Les bastides du Sud-Ouest, du Lot-et-Garonne à la Dordogne
Le Sud-Ouest de la France mérite aussi d’être visité pour ses « bastides ». Ici, ce vocable ne désigne pas, comme en Provence, de belles maisons de maître, mais les quelque 300 « villes neuves » édifiées entre 1222 et 1373.
Pensées pour être des places commerciales actives, organisées autour d’une place centrale selon un plan régulier en damier très novateur pour l’époque, la plupart étaient fortifiées. Elles sont nées dans un contexte très tendu entre les Anglais – installés en Aquitaine depuis que, par mariage, le roi d’Angleterre en était devenu duc – et les Français.
La guerre de Cent Ans qui les départagera n’a pas encore débuté, mais déjà, les deux royaumes se font face, chacun cherchant à rallier à sa cause les seigneurs locaux. C’est donc une période de paix (relative) et de prospérité favorable aux échanges commerciaux.
En 2024, les départements du Lot-et-Garonne (du 18 au 20 octobre) et de la Dordogne (du 25 au 27 octobre) organisent leur première Fête des bastides, avec grands banquets, animations, spectacles et jeux. En sus, la Dordogne met en avant ses vins avec sa Fête des bastides et du vin.
Préparez votre voyage avec nos partenairesMonflanquin, l’une des bastides les mieux conservées
Pour se faire une bonne idée de ces bastides, rien de tel que de musarder dans les doux paysages à la limite du Lot-et-Garonne et de la Dordogne. En commençant par Monflanquin. Ce bourg labellisé « Plus Beau Village de France » abrite, au-dessus de son office de tourisme, un musée qui conte toute l’histoire des bastides. On sort en ayant compris tout ce qui s’est joué, au Moyen Âge, dans les riches terres du Sud où l’on parlait la langue d’oc.
Monflanquin est l’une des bastides les mieux conservées du Lot-et-Garonne, qui en compte 42. Cette « ville neuve » a été fondée en 1252 par Alphonse de Poitiers. Frère du roi de France, Saint Louis, il avait, par son mariage avec Jeanne, fille unique de Raymond VII, comte de Toulouse, hérité des terres de son beau-père : en vingt ans, il y créera 48 bastides.
Son objectif ? Réaffirmer la présence du roi de France, affaiblir les seigneurs locaux souvent favorables à l’ennemi anglais, fixer des populations – dans un contexte d’essor démographique et urbain – en leur donnant des terres, organiser foires et marchés propices à la collecte de taxes pour abonder les caisses royales.
Posée depuis 1256 sur un pech (butte) dominant la vallée de la Lède, Monflanquin se voit de très loin. Cette bastide a fière allure avec son église gothique, ses rues pavées, sa maison du Prince Noir à l’élégante façade blanche aux baies géminées et ses « couverts » (passages abrités) derrière les arcades de la place. Si la halle a disparu, un marché animé s’y tient toujours le jeudi.
Les moulons (îlots d’habitation) restent organisés selon le damier formé par deux grandes « rues charretières » sur lesquelles se greffent rues secondaires et carrerots (ruelles piétonnes). Les maisons, accolées, sont étroites, mais très profondes.
Cet urbanisme très codifié n’empêchera pas l’histoire de bégayer. Comme tout l’Agenais et le sud du Périgord, Monflanquin deviendra anglaise à la suite du traité d’Amiens signé en 1279 entre les rois de France et d’Angleterre pour régler leurs différends territoriaux. Elle se dotera alors de remparts.
Repassée, plus tard, côté français, elle choisira, pendant, les guerres de Religion, le camp des protestants. Finalement, ses fortifications seront rasées en 1628 sur ordre de Richelieu.
Ni les Français, ni les Anglais ! C’est le comte de Toulouse qui a été le véritable initiateur des bastides. Après la « croisade contre les Albigeois », tragique épilogue de la longue rivalité entre le royaume de France et le comté de Toulouse, les Français s’installent en Languedoc, l’Albigeois est coupé en deux et son comté est démantelé : le jeune Raymond VII peut cependant reloger ses sujets dans des « villes neuves », à condition qu’elles ne soient pas fortifiées. À partir de 1222, il en crée une quarantaine. Quoi de mieux que ces places commerciales pour collecter des taxes et renflouer ses finances ?
