Baléares : Majorque secrète et insolite
On l’imagine bétonnée, colonisée par des hordes de vacanciers venus rissoler sur ses plages tout au long de la belle saison. Oui, Majorque est touristique. Oui, elle est balnéaire et, par endroits, montre un urbanisme tentaculaire.
Mais c’est à un autre voyage que nous vous invitons ici : à la découverte d’une île qui a aussi gardé ses jardins secrets, ses criques vierges, ses îles désertes, ses dunes sauvages et de fantastiques sentiers de randonnée. Cette Majorque-là déborde de charme, à vous de la découvrir…
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Préparez votre voyage avec nos partenaires- Majorque, version préhistorique
- Les jardins du paradis de Majorque
- Majorque avec vue : bastions et nids d’aigles secrets
- GR 221 de Majorque : la plus belle randonnée de Méditerranée
- Dragonera et Cabrera : îles désertes aux Baléares
- Panoramas et plages désertes de Majorque
- Criques et plages secrètes de Majorque
- Majorque, côté campagne
- Fiche pratique
Majorque, version préhistorique
Ce pourrait être le début d’un conte. Il était une fois… un peuple mystérieux qui, occupant l’archipel des Baléares à l’âge du Bronze, y dressa d’étranges monuments de pierres sèches. Ces talayots ont donné leur nom à toute une culture, dite talayotique. De quoi s’agit-il ? De sortes de tours, amarrées au sein de villages évoquant aujourd’hui d’immenses dédales de rochers et de blocs empilés.
À Capocorb Vell, 35 km au sud-est de Palma de Mallorca, ils sont cinq : trois talayots ronds et deux carrés, cernés d’une grosse vingtaine d’habitations – ou plutôt des murs enchevêtrés qui en restituent partiellement le souvenir. Soutenue par une dalle gigantesque, une salle hypostyle conserve sa voûte.
Et, au large, se dresse toujours un pan d’enceinte cyclopéenne, comme indestructible. Une impression de puissance évanouie émane de ces amoncellements, comme si une cité engloutie s’était un jour dressée ici, avant que les pins parasols et les oliviers ne s’emparent du territoire.
Si Minorque possède les monuments mégalithiques les plus impressionnants des Baléares, Majorque n’en manque pas. On en retrouve aussi à Ses Païsses, au nord de l’île, et en plein milieu de la station balnéaire de S’Illot, sur la côte orientale, face aux immeubles et aux vendeurs de bouées fluo… Certains de ces villages vieux de 3 000 ans regroupaient plus de 200 personnes, agriculteurs et éleveurs de chèvres et de moutons. C’est avec la colonisation romaine, semble-t-il, qu’ils sombrèrent dans l’oubli.
Les jardins du paradis de Majorque
Plus tard vinrent les Byzantins, puis les Maures, qui tentèrent de faire de ces îles rocailleuses un grand jardin. Au nord de Palma, au pied de la Serra de Tramuntana, le domaine d’Alfàbia est l’un des rares lieux à témoigner encore de leur présence. La finca (grande ferme), toujours active, y conserve un splendide plafond almohade à muqarnas (en stalactites) du 12e s, comme on peut en voir à Fès ou Marrakech.
L’envoûtant jardin déroule des siècles de patient ouvrage. On s’en approche par un grand escalier encadré de palmiers royaux. En haut, deux lions de pierre veillent, tapis aux abords d’un aljibe (citerne) laissant doucement filtrer la lumière ; l’eau goutte, des fougères y poussent, se mirant sur la surface couleur jade. Le bassin alimente les jeux d’eau qui, d’une simple pression sur un interrupteur, surgissent sous la pergola avant de s’évanouir au fil de la pente. Luxe inouï de l’eau inutilisée.
La balade se poursuit entre palmiers, magnolias et bougainvillées, caoutchoucs et cèdres du Liban. Dans cette touffeur, un kiosque sert une orange fraîchement pressée. Et la musique classique conduit au sein de la demeure, où s’empilent tableaux et mobilier des siècles passés. Un fauteuil gothique y représente Tristan et Yseult.
