Londres : dans les pas d’Amy Winehouse à Camden Town
Plus qu’un quartier de Londres, Camden Town est un personnage. Un personnage fantasque, à contre-courant du flegme britannique.
C’est ici qu’arrivait le train de Birmingham au XIXe siècle. Ici aussi que s’effectuait le transfert de marchandises avec les péniches sur Regent’s Canal. Un quartier popu, ouvrier, malfamé. Avant de se transformer, dans les années 1960, en hub d’une faune éclectique, à l’ambiance électrique.
Les arrière-salles s’ouvrent alors aux artistes émergents, les plus grands groupes s’y produisent. De miteux, Camden devient branché, avant de se gentrifier. Un quartier alternatif où Amy Winehouse s’est glissée. Elle y vit, y chante. Y meurt aussi. À l’occasion de la sortie du film Back to Black, on fait Amy-Amy avec le coin.
Préparez votre voyage avec nos partenairesCamden Market : une statue en bronze pour Amy
Le marché de Camden s’est d’abord installé, timidement, dans les années 1960. Ou plutôt les marchés. Camden Lock, Inverness Street, Buck Street, Camden Stables – ex-écuries qui abritèrent jusqu’à 600 canassons au début du XXe siècle. Friperies, disquaires et artisans grignotent les espaces. On y croise alors punks à crêtes, goths parés pour des obsèques, emo à frange.
À l’entrée du Stables Market, des escaliers. Ceux de la couv du premier album éponyme des Clash. Le groupe y a vécu dans un entrepôt désaffecté de British Rail. Amy y vendit des bougies et des fringues pour fétichistes. On slalome dans la foule, le nez saturé par les odeurs de street food, et la voilà, grandeur nature – c’est-à-dire pas très grande – juchée sur des escarpins, le cheveu choucrouté. Elle aurait fêté ses 31 printemps le 14 septembre 2014, l’occasion de dévoiler sa statue en bronze.
Sculptée par l’une de ses connaissances, Scott Eaton, elle devait initialement trôner devant le Roundhouse, mais fut installée ici pour des raisons de sécurité. Elle devrait encore déménager, toujours dans le marché, près de magasins moins achalandés… histoire de gagner eux aussi en notoriété !
Haut lieu touristique, le marché a perdu beaucoup de son âme, d’autant qu’il a été reconstruit après deux incendies en 2008 et 2015. Il reste bien, au détour de ce labyrinthe, quelques rares endroits où dégoter des trésors vintage, mais la majorité des boutiques prône le made in China. Même les punks ont disparu. Ah non, il en reste un. Une guide souffle, amusée : « Il est là de 9 h à 17 h, échangeant une photo contre de la menue monnaie. En plus, il est Brésilien ! »
Alison la francophone (Aseabrookmoore@gmail.com), Elena la voisine (Camden Guides) : deux guides passionnées et passionnantes vous embarquent dans l’histoire de Camden et le sillage d’Amy.
Les demeures d’Amy Winehouse à Camden Town
Avec son premier cachet, à la sortie de l’album Frank en 2003, Amy s’installe dans son quartier de prédilection. D’abord au 28 Jeffreys, artère tranquille aux demeures bourgeoises érigées entre 1816 et 1840. Pour plus de discrétion – les paparazzis la pourchassent déjà –, Amy se glissait par la porte arrière, via les jardins échevelés défendus par une grille noire. Son père conserve l’appartement et Amy déménage à deux pas, 25 place Prowse. Une chaussée pavée, une ancienne fabrique de pipes transformée en lofts : trois chambres, un vaste salon, des murs de briques et du plancher et même un discret jardinet. À l’hiver 2009, des cambrioleurs y dérobent, entre autres, cinq guitares.
En mars 2010, son père Mitch acquiert pour elle la superbe maison victorienne du 30 Camden Square, face au jardin éponyme, des murs de briques scandés de fenêtres maquillées de blanc. C’est ici qu’Amy meurt d’une overdose d’alcool le 23 juillet 2011.
Le propriétaire actuel, qui l’a acquise pour 3,5 millions de livres sterling (3,9 millions d’euros) en 2020, fait régulièrement repeindre le mur devant la demeure : les fans viennent l’embrasser, laissant de nombreuses marques de… rouge à lèvres.
Sur le trottoir opposé, un arbre, en partie recouvert de messages, fleurs desséchées, cadenas et gris-gris accrochés par d’inconsolables admirateurs.
Primrose Hill et les canaux : Camden côté nature
Amy n’aimait pas seulement jouer au billard ou servir des pintes dans ses bars favoris, elle adorait se balader dans son quartier. Et les habitants l’appréciaient, cette jeune fille perdue, toujours aimable.
Aux beaux jours, elle allait pique-niquer avec Blake sur Primrose Hill, y trouver l’inspiration les jours d’hiver.
