Memphis, ville du blues, du rock et des droits civiques
Memphis ? On associe forcément la deuxième ville du Tennessee à Elvis Presley ou B. B. King. À Martin Luther King également. Une destination mythique pour les amateurs de blues et de soul, mais aussi une ville indéniablement associée à la lutte, farouche, pour les droits civiques.
Au-delà de ce riche héritage musical et politique, Memphis (1 million d’habitants, dont 64 % d’Afro-Américains) se visite tranquillement, entre parcs et rives du Mississippi… sauf le soir dans les bars et les clubs animés de la fameuse – et touristique – Beale Street.
Préparez votre voyage avec nos partenairesMemphis, une ville en noir et blanc
Memphis se revendique berceau du blues, du rock et de la soul. Mais ici, la musique est indissociable de la lutte pour les droits civiques. Dès 1860, Beale Street cultive ce blues, né des chants des esclaves, jusqu’à ce qu’un freluquet blanc nommé Elvis Presley, accède à l’artère mythique, frayant avec les plus célèbres groupes noirs.
Le 7 juin 1947, WDIA, première station de radio du pays adressée entièrement à la communauté noire, émet de Memphis, diffusant B. B. King et Rufus Thomas, et soutenant des projets à l’attention des Afro-Américains.
Les années 1960 sont marquées par le white flight (« fuite des blancs ») des classes moyennes. Dans le même temps, le label Stax Records est un marqueur de tolérance, mixant les styles musicaux, musiciens noirs et blancs… jusqu’à l’assassinat de Martin Luther King et les émeutes qui enflamment le pays.
Stax cristallise alors les tensions raciales, reflétant cette société pourtant toujours en quête de droits civiques. Aujourd’hui, on croise quelques couples mixtes mais, même si les couleurs de peau semblent se fondre dans le paysage, même si les rires l’emportent sur Beale Street, la brume poisseuse de la ségrégation persiste à travers les inégalités.
Ernest Whithers, un photoreporter natif de Memphis, se fait l’écho dès les années 1950 tant de la scène musicale que des inégalités qui y règnent. Il faut absolument passer à la galerie éponyme dans Beale Street, pour admirer, à travers ses clichés, 60 ans d’histoire locale.
Memphis et ses studios de musique mythiques
Dans un quartier calme, à 5 minutes en voiture de Downtown, un immeuble de briques, une vitrine et une porte surmontée d’une guitare géante : bienvenue au Sun Studio, berceau du rock ‘n’roll.
En 1950, quand Sam Phillips, un ingénieur du son, ouvre ce modeste studio d’enregistrement, se doutait-il que des visiteurs du monde entier s’y presseraient aujourd’hui ?
C’est ici, en 1951, que fut enregistré le tout premier disque de rock, Rocket 88 des Delta Cats (mais oui, vous connaissez, forcément). Howlin’Wolf, B. B. King, James Cotton suivent. Jerry Lewis et Johnny Cash aussi. Puis Elvis Presley qui y enregistre en 1953 « My Happiness ». Des anecdotes, la visite de 45 minutes – guidée en anglais et à heure fixe – en regorge. Un regret, le bar à l’entrée encore ouvert il y a 30 ans est devenu magasin de souvenirs.
Le Stax Museum, réfugié dans East Memphis, suscite plus d’émotions : le musée, bâti à l’emplacement de l’ancien siège du label Stax Records (rasé dans les années 1970), y détaille remarquablement ce mixte de soul, de blues et de rock.
Stax ? C’est la contraction de Jim STewart et sa sœur Estelle AXton, les deux proprios. Si, à ses débuts et sous un autre nom, le label se penche sur la country, puis le rhythm‘n’blues, c’est bien la soul américaine qui fera sa renommée.
On part à la rencontre de Sam & Dave, d’Otis Redding et David Porter, Arthur Conley et Isaac Hayes – dont la Cadillac dorée est exposée en bonne place. Sans oublier Elvis Presley, qui y enregistra trois albums.
Photos, disques, vidéos, objets : les collections présentées sont riches de plus de 2 000 artefacts. La visite se termine sur la reconstitution du Studio A, le plus mythique. Dans chaque salle, on respire l’époque où musicos blancs et noirs travaillaient dans une même ferveur.
Si, par manque de temps, il ne fallait choisir qu’un musée sur la musique, c’est celui du Memphis Rock‘n’Soul. Il remonte, avec moult précisions, le cours de l’histoire, des esclaves dans les champs de coton jusqu’aux clubs de Beale Street, en passant par les studios d’enregistrement et le parcours des célébrités qui bousculèrent le sud, influencèrent les styles, réconcilièrent les musiques.