À 3 km de là, un autre domaine remonte à la conquête arabe : Raixa. Le lieu a été réinventé au 18e s par un cardinal majorquin. La grande loggia y parle de villas toscanes et l’escalier triomphal encadré de sculptures y grimpe jusqu’à un fier Apollon de marbre. Au-dessus : un immense réservoir (aux carpes) et un belvédère.
Majorque avec vue : bastions et nids d’aigles secrets
Proie régulière des conquérants et des Barbaresques, Majorque a longtemps vécu arrimée aux contreforts de ses montagnes, pour mieux les voir arriver. Trois forteresses y témoignent encore des inquiétudes médiévales et d’ardents combats.
Une seule est aisément accessible : on se gare au pied du sommet plat qu’occupait jadis le castell de Santueri, avec vue à 360° sur la plaine et ses oliviers. Tour ronde, tours carrées et mâchicoulis ont été restaurés d’un seul côté.
Plein ouest, le castell d’Alaró s’implante sur les contreforts de la Serra de Tramuntana. Une route étroite et cabossée se hisse sur 4 km jusqu’au restaurant Es Verger – une simple ferme où, le week-end, les Majorquins débarquent en nombre pour dévorer en famille la paletilla de cordero, l’épaule d’agneau confite dans la grande cheminée. De là, il faut 45 min de marche pour rejoindre l’éminence sur laquelle se dessinent les ruines. Trois fois rien : une tour vaillante dont on franchit le porche et, plus haut, un ermitage devenu refuge avec sa terrasse plantée d’un grand caroubier. Sous les yeux : toute la plaine centrale.
Reste, loin, très loin des foules, le splendide Castell del Rei. Il faut au moins 2 h de marche ardue, depuis Pollença, pour rejoindre ce nid d’aigle incroyablement arrimé à une fortification naturelle coiffant les falaises de la côte nord-ouest, 476 m au-dessus de la mer. On jurerait un château cathare drapé dans son inexpugnable solitude. Lors de la conquête de l’île par le roi d’Aragon, au 14e s, jamais la place ne céda.
GR 221 de Majorque : la plus belle randonnée de Méditerranée
Le Castell d’Alaró est (presque) sur son chemin. Étiré au long de la Serra de Tramuntana, sur près de 92 km, le GR 221 devrait, un jour, permettre de rallier une extrémité à l’autre de la côte ouest de Majorque : c’est la plus belle, soulignée par des palissades de falaises et de sommets dénudés. Pour l’heure, quelques grandes sections traversant des propriétés privées manquent encore à l’appel.
Les insulaires parlent plus volontiers de la Ruta de Pedra en Sec, le chemin de la pierre sèche. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : un sentier bâti et renforcé par les Majorquins pour desservir, jadis, leurs maigres arpents de terres cultivés en terrasses. Des sections entières n’y sont faites que d’escaliers.
Ainsi, l’itinéraire grimpant interminablement à travers le Barranc (ravin) de Biniaraitx (jolie bourgade) se coltine-t-il plus de 2 000 (courtes) marches d’affilée pour rejoindre le plan de l’Ofre ! Le raidillon, méticuleusement pavé, épouse les flancs d’un torrent, slalome entre les oliviers et se rapproche du fond d’un cirque avant de s’élever sur ses flancs au gré d’une multitude d’épingles à cheveux. Là-haut : un lac de retenue.
Le Consell de Mallorca (gouvernement autonome) a créé tout au long du GR 221 et sur les sentiers secondaires un réseau de sept refuges fort bien équipés, où les randonneurs peuvent passer la nuit et se restaurer. Vu leur popularité, mieux vaut y réserver sa place aux meilleures saisons : le printemps et le début de l’automne.
Dragonera et Cabrera : îles désertes aux Baléares
Au large, deux terres vierges invitent à d’autres randonnées dans un écrin de nature. Deux îles inhabitées, de part et d’autre de Majorque, l’une et l’autre protégées.
