Safran
Quatre belles filles habillées soigneusement sont assises sur des chaises sur un trottoir poussiéreux. Elles prennent la pose, le sourire est étudié, le jour se lève à peine, le selfy sera réussi. Elles tuent le temps depuis un bon quart d’heure.
Une dizaine de quinquagénaires assis aussi mais sur des tabourets impeccablement alignés, sur le même trottoir, la même étole sur leur épaule, le même panier à la main, ils respirent la santé, plaisantent, savourent le moment attendu depuis des mois. On leur a promis de l’autenthique.
Dans un instant ils plongeront maladroitement une main dans le panier et attraperont une boulette de riz pour la jeter dans un bol tendu. Des sucreries emballées de plastique sont également prêtes.
Des grappes de Chinois débarquent de vans blancs immaculés aux vitres teintées : ils sont en retard, leur guide est désolé et pointe du doigts les robes safran. Vite, courir à perdre haleine pour prendre une photo. Gros plans de têtes rasées éclaboussées de flashs.
C’est rue Sisavangvong, à Luang Prabang, chaque jour vers 6heures. Six bonzes marchent pieds nus en file indienne, ils sont félins et rapides, insensibles à tout ce qui se passe autour d’eux, peut-être pressés de retrouver leur temple. Le monde spirituel cotoie celui de la consommation.
Plus tard un vieux Lao usé tirera une longue charrette sur laquelle il empilera soigneusement les nattes, les tabourets en plastique colorés, les étoles, les paniers à sticky rice numérotés.
Demain il les disposera à nouveau sur les emplacements prévus.
Une gêne m’envahit