La grande Jamaïque trimbale avec elle un cortège d’images, dominé par la figure...
Le rastafarisme va à présent jouer un rôle moteur dans l'évolution du reggae. Pendant la décennie 1970, la plupart des artistes se revendiquent de l'héritage spirituel de Marcus Garvey. Ce leader afrocentriste du début du vingtième siècle préconisait un retour en Afrique - réel ou spirituel - pour les descendants d'esclaves. Beaucoup de jeunes trouvent un refuge dans cette foi basée sur la religion chrétienne orthodoxe éthiopienne. Le roi d'Éthiopie, Haïlé Sélassié, est considéré comme un dieu vivant. C'est le Ras (prince) Tafarai (son prénom). La ganja (marijuana) est sacrée, quoique illégale : les rastas en usent pour leurs méditations. Marginalisés - on les repère de loin grâce à leurs dreadlocks, ces nattes que forment naturellement les cheveux crépus quand ils sont très longs -, ils vivent souvent à la campagne comme leur premier chef de file, Leonard Percival Howell dans sa communauté du Pinacle. Ils rêvent qu'un jour, tels les Hébreux de la Bible, ils atteindront leur Terre promise. Le reggae à proprement parler naît à l'aube des années soixante-dix. L'origine du mot fait l'objet de débats. Mais les premiers a l'avoir popularisé sont Toots & The Maytals avec leur chanson " Do the reggay ". Arrive d'abord ce que l'on nomme aujourd'hui l'early reggae qui, pendant cinq ans, réintroduit massivement les percussions nyahbinghi d'origine africaine. Les rythmes s'accélèrent de nouveau, rendant le son plus sec. Les sous-genres se multiplient très vite. Les DJ (deejays, de disc-jockeys) des sound systems s'imposent. Ces hâbleurs - dont U-Roy, le premier à avoir percé - attrapent le micro et réinventent des chansons connues en en changeant le sens dans un style parlé-chanté appelé talk over (parler dessus) ou toasting (de " porter un toast "). Ils racontent la vie qui va, avec humour et pugnacité, sur fond d'instrumentaux et de dubs. Le dub est inventé par des techniciens de studio qui, manipulant chaque piste d'un titre, donnent de la profondeur de champ à ce dernier en usant d'effets de réverbération. Les parties jouées par chaque instrument, ainsi que les voix, sont mises en relief, disparaissent, reviennent… La basse et la batterie sont les pièces maîtresses de cet exercice de style devenu genre en soi qu'a magnifié King Tubby. Le roots reggae est le genre dominant à partir du milieu des années soixante-dix. Les lyrics sont d'inspiration rasta et les orchestrations se modèlent plus qu'auparavant sur le rock - Marley, Burning Spear, Culture ou Gladiators en sont les héros. Les ultras du roots reggae préfèrent quant à eux les tambours nyahbinghi et les cuivres. Parmi eux, on trouve les dub poets, des DJ prônant la " révolution ". Le temps des stars est venu. Le reggae est en effet maintenant pris en charge par les plus grands labels de Babylone. Grâce au producteur Chris Blackwell, jamaïquain blanc fondateur du label Island, Bob Marley devient célèbre dans le monde entier. À sa suite, un grand nombre de groupes et de chanteurs se produisent sur scène - c'est plutôt nouveau - à l'étranger et lors de quelques festivals touristiques dans l'île. Des formations résolument pop sont créées pour percer sur le marché international (Third World, Inner Circle). Le reggae britannique se développe à cette époque. Une première vague de migrants jamaïquains a déjà adapté ska et rocksteady - genres très appréciés des skinheads et des mods - sous la forme du blue beat. Dix ans plus tard, des enfants d'immigrés forment des groupes (Aswad, Steel Pulse, LKJ) dont le succès va au-delà de la communauté antillaise quand les punks déferlent. Ces derniers lancent avec leurs congénères jamaïquains des combos ska punks ou purement reggae dont l'emblème est le damier (Specials, UB 40). Au cours de la décennie suivante, le reggae en blanc et noir donne lieu à des expériences fécondes (le label On-U-Sound d'Adrian Sherwood), tandis qu' une vivifiante bande de MC (master of ceremony, les deejays locaux) invente son propre style, rapide, mélangeant créole et cockney (Tippa Irie, Smiley Culture, Macka B). Enfin, la scène dub s'étoffe à tel point qu'elle devient l'un des piliers de la mouvance électronique (Mad Professor). Un vent chaud sur le rock. Avant même que Bob Marley ne devienne une star, le rock s'est laissé séduire par la musique jamaïquaine. Il y eut les Beatles (" Ob-la-di, Ob-la-da "), Paul Simon, Eric Clapton, les Eagles, Faust, puis les punks (The Clash, The Stranglers, Public Image Limited...) et leurs suiveurs (Joe Jackson, The Police, Culture Club…). Et n'oublions ce vieux pirate de Keith Richards dont la passion pour le reggae est ancienne et profonde - on l'a notamment vu produire les ultra rastas Wingless Angels en 1996. Ses formes comme ses fondements étant ainsi adoptés pour le meilleur et pour le pire par les artistes comme le public pop et rock, le reggae est devenu le son à la mode. Pendant ce temps, une nouvelle révolution se prépare dans les sound systems de Kingston... |