En Patagonie
Sur les canaux patagons, de Puerto Natales à Puerto Montt
Après El Calafate et le Perito Moreno, la plupart des voyageurs continuent vers El Chaltén, autre temple de la randonnée, et poursuivent par la Carretera Austral, au Chili. Une piste de toute beauté, au milieu de lacs turquoise et de roches tout aussi colorées. Mais une piste avant tout, sinueuse et en mauvais état, que nous hésitons à emprunter avec notre véhicule. Nous optons alors pour la mer, et embarquons de Puerto Natales avec Navimag, pour une traversée des fjords chiliens jusqu’à Puerto Montt.
Le lourd ferry Navimag n’a rien à voir avec les navires de luxe qui traînent à Ushuaia… On y croise moins de rentiers que de routards, qui partagent des cabines de 4... ou pour les moins chanceux, le dortoir de 16 personnes ! Tout ce petit monde cohabite dans une salle commune un peu exiguë ou sur le pont, par temps calme. Le premier jour de la traversée devrait être le plus impressionnant, car le bateau se faufile dans les canaux patagons pour arriver au pied du glacier Amalia. Malheureusement le temps n’est pas au beau fixe, le ciel est si blanc qu’il se confond avec les sommets enneigés. Un soleil éclatant nous accompagne les deux jours suivants, mais manque de chance, nous n’approchons plus les glaciers d’aussi près. Deux mois en Patagonie rendent exigeant, et les baleines « chaudron » qui soufflent au loin ne nous font pas autant d’effet que leurs cousines de Valdés...
Finalement, pour moi, le point d’orgue de la traversée se situera… à terre. Le deuxième jour, nous débarquons à Puerto Eden. Puerto Eden n’a rien de paradisiaque. Il y fait humide et froid toute l’année et nous avons une chance folle d’y surprendre un timide rayon de soleil. Mais, surtout, c’est un village absolument coupé du monde : la seule source de ravitaillement est le navire Navimag, sur lequel nous voyageons, qui s’y arrête environ toutes les deux semaines, quand le temps le permet. On circule sur des passerelles en bois, le sol de l’île n’étant qu’une matière spongieuse qui ne sèche jamais. C’est pourtant ici que l’« on » a installé les derniers indiens fuégiens, les Alakufs. Il n’en reste aujourd’hui qu’une poignée, perdus dans la petite centaine de villageois de Puerto Eden. Leur destin est en tout point semblable à celui des Yamana d’Ushuaia. Tout comme eux, ils feront bientôt partie des livres d’histoire.
Le choc est perceptible. La plupart des voyageurs profitent de l’aubaine inespérée de se dégourdir les jambes. Un flot de gilets de sauvetage orange inonde les passerelles ; pas trop d’états d’âme. Derrière un étal se tient Gabriela, une des dernières indiennes Alakuf. Digne et raide, elle pose pour le souvenir de vacances. C’est mon tour, je bâcle ma photo et tente un timide sourire en lui achetant deux petits canots en bois. Puis je m’éloigne pour l’observer de loin, un peu honteuse...
Texte : Bénédicte Bazaille
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