Istanbul, au fil du Bosphore
Lien géographique, culturel et spectaculaire entre l’Occident et l’Orient, Istanbul envoûte immanquablement les voyageurs.
Le détroit du Bosphore anime immuablement cette réalité. « Passage du bœuf » selon l’étymologie grecque ou Boğaz, « gorge » pour les Turcs, il coupe le Grand Istanbul contemporain en deux, séparant ainsi l’Europe de l’Asie
S’étirant sur 30 km pour une largeur de 660 m à 2 km, cette route maritime majeure (45 000 bateaux/an) est également une formidable opportunité de promenades et découvertes.
Palais, romantiques résidences yalı en bois, mosquées spectaculaires, musées, anciens villages, coquilles de noix et gros tankers, espaces verts et panoramas… Il y a tant de choses à faire et à voir le long du Bosphore, sans oublier les restos, guinguettes, voire les simples bancs...
À Istanbul, le regard flotte ! Détroits et confluents, magies du mouvement perpétuel, des couleurs et des reliefs, au gré de la météo ou d’une navigation, embarqué ou depuis les rives. Un voyage dans le voyage à faire absolument.
Le Bosphore : d’hier et d’aujourd’hui
Il y a 10 000 ans, gonflée à la fin de la dernière glaciation, la Méditerranée se déverse par le Bosphore dans la mer Noire, la remplissant d’eau salée et inondant de vastes plaines. Voici l’origine probable des déluges narrés dans l’épopée de Gilgamesh (XVIIIe siècle av. J.-C.), puis l’Ancien Testament. Dès la Toison d’Or des Argonautes, le Bosphore attire toutes les convoitises.
En effet, ce détroit d’une trentaine de kilomètres, qui relie la mer Noire et la mer de Marmara, a une particularité unique au monde : il marque la limite entre deux continents (Europe et Asie), séparant Istanbul en deux parties distinctes, européenne et asiatique. Depuis toujours, le Bosphore, point de rencontre entre Occident et Orient, est un site stratégique.
Ainsi, en 1453, Mehmet II édifie la forteresse de Rumeli Hisarı en son point le plus étroit, pour contrôler le détroit et vaincre Constantinople. Les Sultans, leurs grands serviteurs et les diplomates s’entichent au fil des siècles du Bosphore. Des villages grecs, arméniens et juifs s’installent aussi. En 1936, le traité de Montreux établit la libre circulation des navires de commerce sur le bras de mer.
Aujourd’hui, Istanbul demeure une ville maritime, centrée à l’embouchure du Bosphore. Points de vue, mosquées, palais et yalı (demeures d’agrément bâties sur les rives), caïques jouant des rames, puis les vapur… Le détroit offre un spectacle fascinant qui a séduit nombre d’écrivains, comme Chateaubriand, Jules Verne, Pierre Loti ou le riverain Orhan Pamuk.
Trois ponts permettent de franchir le Bosphore : le pont des Martyrs du 15 juillet (1 500 m de longueur et 8 voies), construit en 1973, se trouve 6 km en amont de celui de Galata. Puis, 6 km plus loin, le pont Fatih Sultan Mehmet (1988), et juste avant d’arriver à la mer Noire, le gigantesque pont Yavuz Sultan Selim (2016), dont l’architecte Michel Virlogeux est l’auteur du pont suspendu de Millau.
Enfin, près du centre d’Istanbul, un tunnel ferroviaire reliant les 2 rives a été mis en service à l’automne 2013, un autre pour les voitures en 2016.
Dans quel sens coule le Bosphore ? Les deux à la fois ! Trente centimètres de déclivité envoient la surface de la mer Noire en mer de Marmara. Mais en profondeur, les eaux plus salées et lourdes de Marmara remontent en sens inverse.
Le Bosphore, du centre d’Istanbul au premier pont
Partons du pont de Galata, qui franchit l’embouchure de la Corne d’Or, reliant le vieil Istanbul (où se trouvent Sainte-Sophie et la Mosquée bleue) et l’Istanbul moderne, autour de la place Taksim. Juste à l’ouest du pont, se déploie le Bosphore qui file nord-est vers la mer Noire.
