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Mythologie d’Hawaii

Une légende, parmi les plus évocatrices du riche panthéon hawaïen, raconte la naissance des îles. Elle met en scène deux sœurs ennemies : Pele, déesse du feu, et Na Maka o’ Kahai, sa sœur, souveraine de la mer. La première est irascible, rapide comme l’éclair et capable de mille ruses, à l’image de cette lave bouillonnante qu’elle incarne. La seconde est têtue et opiniâtre, à l'instar des assauts infinis des vagues sur le littoral.

Le mythe évoque le long voyage de Pele, venue de Tahiti jusqu’à Hawaii, puis sa quête éperdue d'un refuge. C'est elle qui édifie de ses foudres, l'un après l'autre, les volcans de l'archipel - et par là même ses îles. Peine perdue. D'abord victorieuse après son éruption, Pele n'en est pas moins inéluctablement défaite. Elle est débusquée par sa sœur, son éternelle rivale, qui sape de ses eaux furieuses les côtes de lave friable jusqu'à les effacer, ne laissant à terme que des atolls.

Les plus grands navigateurs du monde

Les légendes rejoignent à la fois la réalité géologique et historique. Le voyage de Tahiti, c’est celui que firent les colons polynésiens - la seconde vague de colons, plus précisément, la première étant partie un demi-millénaire plus tôt, dès le Ve siècle de notre ère, des îles Marquises.

Les découvertes des archéologues, des linguistes et des généticiens tracent peu à peu le portrait de la plus incroyable migration humaine jamais réalisée : la conquête du Pacifique, en vagues successives, par des groupes d’hommes et de femmes partis d’Asie du Sud-Est il y a 50 000 ans.
Cinglant à bord de canoës, puis de grandes pirogues à double coque (semblables aux catamarans actuels) développées au fur et à mesure que s’affirmait leur maîtrise de la navigation, ils ont occupé au fil des siècles le tiers de la planète.
Les peuples noirs des premières migrations, ancêtres des Aborigènes d’Australie et des Mélanésiens, ont été relayés vers 5 000 av. J.-C. par les peuples de langue austronésienne, dont l’une des branches a essaimé jusqu’à Madagascar !

À l’est, dès 1 000 av. J.-C., le groupe des Lapitas atteignait Tonga et les Samoas où, dans leur sillage, se forma une culture à part entière : les Polynésiens étaient nés. De ces bastions insulaires, ces marins inégalés, se dirigeant en mer avec la seule aide des étoiles, des planètes et de leurs mouvements, allaient conquérir un territoire plus vaste qu’aucun autre peuple dans l’histoire : les Marquises, les premières d’où furent gagnés les Tuamotu, Hawaii et l’île de Pâques. D’autres îles aujourd’hui désertes furent occupées, puis abandonnées.

La conquête du grand océan s’acheva avec la colonisation de la Nouvelle-Zélande vers l’an 1 000, définissant le triangle polynésien, le plus grand espace culturel jamais façonné par un seul et même peuple. Les archipels, s’ils ne formaient pas de nation au sens politique, entretenaient pour la plupart des liens commerciaux et culturels. L’éloignement d’Hawaii vit l’archipel se développer en autarcie, avec des contacts de plus en plus espacés, jusqu’à ce que le lien se brise vers le XIVe siècle.

Règles sociales et religieuses

Une culture propre, forte de son identité, se développe à Hawaii, sans pour autant que soit remis en cause le terreau commun polynésien : tout, dans ce monde, est sacré.
La décontraction observée par les découvreurs européens n’est qu’apparente. En réalité, les sociétés polynésienne et hawaïenne plus encore, sont régies par d’innombrables règles sociales et religieuses basées sur un système rigide de castes et de kapu (tabous). Les ali’i, prêtres et chefs, intermédiaires entre les hommes et les dieux, ont droit de vie et de mort sur le peuple (kama’aina) - qui n’a pas même le droit de croiser leur ombre. À chacun ses nourritures, à chacun sa planche de surf, plus longue pour les ali’i et taillée dans un meilleur bois, à chacun son spot...

Sur chaque île, la terre est divisée entre les ali'i en parts égales (ahupua'a), comme on couperait un gâteau, du sommet des montagnes jusqu'au rivage. Le peuple regroupé en 'ohana (familles étendues) y travaille en commun selon un calendrier répondant à des rituels précis.

Au fil du temps, Lono, le dieu de l'agriculture, prend une place de plus en plus importante, en concurrence directe avec Ku, le dieu de la guerre.
Ceci n'empêche pas les chefs de se livrer à des combats fréquents pour tenter d'étendre leur territoire. Ils sont assez peu meurtriers, mais cela n’empêche pas les sacrifices humains, ni le cannibalisme rituel. Une victoire est l’occasion pour un chef d’étendre son mana, sa puissance spirituelle, et celui de sa tribu.

