé d’abord une collaboration avec la Croix Rouge italienne, ensuite une autre avec le WWF suisse.
En Italie, qui ne connaît pas la baleine de Pinocchio? Tout au début des années 70, la Croix Rouge nationale se laissait donc séduire par ma proposition. Il s’agissait de profiter de la fascination de la baleine sur les foules pour promouvoir la récolte de sang avec ce simple slogan:
“4 entrées gratuites à qui donnera son sang à la baleine!”
Mais où, à l’hôpital ou à la baleine? Non, justement… à la baleine. Ou plutôt à une banque du sang mobile de la Croix Rouge placée à côté de l’exposition de la baleine. Ce qui, involontairement, créa une grande confusion. Le sang était pour qui? Pour la baleine? Mais alors, elle est vivante? Voyons, un baleine mesurant 22m de long et pesant 68‘200 kg, c’est pas possible… et pourtant, tout le monde en parle, tout le monde veut la voir, tout le monde y va; même et surtout si elle pue! Pendant 4 ans, réussite totale aussi bien en nombre de visiteurs à la baleine qu’en flacons de sang pour la Croix Rouge.
C’était la baleine de la Crois Rouge!
Pour finir, en Suisse, en 1977, j’avais réussi l’exploit de mettre la baleine sous la protection du fameux Panda.
C’était la baleine du WWF!
Bien sûr, au WWF, je refilais un % sur les recettes, mais eux nous assuraient un parrainage beaucoup plus rentable, car à l’époque le WWF avait la côte, surtout auprès des enfants. Le Panda était à la mode. Ma chance avait aussi été de tomber justement sur le thème de leur campagne annuelle de sensibilisation:
“la mer doit vivre!”
La baleine “Goliath” testimonial du panda. C’est-y pas beau?
Si vous permettez, pour conclure voici un extrait des
“divagations sur le marché international de l’art”
de mon ami et réalisateur tv Bruno Soldini:
“En général, le public dresse les oreilles lorsqu’il entend parler d’oeuvres d’art évaluées en million ou dizaine de millions de dollars, mais il accepte cependant ces chiffres sans sourciller. Prenons un exemple emblématique et fantaisiste: une des oeuvres de Damien Hirst, un des plus célèbres et originaux artistes contemporains,
le requin-tigre de 4 m et demi,
immergé dans un aquarium rempli de formalin, a été vendu en 2005 à New York pour la somme de 12 million de dollars. (il s’agit de la fameuse installation de l’artiste de 1991 The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone “Living”) Posons-nous donc la question suivante: combien pourrait valoir la célèbre baleine Goliath, empaillée mais itinérante, longue 22m, exposée au public et admirée pendant plus de trente ans dans toute l’Europe?
“Certains d’entre-vous, nés avant les années 70, s’en souviendront… surtout de son inoubliable puanteur. La baleine “Goliath” avait même réussi à franchir l’hermétique rideau de fer, remportant là-bas un succès inespéré. Elle avait mis en échec la rigueur de la culture sous régime soviétique, ralliant à ses fanons environ 10‘000 visiteurs par jour… pendant plus de cinq ans.
“Dites-moi alors quelle devrait être en proportion avec le requin-tigre, la valeur de la baleine sur le marché de l’art? Cent million de dollars, deux cent million?
“Rien du tout! Au contraire, malgré sa longue et rigoureuse cavalcade épique, “Goliath”, dont l’histoire précède d’au moins trente ans celle du requin-tigre de Damien Hirst et malgré l’impact culturel qu’elle a eu sur plus de 40‘000‘000 de visiteurs, la baleine a disparu dans le néant. Quelle est donc la différence entre une carcasse de requin et celle d’une baleine?
“La différence, la voilà: mon ami Jean, partenaire pendant vingt ans de la société qui gérait le Léviathan, n’avait aucun contact avec ce que l’on pourrait définir “la mafia du marché de l’art contemporain”. Mais surtout, il ne lui est jamais venu à l’idée de se déclarer “artiste” et d’exiger avec détermination la « légitimation », « la consécration », je dirais même plus,
« la transsubstantiation de Goliath »
« d’objet de foire à oeuvre d’art. »
Jusqu’il y a peu, on ne n’avait plus de nouvelles de la baleine “Goliath”, disparue au milieu des années 90. Mais, ces jours-ci, grâce à Internet, j’ai enfin retrouvé sa trace. C’est au nord de l’Espagne qu’elle a lamentablement fini sa brillante carrière, démantelée et “recyclée” pour faire place à une construction sur le terrain vague municipal qu’elle occupait, abandonnée-là depuis une dizaine d’années, paraît-il… J’ai aussi appris que d’autres baleines ont connu la même carrière que “Goliath” de part le monde depuis 1852…
Copyright Rezzonico Jean Lugano - 07.11.2017