Sur la rive orientale du Bosphore, les anciens comptoirs de Chalcédoine et Scutari sont dorénavant fermement intégrés au Grand Istanbul, sous leurs noms actuels de Kadıköy et Üsküdar.
Kadıköy, dont le phare fournit un point de vue idéal sur le Bosphore, déborde de vie dès son marché matinal. Cafés, meyhane (taverne à raki), bars, brocanteurs, street art. Prisé par la jeunesse, le centre de Kadıköy est avec Beyoglu, sur la rive opposée, l’un des hauts lieux de la vie nocturne stambouliote.
Conservateur, Üsküdar réserve d’autres surprises. De l’embarcadère et sa grand-place dominée par la mosquée Mihrimah, suivre la rive vers le sud. Après le cap des pêcheurs et l’élégante mosquée de Semsi Ahmed Pasha, obliquer vers la « terre » pour une pause au café-librairie Nevmekan Sahil, installé sous un dôme de vitraux.
Côté occidental, les pentes du détroit rythment de populaires itinéraires.
En voici deux, incontournables, au départ de la place Taksim, hub majeur de la capitale,situé dans le district de Beyoğlu, héritier du Pera cosmopolite remontant aux XIXe et XXe siècles :
– emprunter l’avenue Istiklal, surnommée les Champs-Élysées d’Istanbul, puis plonger vers le pont de Galata en passant par la tour génoise du même nom ;
– tirer plus à l’est, pour cette fois rejoindre le Bosphore par le dédale de ruelles et commerces branchés de Cihangir.
Du pont de Galata, le quartier de Karaköy suit le Bosphore vers l’amont du détroit. Juste avant de l’arpenter, on vous conseille un mini détour sur son flanc « Corne d’Or » (à droite du pont en venant de Beyoğlu), le temps d’un rituel Balık Dürüm ou Ekmek, des pitas ou pains au maquereau grillé expertement préparés devant vous
Autrefois truffées de commerces et d’artisans, les petites rues parallèles de Karaköy innervent un quartier dorénavant colonisé par les coffee shops, bars à chicha et restos. Dans le quartier voisin de Tophane, les rues piétonnes Kılıç Ali Paşa Mescidi Sok, sous une tonnelle de vigne, et Haca Tahsin Sokak sont particulièrement populaires pour leurs cafés et restaurants.
Via Tophane, voici Kabataş, plaque tournante du secteur, entre funiculaire grimpant à Taksim, métro et embarcadère pour les Îles des Princes. Deux kilomètres plus loin, le palais de Dolmabahçe (voir plus loin) renvoie à la grande époque des sultans.
Pour certains Stambouliotes, les deux rives désignent celles de la Corne d'Or - court estuaire débouchant à l’entrée du détroit, au niveau du pont de Galata : au sud, l’ancienne Constantinople, soit la vieille ville, aujourd’hui Fatih ; au nord Beyoğlu, l’ancienne Pera, culturellement la plus occidentale. Mais pour lui, la rive asiatique n’est plus Istanbul...
Les musées du Bosphore
Plusieurs musées jalonnent la rive européenne.
À Tophane, le musée d’Art moderne, dessiné par Renzo Piano, héberge des expos temporaires et une collection permanente. Ses panneaux d’aluminium réfléchissent à dessein les lumières du détroit.
Deux kilomètres en amont, le palais de Dolmabahçe (XIXe siècle), ancienne résidence des sultans, combine les styles néo-classique et rococo avec une flamboyance ostentatoire. Palais de la démesure, il ne comporte pas moins de 286 pièces, 43 salons aux volumes gigantesques et 6 hammams. En 1928, Ataturk y présente l’alphabet turc qui remplacera l’arabe ottoman en quelques mois. Il y meurt 10 ans après. Le musée de la Peinture, arrangé dans une annexe princière restaurée, expose peintres turcs et orientalistes des XIXe et XXe siècles.
Le musée Maritime, aux larges baies vitrées donnant sur le Bosphore, a pour vedette l’impressionnant caïque impérial Historical Galley (XVIe siècle), équipé de 24 paires de 3 rameurs. Une flottille d’autres caïques, des figures de proue, des maillons de l’antique chaîne de la Corne d’Or précèdent des sections consacrées à Barberousse et à la marine turque.
