Maroc : la culture gnaoua, de l’esclavage à l’UNESCO

Maroc : la culture gnaoua, de l’esclavage à l’UNESCO
© Salvador Aznar - Shutterstock

Au Maroc, la culture du gnaoua, ou tagnaouite, est longtemps restée dans l’ombre. Pourtant, depuis une vingtaine d’années, le gnaoua connaît un regain de popularité. Mieux : le gnaoua a été inscrit au patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO en décembre 2019. Une reconnaissance qui vient couronner la richesse d’une confrérie soufie, d’une identité, d’une musique et d’une culture en mouvement, qui plonge ses racines dans le 16e siècle et l’histoire de la traite négrière.

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Les origines subsahariennes du gnaoua

Les origines subsahariennes du gnaoua
Source Wikipedia

Le gnaoua est né avec l’arrivée des esclaves noirs au Maghreb au cours du 16e siècle. Originaires du Sénégal, du Soudan, de la Guinée, ils apportèrent avec eux leurs coutumes, leurs croyances, leurs médecines, leurs religions – judaïsme, animisme, cultes de la nature et des éléments.

Avec l’islam, les anciens esclaves n’abandonnèrent pour autant pas les systèmes culturels et théologiques de leurs ancêtres. C’est donc d’un syncrétisme que naquît la confrérie soufie gnaoua au Maroc. Leurs chants invocatoires en berbère, en arabe et en vocables subsahariens des cérémonies gnaoua en sont une preuve.

Le gnaoua se dit être en filiation avec Bilal, qui fut un esclave affranchi par le Prophète.  Il est considéré comme étant le premier homme noir à s’être converti à l’islam et le premier muezzin. Ce lien permet aux gnaoua de légitimer leur attachement à l’islam, alors qu’ils trainèrent jusqu’à la moitié du 20e siècle une mauvaise réputation. Vagabonds, mendiants … Les gnaoua ont longtemps été dénigrés par les tenants d’un islam savant, par opposition à l’islam populaire.

A ce titre, l’inscription de la culture gnaoua au patrimoine mondial de l’UNESCO en décembre 2019 peut se lire comme une invitation : celle à reconnaître le gnaoua à sa juste valeur, spectaculaire, coloré, musical … intime et sacré.

Le gnaoua musical et profane

Le gnaoua musical et profane
Musicien gnaoua jouant du guembri © Juan Aunion - Shutterstock

Le gnaoua est comme la lune. À double face. Le visage visible du gnaoua, c’est sa musique. C’est le tempo hypnotique du luth à trois cordes (le guembri), les percussions polyrythmiques des crotales métalliques (les qraqeb), les chants incantatoires du maître-meneur de troupe (le mâalem) et les chœurs envoûtants des élèves-musiciens qui la composent (les taliban, élèves en arabe). Le visage visible du gnaoua, ce sont les représentations publiques, les concerts et les spectacles.

La scène gnaoua est depuis une cinquantaine d’années un théâtre singulier. Les musiciens parviennent à conserver les répertoires musicaux qui remontent au 16e siècle tout en les actualisant au contact d’autres genres musicaux. On parle alors de gnaoua-fusion. Reggae, jazz, blues, musique malienne … Autant de cultures qui entrent en résonance avec la musique gnaoua.

Aujourd’hui, la tendance est à la professionnalisation des musiciens du gnaoua. À noter également, l’accession timide des femmes au métier : deux femmes mâalema jouent sur les scènes musicales. Pour résumer, le gnaoua visible – et audible ! –  se matérialise par son spectacle, son folklore et sa musique, accessible au public. Cependant, ce gnaoua-là ne représente qu’une qu’une infime partie de la richesse d’une culture qui ne se dévoile qu’aux initiés.

Le gnaoua rituel et intime

La face cachée du gnaoua est aussi sa face sacrée. Rares sont ceux, en dehors des membres de la confrérie, qui peuvent témoigner du caractère sacré et thérapeutique du gnaoua. C’est ce visage qui a su et sait encore aujourd’hui se dérober à la curiosité des voyageurs et des non-initiés.

D’ailleurs, le répertoire joué lors des concerts publics se limite à une seule partie. Appelée « les fils de Bambara », elle consiste en des chants africains, des récits d’esclaves. Le reste du répertoire est réservé aux lila, littéralement « nuit », en arabe. Dans l’intimité d’un salon chauffé par les corps en transe des possédés se dessine une cérémonie visant à libérer les patients de leurs souffrances psychiques et morales.

Tout un chacun, musulman ou musulmane, peut « commander » une lila, à la troupe du mâalem, accompagnée d’une prêtresse (moqadma) qui veille au bon déroulement de la cérémonie. Couleur des tenues, encens, répertoire de chants, la codification des lila gnaoui s’est toujours transmise oralement. Le déroulement de la cérémonie varie selon le mâalem, bien que les principes fondamentaux aient été intégrés par tous les membres de la confrérie soufie.

Où et quand écouter de la musique gnaoua ?

Où et quand écouter de la musique gnaoua ?
Musiciens gnawa place Jemaa el-Fna © VanderWolf Images - Shutterstock

Si l’on met de côté la lila, réservée aux initiés, il est toutefois possible de profiter de nombreuses représentations publiques à travers le Maroc. Florilège des évènements et lieux à ne pas manquer.

- Festival gnaoua et musique du monde d’Essaouira : chaque année avant l’été, la ville des vents célèbre le gnaoua dans un festival de plusieurs jours, partout dans la ville. Référence incontournable, concerts de grande envergure, le plus grand du genre.

- L’Etoile du Plazza : 74 Boulevard Abdellatif Ben Qaddour, Casablanca. Dans ce bar-restaurant à l’ambiance lounge au centre de Casablanca, le mâalem Rachid el Hamzaoui se produit plusieurs fois par semaine.

- Taros Café : place Moulay Hassan, Essaouira. Une terrasse, un bon système-son, la vue sur l’océan, une pinte de bière et du gnaoua dans ce chef-lieu de la nuit.

- Place Jemaa el-Fna, Marrakech. Sans aucun doute la place la plus célèbre du Maroc. Dès la nuit tombée, fermez les yeux, ouvrez l’oreille et laissez-vous guider. Chaque soir, sans exception aucune, des musiciens sont en représentation. N’oubliez pas de laisser quelques dirhams (5 à 20 DH) pour le spectacle et la photo-souvenir.

- Les moussem sont des fêtes parfois religieuses, parfois profanes, qui célèbrent les saisons, des évènements cosmogoniques ou rendent hommage à un saint dans son sanctuaire (zaouïa). La confrérie gnaoua se rend chaque année au double moussem de Tameslouht et de Moulay Brahim. La procession part de la porte des gnaoua à Marrakech jusqu’à ces deux localités de l’Atlas occidental. Le moussem a lieu chaque année, sept jours après la naissance du prophète (maouloud, mawlid).

- Gnaoua Culture et Yerma Gnaoua sont deux associations actives et qualitatives sur les réseaux sociaux qui publient les évènements et actualités du gnawa au Maroc.

Pour aller plus loin

Gnaoua traditionnel et fusionnel : la bande-son, continuez votre voyage en musique avec notre playlist Culture gnaoua disponible sur Deezer et Spotify.

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Texte : Jérémie Vaudaux

Mise en ligne :

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