Le tourisme sexuel
Les effets pervers de l'offre et de la demande
Le sous-développement, qui entraîne des personnes à vendre leur corps pour survivre ou pour faire vivre leur famille, explique certes l'accroissement du phénomène. Mais la prostitution se développe aussi pour répondre à une demande grandissante d'Occidentaux qui s'adonnent au " tourisme sexuel ".
La demande crée l'offre, mais l'offre crée également la demande. Le cercle vicieux.
Les victimes du tourisme sexuel
Victimes de la misère
C'est la misère qui, en premier lieu, noie chaque année des milliers de jeunes gens dans ce commerce abominable. Sans le sou et sans avenir professionnel, ils regardent avec envie les touristes débarquer dans les hôtels chics des grandes villes, les poches remplies de dollars, et voient là leur unique sortie de secours. Triste alternative pour un gamin de 12 ans ou une ado de 18 ans.
Plus un être est fragile financièrement et moralement, plus il est susceptible de tomber dans les mailles des filets du proxénétisme. Cela, les " rabatteurs " à l'affût de chair humaine l'ont bien compris. La victime idéale est sans ressource, souvent seule et à la rue dans une grande ville hostile. Son manque d'instruction ne lui permet généralement pas d'aspirer à un travail respectable. Pour les " recruter ", tous les moyens sont bons. Souvent, les jeunes gens sont pris au piège : on leur propose d'être guide touristique, ou de travailler dans un restaurant. Mais, en fait, les jeunes - garçons ou filles - se rendent vite compte qu'ils ont été trompés. Difficile alors de faire machine arrière… Beaucoup ont quitté leur campagne avec l'espoir de se forger un avenir stable dans les grandes agglomérations, puis se retrouvent seuls, dépendants des " souteneurs " qui les exploitent. Lorsqu'ils n'ont pas été dupés, les jeunes prostitués se sont fait enlever ou ont été achetés à leur famille pour quelques dollars.
Trafic d'enfants
Pour satisfaire une clientèle perverse ou craignant d'être contaminée par le sida, les proies sont choisies de plus en plus jeunes afin de s'assurer de leur virginité. Ainsi, en Asie, afin de fournir de la " chair fraîche ", les proxénètes thaïlandais ou chinois vont acheter des enfants dans les villages reculés des montagnes, ainsi que dans les pays voisins : Laos, Cambodge et Birmanie.
Des réseaux se constituent à travers le monde, des mafias kidnappent des enfants pour les prostituer, les séquestrer dans des maisons closes, les utiliser à des fins pornographiques. Des maisons hermétiquement closes puisque ces enfants sont enfermés de jour comme de nuit pour être livrés, dans une chambre gardée, à leurs clients qui défilent parfois au rythme de 10 à 15 par jour.
Au commerce inhumain qui est fait de leur corps viennent s'ajouter des mauvais traitements de toutes sortes : une jeune assistante sociale belge est parvenue, avec l'aide d'équipes thaïlandaises, à faire libérer 1 400 enfants des maisons closes de Bangkok : " on les viole, on les affame, on les brûle avec des cigarettes, on les blesse à coups de ceinture, voire à coups de couteau, on les torture parce qu'ils ne veulent pas du soi-disant " nouvel amour ". Et au bout du chemin, on les laisse crever de ces mauvais traitements et du sida. " (Marie-France Botte et Jean-Paul Mari, Le prix d'un enfant, Robert Laffont, 1993)
L'engrenage infernal : drogue et maladie
Ensuite, les jeunes, en marge de la société, n'ont pas d'autre choix que de continuer à se prostituer. Souvent, ils ont trop peur des représailles pour prendre la fuite ou dénoncer leurs " patrons ". La culpabilisation les tétanise. Alors, pour oublier l'utilisation odieuse qui est faite de leurs corps, pour oublier que, chaque jour, on leur vole un peu plus de leur dignité humaine, ils se replient sur la drogue. Ils cultivent ainsi un cercle vicieux dont peu sortent indemnes. À mesure que la dépendance s'accroît, et que le besoin d'argent augmente en parallèle, ils sont condamnés à continuer de se vendre aux touristes.