Au sud-ouest, la longue île de Sa Dragonera (4 km), où Barberousse aurait jadis relâché, déroule son échine de lézard sur le bleu outremer. Côté terres : des pentes rudes tapissées d’une végétation clairsemée. Côté mer, d’homériques à-pic frôlant le dévers, comme si l’île, tel un iceberg, s’apprêtait à basculer. Ce gros radeau, classé parc naturel, est desservi par bateau tout au long de la belle saison depuis la station balnéaire de Sant Elm (pas trop envahie). En ligne de mire : une jetée corpulente, un ancien poste de garde devenu centre d’interprétation et trois phares si haut perchés qu’ils semblent flotter en apesanteur.
C’est de Colonia Sant Jordi, au sud-est de Majorque, que l’on vogue vers l’île de Cabrera. Quittant le tout-béton de la station, le bateau pénètre 1 h plus tard dans la profonde et vaste baie d’es Port, gardée par la silhouette du Castell arrimé à son promontoire. À son pied, un petit port aux quelques maisons blanches, une cantina très appréciée des voileux et un refuge pour s’oublier dans ce monde parallèle.
De 1808 à 1813, plus de 7 000 grognards faits prisonniers durant la Campagne d’Espagne survécurent avec difficulté en ce lieu, rebaptisé Napoléonville, presque livrés à eux-mêmes. Le rat, dit-on, y servait alors de monnaie d’échange…
Panoramas et plages désertes de Majorque
Au nord de Majorque, l’immense baie d’Alcúdia, colonisée par un urbanisme balnéaire… envahissant, est enserrée entre deux pointes rocheuses presque intactes.
À l’ouest, le cap des Pinar, fort accidenté, culmine à 446 m à la Talàia d’Alcúdia, atteinte après 1 h d’effort depuis le vieil ermitage de la Victòria. Une fois le superbe panorama (à 360°) consommé, on redescend sur le versant opposé. Le sentier, dévalant au milieu des càrritx, de grandes herbes touffues hautes de 2-3 m, rejoint la plage de Coll Baix, cachée au pied du petit col éponyme. Sur la fin, il faut plonger à travers les pins, dévaler sur les gros rochers pour enfin atteindre ce discret ruban de sable un peu grossier, qu’aucune construction ne vient défigurer.
À l’est de la baie d’Alcúdia, le parc naturel de la péninsule du Llevant forme le plus vaste pan de nature préservée de Majorque (16,7 km2). Aucune route ne le traverse : seuls 13 sentiers permettent de l’explorer. De la Cala Mitjana, atteinte par une piste, un fort bel itinéraire mène en moins de 2 h à la plage de S’Arenalet d’Albarca, où s’implantent camping et refuge.
En chemin : la solitaire Cala Matzoc ; la tour de guet d’Albarca (il en existait une cinquantaine tout autour de l’île), d’où l’on découvre, en crapahutant sur une échelle bancale, un panorama fabuleux sur la côte bardée de falaises ; puis la platja déserte de Sa Font Salada, étalant son large tapis de sable, apprécié des nudistes, au débouché d’un rio. Un vrai miracle.
Criques et plages secrètes de Majorque
Baies de Palma et d’Alcúdia exceptées, c’est sur la côte est de Majorque que se regroupent les plus grosses stations balnéaires. Tout le littoral n’est pourtant pas colonisé. À y regarder de plus près, quelques calas (criques) échappent même au béton.
Aux portes du parc de la péninsule du Llevant, la Cala Mesquida, très construite d’un côté, ne l’est pas du tout de l’autre : un vaste champ de dunes traversé de passerelles en bois y précède la réserve du cap des Freu. Plus à l’est, aux abords de la station de Cala Ratjada, la longue plage de sable clair de la Cala Agulla s’adosse à une forêt de pins. Loin d’être déserte, elle est néanmoins franchement belle.
C’est entre Porto Cristo et Cala d’Or que se regroupent les calas les plus discrètes. La minuscule Cala Petita, au V de sable prolongé par une longue calanque effilée. Les très accessibles Calas Anguila et Romantica, restées jolies malgré l’urbanisation du secteur. Et la plus belle : la Cala Varques, à 30 min de marche de la route. Végétation intacte, sable épais, eaux cristallines – un rêve éveillé.