Elle n’est pas bien haute cette colline, mais promet une superbe vue sur la capitale façon skyline avec la grande roue et la mairie et, en contrebas, le Regent’s Park et son zoo – l’un des plus anciens au monde –, où des scènes de Back to Black ont été tournées. Des maisons coquettes, des vitrines bien léchées ; plane un parfum de Notting Hill dans les rues alentour qui ont su séduire Gwyneth Paltrow et son ex, Chris Martin, mais aussi Robert Plant et Daniel Craig.
Et puis, il y a les canaux, dont le plus célèbre, Regent, est veillé par le charmant pont au-dessus de l’écluse que l’on retrouve dans le film. Si vous l’empruntez, regardez les sillons creusés par les cordes des chevaux lorsqu’ils remorquaient les barges du canal débordant de marchandises.
L’acheminement routier signe la mort du transport fluvial, mais le canal est toujours utilisé pour des croisières touristiques jusqu’à Little Venice, havre de verdure et de tranquillité à la jonction du Regent’s Canal et du Grand Union Canal. Y vivent, à bord de péniches joliment fleuries, quelques happy few.
On peut aussi suivre les berges à pied, pour une promenade tout aussi bucolique.
Tout pour la musique : les scènes et les bars mythiques
C’est au Jazz Cafe – une ancienne succursale de la Barclays Bank devenue salle iconique dans les années 1990 – qu’Amy est repérée lors de l’un de ses premiers concerts le 1er février 2004. Relifté, orné d’une énorme boule à facettes, le lieu a un côté intimiste, et la programmation est particulièrement éclectique pour des groupes du monde entier.
Amy chantait souvent au Lock Tavern. En 2006, y a lieu la première rencontre entre elle, son père et Raye Cosbert, son second manager. Rénové, le pub propose des DJ set et a aménagé un chouette rooftop.
Mais l'histoire de la musique à Camden commence par la Roundhouse, l’une des scènes les plus créatives et mythiques de Londres. Bâti en 1846, cet ancien hangar à trains tout rond a rouvert en 1964 comme salle de concert : Pink Floyd et Jimi Hendrix, The Rolling Stones et Led Zep, Motörhead et Les Doors Bowie, et bien sûr, Amy Winehouse, s’y sont produits.
Superbement restaurée, elle est classée monument historique – les poutres métalliques et les colonnes sont d’origine. Le 20 juillet 2011, Amy monte sur scène, non pour chanter mais pour soutenir sa « filleule », Dionne Bromfield, lors du iTunes Festival. Elle danse, sur une reprise de « Mama Said » des Shirelles, le sourire mécanique, le regard ailleurs. Elle meurt trois jours plus tard.
Autre sport musical mythique, le pub Dublin Castle, ouvert depuis 1856 sur Parkway, fut au XIXe siècle le QG des ouvriers œuvrant à l’entretien du canal et du réseau ferroviaire. À l’arrière, une petite salle de concert. La Brit Pop y a ses entrées, il suffit de regarder les photos qui criblent les murs. Ce sera aussi le QG d’Amy Winehouse, pour discuter, composer ou chanter. Et l’ambiance est toujours survoltée.
Le Dublin Castle est le seul pub du quartier autorisé à rester ouvert jusqu’à 2 h du matin… Et l’un des rares à proposer des toilettes inclusives !
Une journée avec Amy Winehouse à Camden Town
Le matin, il n’était pas rare de croiser la chanteuse dans une minuscule épicerie de quartier, Pat’s News, désormais vendue. Elle y feuilletait les journaux, achetait sa brique de lait, raflait les bonbons acides au cassis dont elle raffolait.
À deux pas de Jeffreys, Chris's Kitchen un restau grec. Elle y déjeunait de frites, à l’abri des regards. La propriétaire aime cette frêle jeune femme pour qui elle file un jour acheter la purée de pommes de terre qu’elle réclame, juste à côt », au Castle's Pie & Mash, une institution : depuis 1934, on y déguste de délicieuses tourtes et de l’aspic d’anguilles que l’on peut même emporter.
Amy était souvent fourrée chez Dot's où elle achetait des partitions, des cordes pour ses guitares. L’après-midi la voyait au Good Mixer, lieu de mythes jamais démentis. Érigé dans les années 1950 sur une zone bombardée, le pub devint dans les années 1990 l’épicentre de la Britpop. La légende susurre que, en y croisant pour la première fois Graham Coxon le guitariste des Blur, Noel Gallagher d’Oasis lui lance : « Belle musique, vêtements de merde. »
Amy y pointe son nez en 2001. Elle commandait un verre, filait vers le billard – son hobby - sans payer, comptant sur un oubli de Sarah, patronne mais pas dupe. Elle s’y réfugie pour éviter les paparazzi car on ferme les stores pour elle.
Autre rumeur, elle y rencontre Blake. Mais c’est dans un pub de Shoreditch, le Old Blue Last – autre bastion de la culture alternative – où Amy jouait et servait des pintes (décidément, une habitude), qu’elle croise son funeste Roméo.
