Au départ, tout paraissait très simple : la Nouvelle Zélande, c’est la nature, sauvage et belle. Ses habitants, les kiwis, sont très cool. Point barre.
Bon, tout cela est vrai. Mais sur le terrain, on se rend vite compte que la réalité est bien plus complexe et riche qu’on ne l’imaginait. Par exemple, les kiwis (les humains, pas les fruits) sont disponibles en plusieurs variétés: anglo-saxonne, polynésienne, sans parler des divers immigrés.
A l’inverse, le kiwi (l’oiseau, pas le fruit), est très difficile à observer. Et pour cause: il s’obstine à dormir le jour, bien camouflé. Heureusement, il y a des tas d’autres animaux à découvrir.
De son côté, le kiwi-fruit se lâche complètement. Chez nous, cette grande liane pousse bêtement, à l’horizontale. Là-bas, elle grimpe sur des formes variées, évoquant toits de pagodes, camp du drap d’or, ou guirlandes de lampions.
La fois où il s’est perdu dans la jungle
Marcher dans le bush n’est pas une mince affaire. La trace, à peine visible, zigzague dans les bois sombres et touffus. Après avoir franchi deux torrents à gué, je me suis déjà perdu deux fois.
Les grandes fougères arborescentes me toisent du haut de leur dix mètres. Je me sens dans Jurassic Park, limite de me faire emporter dans la gueule d’un tyrannosaure. Les petites fougères recouvrent malicieusement le sol, cachant les racines, pierres moussues, et autres pièges. Quant aux fougères moyennes (3 mètres quand même), les plus traîtresses, elles laissent courir leurs tiges bleu acier au ras du sol, histoire de me faire trébucher.
Nous sommes à quelques kilomètres d’Arthur’Pass, et je ne peux que penser aux maoris, premiers à se frayer un chemin dans ces montagnes. Au col, une stèle affirme qu’Arthur Dobson a découvert ce passage. Pas une seule mention du chef maori Tarapuhi, qui l’avait obligeamment renseigné. Le plus comique de l’histoire est qu’Arthur n’y croyait pas, jugeant la descente trop raide côté Ouest. Pas faux : la gorge d’Otari, je l’ai descendue en première, debout sur le frein….
Dans un autre style, sur les pentes du Taranaki dansent des fantômes de mousse espagnole. Le royaume de Gollum, selon les habitants de la région!
Mon cousin tuatara
Windy Welly n’a pas volé son surnom. Le vent balaie les collines de Wellington, truffées de maisons blanches perdues dans la végétation. Un petit air de San Francisco…
Nous sommes à Zeelandia, une réserve située à deux kilomètres des gratte-ciel du centre, à vol de cormoran. Le tuatara est presque aussi vénéré que le kiwi (l’oiseau, pas le fruit), et beaucoup plus facile à observer. Iguane de poche, dernier dinosaure vivant de la planète, il vit ici en liberté. Il possède un troisième œil, qui n’apparaît qu’après sa première ponte. Il existe même une marque de bière Tuatara, dont la bouteille imite le cou crènelé de la bestiole.
J’aime bien aussi les wekas, gros poulets aux pattes écaillées, incapables de voler. On peut en voir fréquemment, traverser les routes, le cou ondulant, à la manière des « road-runners », ces volatiles qui ont inspiré le célèbre « bip-bip » et usé le coyote…
La fois où elle a photographié un moine
Le mont Cook en ligne de mire, nous arrivons au lac Tekapo. Le ciel est entièrement dégagé. En fond d’écran, les Alpes du Sud alignent leurs crêtes enneigées.
Arrêt à l’église du Bon Pasteur, simple et rustique, vulnérable dans ce décor immense. Nous ne sommes pas seuls : un essaim de japonais s’égaille tout autour. Indifférentes à la mystique du lieu, les jeunes filles, en robe vaporeuse, minaudent devant les appareils-photo.
A l’écart, un moine bouddhiste, toge safran, chaussures de rando, contemple le lac d’un sourire serein. Puis, toute sa famille le rejoint. Ils nous demandent de les prendre en photo.