Treize kilomètres en amont, le musée Sakip Sabanci Museum propose une collection d’art ottoman et de calligraphie, ainsi que des expos internationales de grande qualité. Vue superbe sur le détroit de son jardin en terrasses.
Dix kilomètres plus loin, 1 km avant l’embarcadère de Sarıyer, le musée Sadberk Hanım installé dans un beau yalı blanc vaut le détour pour sa collection d’art turc et islamique et sa section archéologique (pièces exceptionnelles datant du néolithique à l’époque byzantine).
Une salle du musée Maritime relate l’histoire du splendide Savarona, acheté en 1938 par un Ataturk, humilié, quand la suie de son ancien bateau macula le costume d’Édouard VII d’Angleterre. Décédé la même année, il ne profitera guère de ce qui fut le plus grand yacht du monde.
Croisières sur le Bosphore
Au-delà du premier pont reliant Ortaköy et la rive orientale, on peut explorer le Bosphore en bateau jusqu’aux forteresses de Rumeli Kavağı et Anadolu Kavağı, sentinelles du détroit. L’idéal est de combiner ferries « touristiques » et classiques, promenades sur les berges et liaisons en bus.
Au départ de l’embarcadère d’Eminönü, il existe deux types de croisières :
– le Long Bosphorus Tour, plutôt en aller simple qu’avec retour (départ à 10h30, 2 h de trajet, retour 2 h 30 plus tard, soit 6 h de voyage en tout), s’arrête à Beşiktaş, Üsküdar, Kanlıca, Sariyer, Roumeli et Anadolu Kavağı ;
– le Short Bosphorus Tour propose des balades en boucle (2 h environ, sans arrêt) jusqu’au pont de Mehmet Fatih (le deuxième pont).
Les ferries des lignes Üsküdar-Anadolu Kavağı, Emirgan-Bebek et Çengelköy-Istinye permettent de personnaliser les sorties. Penser aussi au traversier d’Asiyan.
Bien qu’urbanisés, les anciens villages du Bosphore conservent un cachet particulier : élégance des yalı, mêmes délaissés, gares maritimes rétros de Kanlıca, Arnavutköy, etc., héroïques dauphins jouant, parfois encore, dans les flots.
Bon à savoir : Roumeli renvoie à la rive européenne, Anadolu (Anatolie) à l’orientale. Pour les horaires de ferries, consulter l’appli Şehir Hatları. Sur les panneaux des quais, repérer le cadre entourant son embarcadère, vérifier la direction et demander, si nécessaire...
Arrivez 30 min à l’avance pour pouvoir choisir votre place à bord du bateau. Pour les meilleures photos, asseyez-vous côté rive européenne le matin, côté rive asiatique au retour, l’après-midi. Il existe aussi d’autres types de croisières (Bosphore de nuit, dîner-croisière…).
La rive européenne, d’Ortaköy jusqu’à la mer Noire
À 6 km du pont de Galata et sous le premier pont, Ortaköy est célèbre pour sa mosquée blanche, ses tavernes, pommes de terre farcies kumpir et la brocante du dimanche. De là, suivre à pied la rive jusqu’à Arnavutköy. Resté pittoresque, l’ancien village des Albanais égrène plusieurs cafés et restos.
Ensuite, de nombreux bateaux à louer, parfois convertis en bar, annoncent les bars et clubs huppés de Bebek. Après Asiyan et son traversier, voici la forteresse de Rumeli Hisarı (250 m de longueur sur 120 m de largeur) bâtie à flanc de colline par le sultan Mehmet Fatih quelques mois avant la conquête de Constantinople.
L’ombre du deuxième pont précède Emirgan et le golfe d’Istinye. Parmi les nombreux yalı au nord de l’embarcadère, l’un des plus beaux est le Ahmet Akif Paşa Yalısı (XIXe siècle), avec 4 tours coiffées d’un bulbe.
Quatre kilomètres plus loin, une marina occupe l’anse de Tarabya, l’ancienne Therapia des résidences d’été des ambassades. De celle de France, détruite par un incendie en 1913, subsiste, dans le parc, le Chalet de l’Union Française.