Si elle n’était pas là, on la trouvait au Hawley Arms son pub préféré - en partie détruit lors de l’incendie de 2008 et bien rénové. Elle y venait très souvent, tout comme Pete Doherty – un de ses ex - ou Kate Moss. Le jeu ? Trouver toutes les photos de la chanteuse accrochées au mur. Bizarrement, il n’apparaît même pas dans le film Back to Black. Mieux vaut réserver pour déguster les énormes portions servies !
Pour dîner, direction le Jamon Jamon : une devanture jaune vif et son plat favori, des patatas bravas, toujours au menu. Ici aussi elle se cachait, dans la discrète arrière-salle.
« Les meilleurs kebabs de Londres », jurait-elle : c’est au Marathon, en face de la Roundhouse. Un boui-boui sans âme où tous les fêtards de Keith Richard aux frères Gallagher en passant par les White Stripes se retrouvent, improvisent des jams. Amy aussi, forcément. Les voisins ont porté plainte : les lives se terminaient souvent à 3 h du matin. Le Marathon ferme désormais sagement à 22 h 30. Et sans musique.
À un journaliste qui s’enquiert de son cocktail préféré, la chanteuse répond : liqueur de whisky de banane et vodka. Vous aurez du mal à le trouver, elle a tout inventé, elle qui ne jurait que par la vodka, le vin rouge et le whisky. Mais pas ensemble !
Amy Winehouse version street art
En 2014, le Musée juif du quartier – hélas fermé – en collaboration avec Global Street Art et Art Happens crée un parcours street art consacré à la chanteuse. Sur les neuf œuvres, il n’en subsiste que cinq… mais d’autres viennent de temps en temps combler le manque.
On commence par la place Lidlington un peu au sud de la station de métro Mornington Crescent le mur du pub Escape expose les couleurs vives du visage d’Amy réalisé à la bombe par Mr Cenz.
On s’écarte de l’agitation pour aller au 108 Bayham Street. Bambi, surnommée le Banksy féminin et dont les dessins portent parfois un message politique a imaginé une Amy grave, aux cheveux détachés. À ses côtés, Morganico a ajouté le coiffeur Michael Dixon, en pied, un ami de la chanteuse.
Retour à l’agitation de Camden High Street pour repérer la plaque sur le Music Walk of Fame dévoilée en mars 2020.
55 Parkway : c’est à Pegasus que l’on doit le portrait Atmosphere de la façade du pub Earl of Camden. Caché mais peut-être le plus émouvant : l’icône, représentée par JXC pour le 10e anniversaire de sa mort, recouvre le mur à l’arrière du Hawley Arms.
C’est dans l’entrée du Market Hall, que l’on trouve l’œuvre la mieux préservée : cinq petits portraits de couleurs différentes, à la manière de Wharol, peints par Pegasus et soulignés de cette phrase : « We only said good bye with words ».
Fiche pratique
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Comment y aller ?
En train, bien sûr ! Avec l’Eurostar, moyen de transport le plus rapide et le plus écologique pour se rendre à Londres depuis Paris (2h15) ou Lille (1h20) de centre-ville à centre-ville. Franchise de 2 bagages et un bagage à main (en Standard et Standard Premier) et sélection de siège gratuite. À partir de 44€ l’aller, gratuit pour les enfants de moins de 4 ans. Réservation sur eurostar.fr
Où dormir ? Où manger ?
– The Pack and Carriage : 162 Eversholt Street Euston. Un ancien pub converti en petit hôtel à l’entrée de Camden. Tout en noir et blanc, pas top pour l’insonorisation mais excellente literie et à 15 $ minutes à pied de la gare. Doubles à partir de 95 $ (110 €).
– The Hawley Arms : 2 Castlehaven Road, Camden. Pub où prendre un verre et manger burgers, saumon, steak… Plats 15 $ (18 €)
– The Blues Kitchen : 111-113 Camden High Street. On y mange de bons classiques, le service est super et la musique live surfe sur le jazz, la soul et le blues.
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Où faire du shopping ?
– Camden Lock Vinyl : 35b Middle Yard Camden Lock Place. Tous les classiques, et quelques trésors. Et si vous ne trouvez pas on tente de vous dégoter the vinyl que vous cherchez.
- Rokit : 225 Camden High Street. Catriona Gourlay, l’une des meilleures amies d’Amy travaillait dans cette boutique qui vend toujours des fringues vintage.
– Cyberdog : The Stables Maret, Chalk Farm Road. Antre de vêtements et gadgets pseudo futuristes gardée par deux robots géants : du fluo, des beats assourdissants et, au sous-sol, un sex-shop assez déjanté.
Où sortir ?
Koko : 1A, Camden High Street. Un immense théâtre qui a conservé son decorum, tout de rouge revêtu pour des soirées rock ou electro, punk ou disco. Un must.
Texte : Pascale Missoud
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