Plus au sud, on se gare juste au-dessus de la charmante Cala Sa Nau pour aller planter les pieds dans le sable, sous le pin de son unique xiringuito (bar de plage) et y déguster un poisson grillé. Mieux encore ? Il faut filer jusqu’au Caló d’en Moro, passé Cala Llombards. Une étroite plage atteinte à pied face à un rectangle parfait d’eaux turquoise.
Majorque, côté campagne
Le voyage s’achève dans les terres, quelque part entre le vieux village de Petra, dominé par son ermitage, et celui de Montuïri, aux ruelles tapissant un promontoire bas. Là, en pleine campagne, entre champs de blé, vergers d’amandiers (en fleurs en février-mars) et haies de cyprès, demeure un peu de la Majorque d’autrefois. Le domaine agricole d’Els Calderers est né de la Reconquista au 13e s ; 500 ans plus tard, la famille Verí y fit bâtir un solide manoir de trois étages, témoin du style de vie de la grande bourgeoisie rurale, devenu musée ethnographique.
On y pénètre presque sur la pointe des pieds, pour découvrir un grand salon meublé à l’ancienne donnant, côté intérieur, sur un vaste patio. Trois arbres y pépient, des plantes en pots s’y multiplient, autour d’un bassin à poissons rouges et d’un vieux puits. La plupart des pièces du rez-de-chaussée s’ouvrent sur cette oasis.
Les portraits au vernis craquelé, la bibliothèque aux volumes empilés invoquent une longue histoire de famille. Les malles laissent imaginer des voyages et la cave, aux foudres géants, parle de grandes vendanges. À l’étage, à l’abri de l’humidité, les vastes réserves ont conservé leurs bacs de pierre remplis d’authentiques récoltes : blé, maïs, fèves, pois chiches et amandes produits sur la propriété. Les chambres sont à côté, avec leurs froufrous et falbalas d’autrefois. En contrebas, on rejoint les ateliers et les étables, encore habitées par oies, chèvres, veaux et cochons noirs. Une jolie tranche d’histoire vécue.
Fiche pratique
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Office du tourisme des Baléares
Office du tourisme de Majorque
Comment y aller?
Vueling et Air Europa (depuis Orly) desservent Palma de Mallorca en vol direct depuis la France. Sur place, le réseau de transports en commun est efficace et bon marché, mais il ne permet pas de rejoindre les coins isolés. Seule solution : la voiture de location. On en trouve à des tarifs très raisonnables, avant le départ ou sur place.
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Quand y aller ?
Les amateurs de randonnée et de coins secrets privilégieront le printemps et l’automne pour éviter les grosses chaleurs et la foule. Cela étant, la saison touristique ayant tendance à s’étendre, l’île est de plus en plus envahie de Pâques jusqu’en octobre… Une partie des établissements ferme de novembre à mars, ou un peu moins longtemps.
Où dormir ?
L’engouement croissant pour les Baléares voit les prix de l’hébergement augmenter chaque année… Les petits budgets n’auront pas énormément de choix. Le camping est quasi impossible (sauf à S’Arenalet d’Albarca) et les auberges de jeunesse sont rares (Palma, Esporles et Alcúdia).
Par contre, on trouve un bon choix de refuges gérés par le Consell de Mallorca sur le GR 221 et d’autres, encore, qui dépendent de l’Institut Balear de la Natura (refugis@ibanat.caib.es ; ceux-là généralement loués dans leur intégralité).
Pour ne pas trop se ruiner restent, sinon, les petits hôtels familiaux (hostales), de moins en moins nombreux, les locations d’appart ou les forfaits tout-compris dans une station pas forcément bien jolie mais qui peut faire une base acceptable à condition de bien choisir !
Ceux qui ont davantage de moyens s’intéresseront aux fincas d’agroturismo, des domaines agricoles s’étant plus ou moins partiellement reconvertis dans le tourisme (de luxe en général).
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Visite du Castell del Rei
Une autorisation doit être obtenue à la mairie de Pollença ; mieux vaut s’y prendre à l’avance, il faut en général 3-4 jours pour l’obtenir.
Texte : Claude Hervé-Bazin
Mise en ligne :