Sous ses néons aveuglants, Beale Street a perdu de son authenticité, mais reste le point de convergence de tous les amateurs de blues, de rock et de soul. Un conseil, venez avant 9 h les vendredis, samedis et jours fériés : l’accès à la rue – surveillée de tous côtés par des voitures de police – est, la plupart du temps, payant (5 $) ! Mais il reste quelques bonnes adresses (voir fiche pratique)
Memphis, dans les pas de Martin Luther King
On ne peut évoquer Memphis sans évoquer Martin Luther King Jr., l’ardent défenseur des droits civiques. Venu pour soutenir la grève des éboueurs noirs, c’est au Lorraine Motel qu’il loge ce 4 avril 1968. Un établissement alors réservé aux seuls noirs, où descendent des musiciens comme Eddie Floyd et Steve Cropper, qui y composèrent « Knock on Wood ».
Juste en face, un immeuble de briques rouges, et la fenêtre d’une salle de bains. C’est de là que James Earl Ray, un ségrégationniste blanc tire, à 18 h 01, sur le célèbre apôtre de la révolution non violente au balcon de la chambre 306. Des années durant, seule la couronne de fleurs blanches et rouges témoigne du drame.
Il faut attendre 2014 pour que soit aménagé dans l’hôtel même ce fabuleux National Civils Rights Museum, qui retrace l’âpreté des luttes de la communauté noire pour défendre ses droits. Remarquable, il l’est dans ses narrations, factuelles et sans jamais tomber dans le pathos ou l’approximation, incitant dans chaque salle à la réflexion.
On s’y attarde volontiers 2 ou 3 h, jusqu’à sentir sa gorge se serrer : derrière une vitre, la chambre 306 est restée à l’identique du jour du meurtre. Dehors, sous le balcon, stationnent une Dodge Royal de 1959 et une Cadillac blanche de 1968, comme pour figer le temps.
Juste à côté du Motel Lorraine, une super adresse pour déjeuner ou dîner : Central BBQ. Créé par deux fondus de barbaque et de barbeuque, on s’y régale notamment de ribs, longuement marinées, lentement fumées. Il y a même des plats végans.
Graceland, la demeure d’Elvis Presley
En 1957, à seulement 22 ans et avec le cachet de « Love Me Tender », Elvis achète Graceland, au sud de Memphis, la ville où il a grandi. La demeure, bâtie en 1939 au cœur d’un domaine vallonné de 5 hectares, affiche un style néoclassique inspiré des plantations du Sud.
Le King y vit d’abord avec ses parents, puis avec sa femme et plus tard sa fille, Lisa Marie, entouré d’un mur d’enceinte désormais criblé de mots de fans. 16 août 1977 : le monde entier pleure le King, mort à 42 ans à peine. Cinq ans plus tard, le manoir de 23 pièces et 1630 m² devient musée.
Relifté et classé National Historic Landmark, il promet une immersion dans la vie du King pour ses fans, mais aussi dans le design des années 1960 et 1970 – certes poussé à l’extrême –, et dans ce qui était alors à la pointe de la technologie. On ne sait plus si on est dans un théâtre déjanté dans un parc d’attractions au kitsch délirant.
La Jungle Room, d’inspiration hawaïenne avec ses figurines de tigres – clin d’œil au surnom d’Elvis, Mr. Tiger –, son foisonnement de plantes vertes, ses trônes et meubles en bois sculpté, est sans doute la pièce la plus connue. On s’attarde aussi dans la salle de billard, inspirée d’une salle de jeu du XVIIIe siècle et drapée du sol au plafond dans 400 m de coton plissé au motif kaléidoscopique.
Dans les jardins soigneusement entretenus, un mémorial : c’est ici que sont enterrés le rocker, ses parents, sa fille et jusqu’à son petit-fils. Le site inclut un musée qui abrite une partie de sa collection de voitures à côté de ses deux jets privés.
Le prix d’entrée de l’Elvis Experience Tour est à la hauteur de la célébrité du chanteur : 77 $/adulte, 42 $/enfant, comprenant les visites du manoir et des jets, l’accès à sa collection de voitures, de costumes et de disques d’or et de platine, et l’ensemble d’expos du complexe (visite de la maison seule : 48 $). Comptez une demi-journée sur place. Il faut absolument prendre l’audio-guide, pour découvrir un autre Elvis, plus intime, décrit notamment par son ex-femme Priscilla.