La fois où il s’est fait arrêter par la police
Sa voiture est à l’arrêt sur le bas-côté. Dès que je l’ai dépassée, elle déboîte, sirène dans les aigus, gyrophares en mode boîte de nuit. Je ferais mieux de m’arrêter.
Le policier déplie son mètre quatre-vingts quinze. “You’ve been reported for dangerous driving”, me dit-il. Moi? Bon d’accord, j’avoue, une demi-heure plus tôt, j’ai dû faire une manœuvre un peu délicate. Un freinage d’urgence. J’explique. OK, je comprends, dit le policier, qui me laisse repartir. Le plus étonnant dans l’histoire ? Quelqu’un a pris la peine de téléphoner mon numéro de plaque à la police. Moralité: attention à votre conduite, le kiwi veille! (l’humain, pas le fruit)
Photo ci-dessous: à Charleston, minuscule bourgade de la côte Ouest, la région la moins peuplée du pays. Même ici, on est prié de se garer dans les règles.
La fois où il s’est cru dans un film d’Hitchcock
A force de voir des pics enneigés, des lacs irisés, des volcans indomptables, on est pris d’indigestion. Comme après 48 heures au Louvre et tous ses trésors. Alors, pour changer, direction la baie de Thames. Oui, Thames, comme la Tamise. Au creux de la péninsule de Coromandel, ses méandres, son estuaire tout plat, expliquent son nom, même si la végétation ne ressemble guère aux landes du Kent.
Soleil vertical, lumière écrasante. L’ornithologue nous accueille aimablement sur la réserve de Miranda. Vous arrivez au bon moment, nous dit-elle: la marée est haute, les oiseaux se rassemblent sur la lagune.
Au premier abord, je suis un peu déçu : certes, un magnifique héron à tête blanche s’est déployé sous mes yeux, mais tous les autres volatiles sont très loin. Je m’apprête à quitter les lieux, quand soudain, une nuée de godwits décolle, droit sur moi. Je les reconnais à leur bec curieusement orienté vers le haut, comme une paille.
La fois où l’île est devenue française (pas pour longtemps)
Venue de l’Antarctique, la tempête vient d’étriller l’île du Sud. Des branches cassées jonchent la péninsule de Banks, énorme volcan échancré de fjords. Direction Akaroa, petite ville où règne le bleu-blanc-rouge. Ici, la station de police s’appelle gendarmerie.
C’est là qu’une petite cinquantaine de français débarque en 1840, pour fonder une colonie. Manque de chance, quelques semaines plus tôt, les maoris signaient la paix de Waitangi, qui assurait au Royaume-Uni la possession de toute la Nouvelle-Zélande. Pas sectaires, les anglais ont gardé les français, à condition que ceux-ci adoptent la nationalité britannique. On peut voir quelques noms français sur le monument aux morts.
Le journal local, The Akaora mail, parait sans interruption depuis 1876. Sur quatre pages, la dernière édition égrène les résultats des épreuves qui ont émaillé la kermesse agricole et pastorale. Côté hippique, des dizaines de catégories: poneys, saut d’obstacle, meilleur costume… et même une course de chevaux de bois! On apprend aussi que Beer, chien de secours professionnel de son état, a remporté haut la patte le concours de saut, franchissant un mur de 6 bottes de paille empilées.
Des kiwis et des pommes
Fin de journée sur la longue plage de sable noir de New Plymouth, célèbre pour ses clubs de surf et ses réserves de bois flotté. Jill est venue se détendre après sa journée de travail. Canadienne, mariée à un kiwi (l’humain, pas l’oiseau) elle me dit s’être facilement adaptée à la mentalité locale, sans prétentions. Bien sûr, il y a des pauvres, surtout parmi les maoris, mais le gouvernement fait ce qu’il faut pour arranger cette situation.
Ce n’est pas l’avis de Joan. Elle habite à la lisière de Moturoa, au bord de la baie de Nelson. Là où maisons basses et jardins fleuris font place aux vergers de pommiers, bien à l’abri du vent derrière les hautes haies de résineux.
