Visions diaboliques au carnaval d’Oruro

Visions diaboliques au carnaval d’Oruro
© Ambassade de Bolivie

La saison des carnavals débute et le routard fêtard n’a que l’embarras du choix. Pourquoi ne pas s’arrêter à Oruro, sur les hauteurs de l’Altiplano, en Bolivie ? Cette ville minière, sans véritable intérêt le reste de l’année, devient incontournable dès que sonne l’heure de son carnaval, le plus grand du pays. Rendez-vous les 5 et 6 février pour assister au début d’une semaine étourdissante où se mêleront croyances païennes et chrétiennes, folklore, danses endiablées et vapeurs de chicha...

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Chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité

Prenez une bonne dose de croyances païennes, saupoudrez de religion chrétienne, ajoutez une rasade de folklore andin, et vous obtiendrez le carnaval d’Oruro. Si le carnaval est une institution dans toute la Bolivie, c’est dans cette ville minière de l’Altiplano, perchée à 3 700 m au-dessus du niveau de la mer, que la fête est la plus grande.
L’originalité du carnaval d’Oruro réside dans l’étonnant syncrétisme de bric et de broc dont il fait la démonstration. À la fois hommage au bien et au mal, à la Vierge de la Candelaria chrétienne et au diable païen incarné par Tio, le démon des mines, le carnaval est le reflet de l’histoire d’Oruro. Les rituels précolombiens qui y étaient accomplis par le peuple Uru ont été interdits par les Espagnols au XVIIe siècle. Comme souvent en Amérique latine, les croyances ancestrales n’ont pas pour autant disparu, mais se sont accommodées de la liturgie chrétienne. La Pachamama, la Terre mère, s’est grimée en Vierge de la Candelaria, rebaptisée à Oruro Vierge du Socavon, la patronne des mineurs. Ces derniers vénèrent aussi Supay, le diable qui hante leurs mines et qu’ils surnomment Tio (oncle). Le carnaval, importé par les colons, est une façon détournée de perpétuer leurs rituels païens. C’est aussi l’occasion d’évoquer les différentes communautés andines, les anciens esclaves africains et les corps de métier traditionnels comme les chamans, chacun représenté par des troupes de danseurs vêtus de somptueux déguisements.
Le carnaval d’Oruro est proclamé " chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité " par l’Unesco depuis 2001. C’est dire l’importance de l’événement, considéré comme la démonstration éclatante de la richesse des croyances et des arts populaires andins.

Des répétitions qui débutent plusieurs mois à l’avance

Les Boliviens se plaisent à dire que le carnaval d’Oruro est la plus grande fête d’Amérique du Sud, plus grande encore que le carnaval de Rio ! Ils y mettent en tout cas les moyens : près de 30 000 danseurs et musiciens sont de la partie. Quant aux spectateurs, ils sont 500 000 chaque année, venus de tout le pays et de plus loin encore.
Les préparatifs débutent plusieurs mois à l’avance. Pour cette édition 2005, leur coup d’envoi officiel a été donné le 7 novembre dernier. Depuis, les membres des 47 ensembles qui participeront à la fête, où qu’ils vivent en Bolivie, se sont rendus chaque dimanche à Oruro pour répéter méticuleusement la chorégraphie de leurs comparsas respectives (troupes de personnages rassemblés sur un même thème). Chaque danseur s’engage à participer trois années consécutives. Imaginez les sacrifices, en temps et en argent, que cela implique ! Les artisans d’Oruro, quant à eux, préparent toute l’année le carnaval. On peut les voir travailler dans la calle La Paz, brodant des costumes richement ornés et taillant des masques pour la prochaine édition.

