Pourquoi
partent-ils ?
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©
Laure de Charette
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« Les
vrais voyageurs sont ceux-la seuls qui partent pour partir »,
écrit Baudelaire dans Le Voyage. Certes. Mais on ne renonce
pas à une vie matérielle et sociale confortable sur un simple
coup de tête. Si le déclic s'opère en quelques secondes
- « c'était un 7 mars », se souvient
Xavier -, il s'avère être le plus souvent l'aboutissement
d'une envie latente qui sommeillait.
À quarante ans, Annie Marais dresse le bilan de sa vie passée.
Et réalise que si elle veut profiter pleinement de ses enfants
et les voir s'épanouir jour après jour, l'heure est venue
de s'offrir un gigantesque bol d'espace non morcelé en famille.
Comme elle, 73 % des Français estiment qu'une année
de voyage est plus bénéfique pour des enfants qu'une année
d'école. Quant à Xavier, à la question « pourquoi
partir ? », il répond sans détour :
« Pour casser les barrières d'une vie certes heureuse
et entourée, mais qui ne me permettait pas de développer
mon instinct de curiosité ». Il démissionne
donc et part, sac au dos pendant quatre mois, du Groenland à l'Australie.
Avec un objectif : « Me réaliser au travers
du voyage, me prouver à moi-même que je pouvais me dépasser
en vivant hors de mon cocon ». Ses parents, réticents
et inquiets de prime abord, finiront même par l'emmener à
l'aéroport.
Passionnés et intarissables, ces dignes héritiers de Marco
Polo, le premier à avoir fait le tour du monde, ont un leitmotiv :
découvrir le monde, les autres et soi-même. Cette soif d'errance
rejoint certainement une envie temporaire de s'évanouir dans la
nature, de s'inscrire aux abonnés absents de la société.
En somme, plus les contrôles et les contraintes se multiplient,
plus la vieille pulsion nomade se revivifie. « S'en aller,
s'en aller. Parole de vivant », disait Saint-John Perse.
L'expérience d'une vie
Qui
dit voyage à durée indéterminée dit
détermination à rompre les amarres. Mais entre le déménagement,
les bagages et les adieux, nombreux sont ceux qui disent avoir l'estomac
noué à l'heure du grand saut. Et à moins de prendre
un congé sabbatique (pendant onze mois maximum, à condition
d'avoir trois ans d'ancienneté dans l'entreprise et six ans d'activité
professionnelle derrière soi), voyage rime souvent avec chômage.
Mais une fois sur les routes du monde, l'émerveillement devient
le lot commun. Place à l'aventure, aux frissons et aux découvertes
quotidiennes. « Cette vie de nomade, de liberté nous
rend vraiment heureux. Rien ne nous manque (à part le camembert !) »,
écrit Annie dans son journal de bord. Même enthousiasme chez
Xavier : dès ses premiers pas en Amérique du Sud, il
apprend l'humilité et le dénuement, quand la poussière,
le manque d'eau et les moustiques porteurs du paludisme le guettent. Bonheur
de se surpasser, fierté de repousser ses limites. « La
récompense, c'est la rencontre, l'échange »,
sourit-il.
Lamartine estimait qu'il n'y a d'homme complet que celui qui a beaucoup
voyagé, « qui a changé vingt fois la force
de sa pensée et de sa vie ». Nul doute qu'une telle
expérience de vie ne laisse pas intact. Témoignage d'Annie :
« Les enfants sont devenus très tolérants,
très curieux de tout ». Et leurs résultats
scolaires forcent l'admiration : Louise a 18 de moyenne en anglais,
Lola, une année d'avance et le petit Léo lit très
bien, joue de la guitare et fait du judo
Mais force est de constater
que, pour les adultes, la réadaptation sociale et professionnelle
exige plus de patience. Après avoir eu le monde pour maison et
le ciel pour toit, il faut du temps, parfois jusqu'à plusieurs
mois, pour retrouver ses repères et atterrir pour de bon. Avec
parfois le sentiment de n'être plus tout à fait à
sa place. « Lorsqu'on emploie trop de temps à voyager,
on devient enfin étranger en son pays ». Descartes,
déjà. Mais une fois « re-sociabilisés »,
ces accros du voyage adoptent, semble-t-il, une nouvelle éthique
de vie, plus humaine, plus riche. Ils disent relativiser les difficultés
de la vie, accepter la routine et son lot de contrariétés.
Finalement, voyager, c'est aussi cela : accepter l'autre en soi.
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