Amours d'ailleurs

Première leçon : Réveiller les sens

De Bougainville à Gauguin, jusqu'à Alexandre Jardin, combien d'hommes ont nourri nos imaginaires de sensualités exotiques ? Même si, comme nous le rappelle Mircea Eliade, toutes les cultures reposent sur le mythe du paradis perdu, notre intérêt pour la liberté d'expression des corps dans de nombreuses cultures exotiques ou primitives témoigne des silences et interdits que le christianisme a fait peser sur la nôtre…
Pour Jean-Pierre Otto, grand explorateur de l'amour, l'Occident a beaucoup à apprendre du reste du monde et notamment des sociétés primitives dans lesquelles il y a selon lui « une approche, plus lente de l'autre, plus fine, et où la sexualité est toujours investie de sensualité ».

Sensualité, ou l'art d'éveiller les sens au plaisir comme chez les Mendis, en Nouvelle-Guinée, qui aiment se retrouver dans une case dont le sol est couvert de flocons de canne à sucre mâchée. Assis sur le sol, ils se frôlent délicatement en s'accompagnant de chants, puis lentement le rythme s'accélère jusqu'à l'enlacement. Plus au Nord, les Inuits, bien au chaud dans leur igloo, préfèrent s'enduire le corps de graisse de phoque. Une fois les ébats terminés, ils se laveront à l'urine.

La séduction a partout sa place et partout des critères différents. Selon les peuples, elle se concentre sur un, plusieurs ou sur l'ensemble des sens.
Ainsi, une scarification sur le ventre de la jeune fille Sara (tribu nomade du Tchad) dont la plaie, saupoudrée de cendres, prendra du relief en cicatrisant, deviendra un motif à la fois esthétique et érotique destiné à troubler les regards. Au Sénégal, le petit pagne ou « bethio » remporte tous les suffrages, y compris chez les jeunes femmes les plus modernes ; entre copines et cousines, elles se réunissent pour danser et désigner celle qui a la plus belle parure sous les regards intéressés des percussionnistes. Un parfum concocté à partir d'encens ainsi qu'une ceinture de perles s'ajoutent pour ravir les nez et titiller les oreilles.
Ailleurs, on privilégie certaines boissons pour parfumer sa transpiration, on se blanchit la peau comme le font les jeunes filles indonésiennes dès l'âge de sept ans, on se couvre de tatouages, on offre à l'homme un aperçu de ses fragrances intimes comme chez les nomades Noubas, au sud du Soudan, qui organisent chaque année une danse rituelle au cours de laquelle, vêtue d'une ceinture tressée, les jeunes femmes choisissent un compagnon en posant la jambe sur l'épaule de celui-ci, lui adressant ainsi un message olfactif.
Autant de rites pour séduire les sens et les éveiller, et dans cette diversité une constante : la sensualité.

Leçon n° 2 : Importance du mythe et de la transmission

Ici comme ailleurs, le mythe originel de la culture imprègne bien souvent les rites amoureux. S'il est difficile de déterminer de quelle façon la rencontre d'Adam et Ève influence encore les amours chrétiens, dans les îles Banks ou en Malaisie, les parades amoureuses miment encore la création du monde. Au son du pipeau, les peuples réinterprètent la danse à laquelle Dieu les invita en les créant. Les Maoris vivent, quant à eux, au rythme du mythe selon lequel l'amour initie à des parties inconnues de soi-même. Chez ce peuple, où l'expression du désir est extrêmement riche, faire l'amour avec des partenaires différents, c'est donc apprendre à devenir soi-même.

Si le mythe reste toujours en toile de fond, aujourd'hui encore, comme autrefois en Grèce, la sexualité avec un adulte fait partie de l'apprentissage normal des enfants dans de nombreuses cultures. Ainsi, dans certaines tribus d'Amérique du Nord, les femmes plus âgées vont jusqu'à donner d'elles-mêmes pour initier les jeunes garçons aux joies de l'amour. En Micronésie, à Nauru, la jeune fille est, quant à elle, initiée aux ablutions et aux caresses par sa grand-mère. Enfin, dans le Madhya Pradesh, en Inde, les jeunes Muria dansent encore autour du « ghotul » (dortoir mixte) avant d'aller s'y coucher ; la nuit venue, garçons et filles y sont initiés à l'amour par leurs aînés. Ces cultures considèrent bien souvent l'enfant comme un adulte en réduction, ce qui explique qu'elles sont, contrairement aux nôtres, étrangères au concept de pédophilie ; de plus, ces pratiques s'inscrivent dans le cadre de l'initiation et de la transmission et sont généralement très codifiées.
À travers ces codes, l'éducation à la sexualité prend souvent la forme d'un rite de passage au cours duquel le jeune homme ou la jeune femme deviennent homme ou femme, et peuvent ainsi entrer dans la danse des rites amoureux. Chez les Iatmul, en Nouvelle-Guinée, le rite du « naven » vient ainsi célébrer une chasse exceptionnelle. Pour honorer son neveu, l'oncle maternel se déguise en veuve lubrique, se roule par terre en écartant les jambes devant son neveu ; puis, il lui frotte celles-ci contre ses fesses, singeant le coït et l'accouchement.

Leçon n° 3 : Une pointe de fantaisie

En manque d'imagination ? Demandez à ces tribus du nord de la Nouvelle-Guinée de vous parler de leur catalogue des soixante-dix programmes amoureux et sensuels. Transmis oralement depuis la nuit des temps, ces programmes viennent pimenter leurs amours ; pour décider de celui qu'ils mettront en pratique, les deux amoureux potentiels doivent tomber d'accord au cours de discussions qui peuvent durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Hommes et femmes peuvent pratiquer des parties différentes du programme avec des partenaires différents.

Changer de mari pour les femmes qui se considèrent mal mariées ? Une tribu du Niger le propose au cours d'un concours de beauté masculin qui se déroule à la fin de la saison des pluies. Les hommes, travestis, se maquillent en femmes et s'élancent dans une danse devant un jury uniquement composé de femmes. Montrant leurs dents dans un sourire figé, écarquillant les yeux pour qu'on en aperçoive le blanc, signe de bonne santé, cette fête peut durer six jours et six nuits.

Preuve de la diversité et des étrangetés culturelles, certains peuples survivent en pratiquant des rites amoureux étonnants. Ainsi, chez les Kalash, au Pakistan, hommes, femmes et enfants se travestissent au cours de la fête Chamos et se livrent à un tournoi d'insultes sexuelles. C'est la période d'abstinence hivernale et le « langage de la bite » disent les Kalash sert à resserrer les liens et à régénérer les forces vitales.

Enfin, en Chine dans le Yunnan, survit une minorité de culture matriarcale : le peuple Na. Ici, les géniteurs ne sont pas reconnus, les femmes vivent avec leurs frères et leurs enfants. L'inceste y est un tabou absolu. Ils ignorent tout du sentiment amoureux. Pour gagner les faveurs de ces dames, les hommes chapardent leurs chapeaux, un sourire en retour leur autorise une visite nocturne.

suite...

Photographies :
Jeune femme maasaï
Répétitions de la danse des femmes, île de Maap, Yap, Micronésie.
© Claude Hervé-Bazin

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