Villeneuve-sur-Lot, la bastide la plus prospère
En tournant le dos à Monflanquin pour descendre vers la vallée du Lot, le paysage se déroule, moins boisé, plus accueillant : déjà s’annonce la plaine alluviale de l’Agenais. Partout, sur les coteaux, des vergers : les célèbres « pruneaux d’Agen » sont la spécialité de Villeneuve-sur-Lot.
Berceau des magasins Gifi, cette dynamique sous-préfecture de 22 000 habitants est aussi industrielle (Deuerer, fabricant d’aliments pour animaux). Elle est la bastide qui a le mieux réussi : née elle aussi – en 1264 – de la volonté d’Alphonse de Poitiers, elle a prospéré, sa position à cheval sur le Lot favorisant le commerce.
Villeneuve étale toujours les briques rouges de ses maisons autour de sa place des arcades, vers laquelle confluent huit rues larges, tirées au cordeau. Comme ailleurs, l’église –ici, dédiée à sainte Catherine – se dresse en retrait, histoire de ne pas mélanger Dieu et l’argent ! Comme ailleurs, une « charte des coutumes » régissait toute la vie sociale de cette ville gouvernée par des consuls.
L’ancienne halle a disparu, mais une construction style Baltard l’a remplacée au XIXe siècle au bord du Lot ! Au premier étage, son restaurant La Table du marché offre une vue sublime sur le « pont neuf » comme sur le « pont vieux » du XIIIe, remanié après une crue.
Le faubourg Saint-Étienne a été construit, au sud, lorsque Villeneuve est devenue possession anglaise. C’est alors qu’à la demande des habitants – sans doute sentaient-ils venir la guerre de Cent Ans –, elle a été fortifiée.
Restent deux tours-portes : la tour de Pujols, sur la rive gauche, près de la jolie église gothique Saint-Étienne. Et, sur la rive droite, la tour de Paris (au premier étage, une expo retrace l'histoire de la bastide), passage obligé pour remonter vers la Dordogne.
À 4 km au sud de Villeneuve, la cité médiévale de Pujols – encore un « Plus Beau Village de France » ! – ruinée par la croisade contre les Albigeois, reconstruite à partir du XIIIe siècle, offre, du haut de ses 180 m, une vue magnifique sur la vallée du Lot.
Villeréal, une bastide pleine de vie
Après Villeneuve, une autre étape s’impose en Lot-et-Garonne : Villeréal. Édifiée en 1269, toujours par Alphonse de Poitiers, grâce à un accord de paréage avec le seigneur voisin de Biron, cette bastide devint, elle aussi, anglaise après le traité d’Amiens.
C’est une petite merveille, avec ses belles maisons à pans de bois et ses rues en damier joliment fleuries. Labellisé « Plus Beau Village de France », classé parmi les « Villages préférés des Français » en 2024, c’est un bourg très vivant avec de nombreux commerces et des terrasses où boire un verre.
La halle couverte soutenue par 48 imposants piliers en bois (dont quelques-uns du XIVe siècle), occupe presque toute la place centrale : la radio locale, Radio 4, est installée à l’étage dans la Maison des Consuls, tandis que derrière les arcades, sous les couverts, s’activent toujours des boutiques. Le marché se tient encore le samedi
Un peu à l’écart se dresse l’église Notre-Dame, monumentale, fortifiée pour que la population puisse, si besoin, s’y réfugier. Dans l’une des tours percées de meurtrières, un escalier en colimaçon mène au chemin de ronde. Le fort adjacent à l’église – avec douves et pont-levis – a été démoli en 1794.
Monpazier, la « bastide idéale »
Par de petites routes qui tournicotent dans les bois, on monte à Monpazier, juchée dans la vallée du Dropt : la « bastide idéale » selon Viollet-le-Duc et Le Corbusier ! Son histoire est racontée en détail au Bastideum, espace scénographique moderne avec jeux pour enfants et jardin médiéval.
C’était une bastide anglaise. Pour la construire, le seigneur de Biron avait concédé le terrain à Édouard Ier, roi d’Angleterre. Dès sa création en 1284, Monpazier a vécu à l’abri de solides remparts et de portes équipées de pont-levis, herse et assommoir. Son plan reste organisé autour de deux axes principaux et de la place centrale entourée d’arcades et de couverts, percée de passages (les « cornières ») dans les angles.
Le marché s’y tient encore le jeudi, sous la puissante charpente en châtaignier de la halle. Sur un côté sont conservées trois des mesures à grains qui permettaient de déterminer les prix et les taxes que tout était prétexte à imposer, même le non-respect de la charte des coutumes !