La Diablada, fierté nationale

Le carnaval débutera le samedi précédant le mercredi des Cendres, le 5 février, et se poursuivra jusqu’au dimanche 13. C’est surtout le premier week-end qu’il faudra assister aux défilés, dans une ambiance surchauffée par les danses, la musique traditionnelle, les masques spectaculaires, les costumes superbement brodés, les jets de bombes à eau et les vapeurs d’alcool. La chicha et la bière couleront à flots, pour oublier le froid et tenir pendant ce marathon carnavalesque ! Les spectateurs seront placés sur des gradins élevés le long des 4 km du parcours des défilés (places payantes).
Le samedi sera le jour de l’entrada, l’" entrée " du carnaval, le moment le plus spectaculaire. Les défilés s’élanceront dès l’aube du parc de l’Union, pour se diriger lentement vers l’église de la Vierge du Socavon. Toute la journée, les différentes comparsas se succèderont dans un foisonnement de costumes éblouissants. Chacune sera précédée d’un véhicule richement paré de tissus, de plateaux d’argent et autres objets rutilants. La Diablada, qui ouvrira le bal, est la plus célèbre et la plus spectaculaire des comparsas. Pour les catholiques, elle représente la victoire de l’archange Saint-Michel sur le diable et les sept péchés capitaux. C’est également un hommage à la Vierge du Socavon et à Tio. La China Supay (la diablesse) ouvre le cortège, bientôt suivie d’une ribambelle de démons, de Saint-Michel et du diable. Cette danse, née officiellement en 1904, est considérée comme une véritable institution, la fierté du folklore d’Oruro, qui apprécie moyennement que le Pérou et le Chili se la soient appropriée ! Parmi les différentes comparsas, il y aura aussi des danses d’influence africaine, comme la Morenada et ses masques d’esclaves noirs envoyés dans les Yungas, ou les Caporales qui évoquent les contremaîtres chargés de les surveiller. Les ancêtres incas seront également représentés, tout comme les tinkus, ces combats masculins, démonstration de virilité, qui obéissent à des règles précises. La fête se poursuivra toute la nuit dans une surenchère d’enthousiasme et d’alcool.

Le lendemain, dès 6 h, chaude ambiance dans le quartier d’El Alba, sur les collines de la ville, où tous les musiciens du carnaval se réuniront pour jouer. Plus tard dans la journée, ils effectueront le parcours de la veille en sens inverse. La semaine s’écoulera ensuite plus calmement, même si danseurs et musiciens continueront de s’en donner à cœur joie dans tous les quartiers de la ville. Le carnaval prendra fin le dimanche suivant, avec un grand bal donné sur la place principale d’Oruro. Si vous avez tenu jusque-là, entre l’altitude et la fatigue, félicitations. Mais parions plutôt que dès la fin de la première journée, vous vous contenterez d’admirer l’endurance des Boliviens...

P’tites adresses

Où dormir ?
Un conseil : réservez votre hôtel ou arrivez deux jours à l’avance. Attention, pendant le carnaval, les tarifs passent du simple au triple.
- Hotel Repostero : Sucre 370. Tél. : (00-591-2) 525-05-05. C’est l’hôtel routard de la ville. Prix moyens. Très près de la gare et du marché.
- Gran Sucre Hotel : Sucre 510. Tél. : (00-591-2) 525-38-38. Clean, eau chaude. Même gamme que le précédent. Convivial.

Où manger ?
- Nayjama : Aldana 1880, esq. Pagador. Tél. : (00-591-2) 527-76-99. L’endroit le plus classique d’Oruro. Coctel de tumbo en apéro, suivi d’un intendente, plat à base de viande pour deux. Colitas de cordero et cordero al vino pour ceux qui cherchent des sensations culinaires nouvelles. En dessert, sorbet de chirimoya ou de mandarine à faire pâlir Berthillon.

Où sortir ?
- Pub La Alpaca : calle La Paz. Tél. : (00-591-2) 525-17-15. Un pub londonien au milieu du pays des diables ! Patronne sympa, musique européenne.

Photo : © Ambassade de Bolivie en France. Vice-Ministère du Tourisme.

Pour en savoir plus

- Ambassade de Bolivie : 12, av. du Président-Kennedy, 75116 Paris. Tél. : 01-42-24-93-44. Fax : 01-45-25-86-23. Bureaux ouverts du lundi au vendredi de 10 h à 14 h.
- Office du tourisme d’Oruro : plaza 10 de Febrero, edificio Prefectura. Tél. : (00-591-2) 525-01-44. Ouvert du lundi au vendredi de 8 h à 12 h et de 14 h à 18 h 30.
- Retrouvez la liste des chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité de l’Unesco.

Texte : Clémentine Bougrat

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