Les fans absolus iront également visiter l’appartement de Lauderdale Courts, des logements sociaux où vivait, avec ses parents, le jeune Elvis à son arrivée à Memphis. Pas facile à trouver (185 Winchester Street), il faut de plus impérativement réserver par téléphone quelques jours avant si vous ne voulez pas vous casser le nez !
Memphis en vert, le long du Mississippi
Il semblait presque oublié des touristes, ce mythique Mississippi qui serpente à l’ouest de la ville. Il n’est pourtant qu’à 5 minutes à pied du centre. Il faut l’avouer, c’est une bonne idée d’avoir aménagé une partie de ses berges en parc.
Nommé Tom Lee – en hommage à un héros local qui, en 1925, sauva 32 personnes de la noyade… alors qu’il ne savait pas nager ! –, c’est un véritable poumon vert qui aimante locaux et visiteurs. Il étire 2 hectares plantés d’un millier d’arbres, ponctués d’installations ludiques pour les enfants, de sentiers prévus également pour les cyclistes, d’un bosquet de hamacs où chiller, d’une canopée où les jeunes jouent au basket.
On y vient pour profiter des incroyables couchers de soleil sur le fleuve, éclaboussant d’or les facettes de la pyramide Arena – ancienne salle omnisports abritant un étonnant magasin dédié aux loisirs.
Chaque premier week-end de mai, le parc accueille le Beale Street Music Festival qui lance le festival international Memphis in May, proposant une programmation plutôt large, du blues au rap, du rock à la pop.
En 2026, au sud du parc, un nouvel écrin hébergera le Brooks Museum of Art, le musée d’art moderne de la ville. Seule ombre au tableau, la construction du supercalculateur géant d’Elon Musk qui aura un impact environnemental non négligeable en matière de consommation d’eau et d’électricité.
Prenez de la hauteur pour admirer la fin du jour sur le Mississipi. Parmi les rooftops d’hôtels incontournables, on retient celui du Hyatt Centric, le Beck & Call pour ses cocktails signatures et sa déco très léchée, ou le Hu. Roof et ses soirées DJ live.
Fiche pratique
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Comment y aller ?
Aucun vol direct, mais des liaisons quotidiennes de Paris-CDG vers Memphis via Atlanta, Detroit, Minneapolis… avec Air France, American Airlines, Delta ou United Airlines. Trouvez votre billet d’avion.
Où dormir ? Où manger ?
– Arrive Hotel Memphis : 477 S. Main Street. À 3 min du musée des Droits civiques, c’est d’abord la gentillesse du personnel qui séduit. Et le petit déj savoureux : l’hôtel a sa propre boulangerie. Enfin, on applaudit la déco urban chic et la luminosité des chambres de cet immeuble ancien tout de briques. Doubles à partir de 166 $.
– Hu. Hotel : 79 Madison Avenue. Une déco sobre mais chaleureuse, le Mississipi à deux pas et des prix doux : une adresse qui coche toutes les cases avec, en plus, une super vue du rooftop. Doubles 150-390 $.
– Arcade Restaurant : 540 S Main Street. Un authentique diner ouvert en 1919 par un immigré grec. Elvis y avait sa table attitrée. Et son sandwich préféré : bacon, beurre de cacahouète et banane !
– B.B. King’s Blues Club : 143 Beale Street. Une institution dans le cœur musical de Memphis. Au rez-de-chaussée, le club, sa scène et ses plats roboratifs, et au premier étage, le restaurant plus chic où l’on dîne autour du bar ou dans une salle chaleureuse. Concerts tous les soirs. Entrée 5-20 $.
– Rum Boogie Café : 182 Beale Street. Des murs criblés de guitares et de souvenirs offerts par Rufus Thomas, Sting, B. B. King ou Santana, voici sans conteste l’un des meilleurs clubs de blues. On y mange aussi, et très bien : catfish ou gombo, 100 % sud. Entrée 5-6 $.
– Earnestine and Hazel : 531 S Main Street. Une adresse culte, un peu excentrée, qui ne paie pas de mine : cette ancienne pharmacie accueillait pour dîner après leurs concerts Aretha Franklin, Chuck Berry ou Ray Charles. La clientèle et la musique y sont éclectiques, l’ambiance électrique.
– Central Station Memphis : 545 S. Main Street. un mur haut de 10 m orné d’une collection de plus de 500 vinyles et DJ set chaque soir. L’atmosphère feutrée, les cocktails signature et la déco, superbe, de cette gare plus que centenaire transformée en hôtel chic valent le détour.
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Texte : Pascale Missoud
Mise en ligne :