Au XVIIIe siècle, avant l'arrivée des Occidentaux, on estime la population d’Hawaii entre 300 000 et 500 000 personnes.

Émergence d'un pouvoir temporel

Le capitaine Cook et ses successeurs débarquent en 1778, au moment où l’archipel est en passe d’être unifié. En 1810, le roi Kamehameha impose son pouvoir à toutes les îles. Les premiers marchands occidentaux ont déjà jeté l’ancre et, dans leur sillage, des missionnaires protestants tahitiens. Malgré leurs premiers insuccès, ils font une touche de choix auprès de Ka’ahumanu, l’épouse favorite de Kamehameha, une visionnaire qui voit sans doute dans la religion des étrangers un instrument du pouvoir nouveau.
Sous son influence, Liholiho, son beau-fils, couronné à 23 ans sous le titre de Kamehameha II, accepte lors d'un déjeuner resté gravé dans les mémoires de défier le kapu qui interdit aux hommes et aux femmes de manger ensemble. Le couple royal ne rencontre que peu de résistance lorsqu'il annonce la destruction des idoles et des heiau (temples). En quelques mois, un système religieux vieux de plus de 1 000 ans disparaît.

C'est à ce moment qu'arrivent de Nouvelle-Angleterre les missionnaires congrégationalistes. Convaincus de leur supériorité morale et de leur rôle civilisateur, considérant avec suspicion et parfois horreur les mœurs des Hawaïens, ils inventent un alphabet pour traduire la Bible, créent des écoles pour diffuser leurs enseignements, construisent des églises en palmes et interdisent toutes sortes d'activités. Comment tolérer que des hommes puissent paraître si éloignés du jugement divin ?
Le chimérique paradis perdu du Siècle des Lumières n’a aucune place dans la pensée de ces zélotes à la foi intolérante. Finie la boisson, le jeu, l'adultère, mais aussi le surf (« futile »), le hula (« indécent »), les chants, le port des lei (colliers de fleurs) et les mariages interraciaux. Il faut tout le poids de l'exemple fourni par Ka'ahumanu pour convaincre les Hawaïens de se soumettre à ces coutumes.

Peu à peu, c’est toute la culture hawaïenne qui s’efface : les enfants de missionnaires, devenus businessmen, obtiennent sans presque de résistance la privatisation des terres. Une inanité pour un peuple dont les frontières n’ont jamais eu que des bases sociales et non légales.

Renaissance culturelle (et politique)

Porté sur le trône en 1874, Kalakaua, le Merry Monarch (« roi joyeux ») préside à une certaine renaissance culturelle. Mais il est lui-même déchiré entre son goût des traditions et celui qu’il manifeste pour les fastes occidentaux. Grand noceur, il se couvre de dettes. Deux ans après sa mort, en 1893, sa sœur la reine Lili’uokalani, la dernière reine d’Hawaii, est renversée par des colons. La langue hawaïenne est chassée de l’école.

La traversée du désert est interminable. La Seconde Guerre mondiale arrime de force Hawaii aux États-Unis, tandis que les émissions de radio peignent jusqu’au fin fond du Nebraska et du Wisconsin des îles de rêve, paradis incarné bercé par les alizés et vibrant au son de l’ukulélé. Le tourisme de masse s’ébranle.
Mais dans ce nouveau décor, les Hawaïens sont devenus des figurants : ils sont danseurs, grooms, serveurs, cuisiniers ou femmes de chambre. Ce n’est qu’à la faveur des combats des Noirs américains qu’une première prise de conscience s’installe dans l’archipel : peaux sombres, droits bafoués, les points communs sautent aux yeux. En 1976, 9 jeunes Hawaïens débarquent sur l’île sacrée de Kaho’olawe pour protester contre les bombardements d’entraînement qu’y effectue la Navy depuis 35 ans. L’année suivante, deux d’entre eux disparaissent : les premiers martyrs du combat pour l’émancipation. Partout, des groupes d’intérêt hawaïen se constituent. La danse, symbole culturel, sort de son carcan touristique. Le tatouage revient à l’honneur et, avec lui, la fierté d’être différent.

En 1993, le président Clinton signe l’Apology Resolution, qui présente les excuses des États-Unis pour avoir concouru au renversement de la reine Lili’uokalani un siècle plus tôt. Un geste qui lui vaut la reconnaissance de tous les Hawaïens et affirme encore davantage l’ancrage démocrate de l’archipel.
Cette base nouvelle a permis aux autonomistes de fourbir leurs armes. À défaut de pouvoir traiter le fond du problème (la perte de représentativité des Hawaïens dans leur patrie), reste la forme, juridique : le royaume n’ayant jamais eu de fin légale, il existe encore ou doit être restauré ! Un recours a été déposé en ce sens devant la Cour internationale de justice de La Haye.

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