Cinq kilomètres plus au nord, le photogénique golfe de Büyükdere-Sarıyer égrène d’autres palais d’été et demeures de bois blanc, souvent restaurés. Faites un break à la kafeteryasi de l’embarcadère pour savourer le rythme apaisé du détroit à l’horizon du dernier pont.
Enfin, à quelques encablures de la mer Noire, la bourgade de Rumeli Kavağı semble à des années-lumière d’Istanbul…
À Asiyan, point le plus étroit (700 m), mais aussi le plus profond du détroit (110 m), le courant de la mer Noire est assez fort pour épuiser un gros poisson, ou les voiliers. L’endroit est surnommé Cheitan Akandisi, le « Courant du Diable ».
La rive asiatique, du premier pont à la mer Noire
Autrefois plus sauvage et lieu de chasse, la rive asiatique reste la plus villageoise.
Quatre kilomètres en amont d’Üsküdar, on oublie souvent le palais de Beylerbeli, juste après le premier pont. Pourtant, son charme, avec ses appartements meublés d’origine et son panorama majestueux sur le Bosphore, a peu à envier à Dolmabahce.
Au creux d’un coude, Çengelköy, et ses quelques terrasses, est réputé pour ses kokorec, sortes d’andouilles de mouton. Un kilomètre au nord, l’école militaire de Kuleli impressionne par sa taille et sa blancheur.
Une rive encaissée précède le quartier de Kandili, réputé pour ses remarquables yalı du XVIIIe s : celui d’Ostrorog favori de Loti, des Chypriotes, ou encore le Kıbrıslı Yalı, avec sa façade blanche longue de 64 m...
Un peu avant le 2e pont, le palais de Küçüksu, au style néo-baroque très ouvragé, possède une aire de pique-nique. Annoncées par une grande pelouse, les fameuses « Eaux douces d’Asie », jadis prisées par la bourgeoisie, ne sont plus alimentées que par la rivière Goksu, servant de marina. Sur la pointe de sa rive nord, les vestiges d’Anadolu Hisarı surplombent une placette avec vue sur le détroit, dont profite le charmant café Telgrafhane 1885.
Aux alentours du second pont, la navigation s’embellit encore, enrichie par plusieurs yalı pieds dans l’eau, comme le rouge Hekimbasi Salih Efendi, entouré d’un jardin. Une petite anse annonce, 1 km après le deuxième pont, le charmant village de Kanlıca, réputé pour ses yaourts. Ils auraient été les premiers adoucis avec des confitures.
Il reste 13 km jusqu’à Anadolu Kavağı, terminus des ferries et ses touristiques restos de poisson. À 1 km, en surplomb, l’ancienne forteresse restaurée par les Génois, puis par le sultan Murad, garantit un impressionnant panorama sur le détroit et la mer Noire.
Après le pont Selim Ier, le cap de Yum Burnu (« bon augure ») porte un phare construit par les Français lors de la guerre de Crimée (1853-1856), comme celui du village de Rumeli Feneri, sur l’autre rive.
Près de l’embarcadère de Kanlica, plusieurs cafés servent le fameux yaourt local, comme İsmail Ağa Kahvehanesi offrant une vue imprenable sur le fascinant trafic du Bosphore.
Fiche pratique
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Comment y aller ?
Vols directs quotidiens de Paris CDG avec Air France et Turkish Airlines (également d’autres escales françaises), ainsi que des low-costs. Trouvez votre billet d’avion.
Quand y aller ?
Idéalement, de mars à juin et de septembre à octobre ; hiver froid, souvent pluvieux, été potentiellement étouffant.
Se déplacer :
L’Istanbul Kart est valide pour les bus, funiculaires et ferries, sauf pour les Short/Long Bosphorus Tour (tickets aux embarcadères, venir en avance).
Où manger sur le pouce ou attablé, boire un thé, verre ou raki : la rive occidentale du détroit, Pera (Istiklal, Cihangir), Karaköy et plus en amont, ainsi que Kadıköy, sur la rive orientale, regorgent d’options.
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Texte : Dominique Roland
Mise en ligne :