Avec plus de 22 artistes et artisans pour à peine 500 habitants, Monpazier s’est réinventée en « cité des métiers d’art ». Commerces et restaurants y mettent à l’honneur magrets, confits, foie gras, vins, cèpes et truffes du Périgord.
C’est à mi-chemin entre Villeréal et Monpazier que se dresse, sur une énorme butte, le château du fameux seigneur de Biron ! Ce géant de pierre qui se visite, offre un mélange unique d’architecture du Moyen Âge au XIXe siècle. Et une vue époustouflante sur le Périgord et l’Agenais.
Beaumont-du-Périgord, capable de tenir un siège
Après Monpazier, 15 km dans un paysage verdoyant joliment vallonné conduisent à Beaumont-du-Périgord. On y est à 30 km de Sarlat, joyau du « Périgord noir », comme de Bergerac, capitale de vins réputés.
Première bastide royale anglaise, Beaumont fut fondée en 1272 pour le compte d’Édouard Ier. En hommage à son père Henri III, un plan en forme de H fut choisi. Des puissantes fortifications reste la porte Luzier par laquelle on entre.
Sur la place centrale, 7 des 16 arcades ont disparu, mais le marché se tient toujours le mardi. Près de la halle reconstruite récemment demeurent les anciennes mesures à grains.
Si Beaumont se distingue par ses maisons fortifiées à mur-écran, son vrai joyau est l’église gothique Saint-Front avec ses deux tours défensives et un puits pour avoir de l’eau... en cas de siège !
Parmi les 18 bastides du Périgord, voir aussi, dans les environs, la bastide française d’Eymet et la bastide anglaise de Molières, jamais terminée. Voir aussi la cité médiévale de Belvès, perchée dans la vallée de la Nauze, et à Saint-Avit-Sénieur, la splendide abbaye inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco.
Domme, éblouissant balcon sur la Dordogne
C’est à Domme que s’achève notre périple : c’était une bastide française fondée en 1281 par le roi Philippe III le Hardi dans un souci défensif : les Anglais n’étaient pas loin ! Domme connaîtra d’ailleurs des épisodes tourmentés pendant la guerre de Cent Ans.
Juchée sur une falaise abrupte, elle offre l’un des plus beaux panoramas sur la vallée de la Dordogne ! Au loin, la Roque-Gageac, Beynac, Castelnaud... Dans les remparts, l’une des trois portes, celle des Tours, en impose : deux demi-tours l’encadrent. Emprisonnés au XIVe siècle, 70 templiers y ont laissé de mystérieux graffitis.
À Domme, où le marché se tient toujours le jeudi, les jolies maisons de pierre blonde justifient le label « Plus Beau Village de France ». La plus belle, celle du batteur de monnaie aux fenêtres trilobées, s’élève sur la place de la Rode où les condamnés étaient écartelés. Brrr...
Sous Domme se cache une grotte naturelle découverte en 1912. Les visites permettent de déambuler longuement à 20 m sous terre et de voir un bel éventail de concrétions calcaires.
Fiche pratique
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Périgord Noir Vallée de la Dordogne
Comment y aller ?
Six heures de Paris, par autoroute, et 1 h 30 de Bordeaux. Sinon, train jusqu’à Agen ou Périgueux, puis location de voiture.
Bonnes adresses
– Hostellerie Malleville : à Beynac-et-Cazenac. Un deux-étoiles tout simple (de 74 à 90 € la double, petit déj. 12 €) couplé avec un restaurant très périgourdin au bord de la Dordogne. Formule entrée-plat-dessert 25 €.
– Hôtel-Restaurant « Le Home » : 3, place de la Croix des Frères, à Belvès. La double à partir de 97 €, petit déj. 15 €. Bonne cuisine locale. Menu 25 €.
– Maison et table d’hôtes Britavit : 49, chemin du Lavoir, à Saint-Avit-Sénieur. La double à partir de 80 € en basse saison, petit déj. inclus. Dîner sur réservation. Délicieuse cuisine familiale.
– Château de Ladausse : route de Montagnac, à Monflanquin. Des suites vastes, élégantes, ambiance très château. 160 € la double avec petit déj.
– La Maison bleue : à Villeréal. Hébergement plein de charme, ambiance brocante. Piscine. La double à partir de 90 € et 110 €, selon saison, avec petit déj. Formule entrée-plat-dessert, magnifiquement périgourdine 28 €.
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Texte : Paula Boyer
Mise en ligne :