On imagine facilement les séquelles que peut garder un être humain d'une telle expérience. Ou peut-être, au contraire, évalue-t-on difficilement les dommages physiques et psychologiques que la prostitution infantile engendre. La moitié des jeunes prostitués est malade, et nombreux sont ceux qui sont contaminés par le virus du sida. En Asie, et notamment en Thaïlande et en Inde, là où le proxénétisme atteint des seuils jamais égalés, l'épidémie du sida explose. Les enfants qui ont contracté la maladie après quelques années ou quelques mois de prostitution sont jetés à la rue comme des chiens galeux, sans rien ni personne à qui se raccrocher. Pour compléter le tableau de leur horreur quotidienne, on peut mentionner les autres maladies sexuellement transmissibles, le risque de grossesse non désirée, les invalidités suite aux violences infligées et les diverses maladies psychosomatiques. Mais le plus affligeant (bien qu'à ce stade-là de l'horreur, on ait du mal à graduer l'affliction), c'est la destruction morale de l'individu. Les séquelles psychologiques sont graves et irréversibles. En leur volant leur enfance, c'est aussi de leur avenir dont on les prive. La confiance à jamais perdue dans le monde adulte, ils affronteront la vie seuls, s'ils ont encore la force de se battre…
Qui soutient le tourisme sexuel ?
Du tourisme sexuel à la pornographie, du laxisme à la corruption
Les hommes qui pratiquent le tourisme sexuel participent non seulement à son développement, mais aussi l'aggravent, notamment à travers la pornographie. Ceux qui abusent de ces êtres en position d'infériorité sont aussi ceux qui, parfois, les filment, les photographient et participent à la diffusion de l'idée d'une sexualité permissive dans les pays en voie de développement. Ils participent ainsi à l'extension de l'idée que les pays les plus pauvres, surtout en Asie, sont de véritables lupanars.
En tête de ces " producteurs ", véritables exploiteurs jouissant d'une misère qui sert leur bon plaisir, l'Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, supermarchés de pornographie illicite et illégale. Les principaux clients se trouvent aux États-Unis et le pays qui détient le record de l'exploitation sexuelle est la Thaïlande Le laxisme ambiant et le degré inégalé de corruption dans les pays en voie de développement n'y sont, semble-t-il, pas étrangers.
Le tourisme sexuel est en effet soutenu par des réseaux aux bases solides. Dans les pays en voie de développement, le fléau est bien connu des autorités mais si ces agissements continuent, c'est que le nombre et la qualité des acteurs en cause empêchent toute action.
Les revenus de la prostitution
Rien d'étonnant à ce que le tourisme sexuel prolifère lorsqu'on sait que, pour les pays en voie de développement, il représente une manne que l'on se doit, sinon de favoriser, au moins de ne pas entraver. Les revenus de la prostitution sont importants - ils se comptent en milliards de dollars - et nécessaires au développement du pays, selon les autorités des mêmes pays.
Pour cette raison, d'une part les lois et réformes concernant les droits de l'homme et de l'enfant ne sont pas appliquées, les droits des mineurs n'existant parfois carrément pas, mais d'autre part la corruption des autorités par les réseaux de prostitution est très répandue.
L'exploitation sexuelle est ainsi soutenue par des réseaux bien organisés, parfois tenus par des personnes qui travaillent dans la branche classique du secteur : des hôteliers, des restaurateurs… Il faut en effet savoir que dans la majorité des cas, les prostitués exercent dans le cadre d'un réseau, non seuls.
" Fermer les yeux sur certaines pratiques… "
Si la cécité volontaire des autorités compte pour une part non négligeable dans le développement du tourisme sexuel, c'est sans doute parce que celui-ci est en partie lié au tourisme traditionnel. Dans Zone interdite (diffusé le 17 septembre 2000), un ancien chef du gouvernement vietnamien déclarait : " Les Américains ont besoin de filles et nous de dollars " expliquant d'une manière aussi crue que claire la situation désespérée des pays les moins riches. Et un haut fonctionnaire du Sri Lanka d'ajouter : " Longtemps, le tourisme a constitué notre principale source de devises. On pensait qu'il ne fallait rien faire pour le décourager, quitte à fermer les yeux sur certaines pratiques " (Le Nouvel Observateur, août 2000)…
Le développement de la prostitution est dû à une pauvreté qui joue à plusieurs niveaux : d'une part, en forçant de nombreuses personnes à se prostituer pour survivre, et d'autre part en poussant des policiers ou fonctionnaires mal payés à accepter des bakchichs, bienvenus pour arrondir les fins de mois.
Texte : Marine Goddin, Laure Delmoly et Laure Manent