De sa boîte aux lettres, elle extrait un tract du parti au pouvoir, qu’elle chiffonne aussitôt. Mais j’ai eu le temps de reconnaitre la photo de la première ministre, Jacinta Ardern. Pour Joan, le gouvernement doit changer, il est trop faible. Il faut prendre des décisions courageuses : les japonais nous pillent nos forêts, et les chinois s’approprient notre eau… vivement les élections !
Un petit goût d’Amérique
On peut voir des camions de fabrication européenne, mais dans la vallée de Motueka, pays d’exploitation forestière, les trucks américains règnent sans partage. Campés sur leurs 32 pneus, les road trains transportent les énormes grumes. Les ‘cabover’ massifs, taillés comme 3 armoires à glace, avec leur calandre en forme d’écu. Et les ‘conventional’, au long museau, au saute-vent de plexi personnalisé: « Dirty Mike » par exemple. On croisera même un très métaphysique «unsatisfied spirit» !
Casquette, cheveux poivre et sel, regard rieur derrière des lunettes cerclées de métal, Ray est au volant de son Kenworth « legend » étincelant. Il est arrêté juste derrière nous, sur la Surf Highway, à un des innombrables chantiers routiers. J’en profite pour descendre bavarder, et lui demander la permission de le photographier. Son camion s’appelle tout simplement Fiona. Surprise : Fiona est là, assise à la place du copilote. Elle me gratifie d’un sourire craquant. Hélas, le trafic reprend…
Un petit goût d’Angleterre
Timaru, l’après-midi. Les rues sont bordées de maisons basses, les jardins débordent de couleurs: hortensias, bougainvillées, roses, fuchsias, agapanthes, kniphofias… Le centre affiche quelques belles maisons victoriennes ou edwardiennes, aux couleurs pastel. Dans les jardins Caroline, en bord de mer, la roseraie étire ses rayons. Tout près de là, une grande pataugeoire. Il fait très chaud, malgré la proximité du Pacifique : tout en surveillant leur progéniture, les mères relèvent leurs jupes pour se rafraichir les mollets.
Un peu plus loin, le terrain de cricket. Deux équipes se préparent à s’affronter. Chacune a amené sa glacière de 45 litres, de la taille d’un frigo, et équipée de roulettes. Le numéro 23 se dirige lentement vers le field, canette de bière à la main. Il nous invite à en partager une. Cool !
Photo : entrainement de cricket au pied de la cathédrale de Timaru
La fois où ils ont cherché de l’or
Dans les années 1880, au temps de la ruée vers l’or, Kumara comptait plus de 50 bars. Aujourd’hui, il n’y reste que 300 habitants, et un café, qui fait aussi magasin. Le patron, anglais installé ici depuis huit ans, écoute la BBC. Bouchons à Londres, brouillard à Manchester: en décalage complet avec le grand soleil et la grand-rue déserte. Entre un jeune blanc, cheveux frisés, barbe de prophète. Vêtu seulement d’un pantacourt bariolé, qui laisse amplement découvrir ses tatouages maoris.
Le théâtre royal, devenu hôtel, existe toujours. Sa construction a même précédé celle de l’église. A tel point qu’on y célébrait aussi la messe!
Shantytown, près de Greymouth, reconstitue une ville minière, façon Far-West. Pour quelques dollars, on peut s’exercer à chercher des pépites, avec une poêle à frire.
Le charme des petites routes
Je ne chercherai pas à vous décrire les fjords, volcans, geysers, glaciers, et autres symboles emblématiques de Nouvelle-Zélande. D’autres l’ont déjà fait.
Ce que je garderai en mémoire, ce sont ces collines omniprésentes, belles même sous la pluie, qui rend leur blondeur translucide.
Je garde aussi le souvenir des petites routes tranquilles, bordées de fleurs : agapanthes, fenouil, montbretias aux petites flammes et aux tiges gracieusement courbées.
Et aussi les odeurs, qui vous saisissent à peine arrivés : un mélange fort d’oranger du Mexique, de lis, de buddleia, avec parfois un soupçon de vanille.
A découvrir aussi : les nombreux petits musées maoris de province, et leurs trésors inattendus…