Ouessant, entre brumes et éclaircies

Forum Bretagne

1er jour

Nous voilà au large des côtes finistériennes, dans la tempête qui se prépare. Nous sommes arrivés à Ouessant en milieu d’après-midi, sur un bateau qui tanguait déjà pas mal. Les traversées pour le continent sont annulées ou modifiées pour les jours à venir. Cette île se mérite vraiment, il faut être décidé pour y poser ses valises, contrairement aux côtes normandes, faciles d’accès et envahies de parisiens. Ici nous sommes très isolés. Pas de wifi, une mini télévision et des vieux vélos pour nous mener sur les chemins boueux. Mon fils a appris tout à l’heure, très rapidement, à pédaler comme un grand et ça le rend tellement fier qu’il ne veut plus se séparer de sa monture. Mon amoureux a amené les enfants grimper sur les rochers. Demain, nous irons tous voir la mer. Pour l’heure, je me repose, fatiguée de ma petite nuit de la veille et des kilomètres qu’il a fallu parcourir pour arriver dans notre jolie maison bretonne, louée pour la semaine.

On a laissé les soucis à Paris et ici, on vient pour ne penser à rien d’autre qu’a l’air marin qui revigore. J’écoute le gros temps qui secoue les branches et les rafales de vent iodé s’engouffrer dans les conduits de cheminées, le seul et unique bruit à la ronde.

2e jour

Direction le nord de l’île, à pied, par les chemins marécageux. On veut voir l’écume se fracasser sur les récifs. Et on n’est pas déçus. Mon fils hurle à chaque fois qu’une immense vague se forme à l’horizon. Il hurle donc très souvent, estomaqué par ce spectacle grandiose. Les bourrasques font des pics à 70 km/h. On croise un chien, quelques moutons, leurs agneaux et un ou deux passants perdus sous leur kway.

Les enfants courent dans la bruyère, libres, les joues rosies par le vent qui les emporte. C’est bien d’être là. De nombreuses éclaircies nous permettent de prendre de belles photos, on contemple longtemps le ressac de l’océan, on veut que ces images nous collent à la rétine aussi longtemps que possible.

En arrivant sur la plage de Yusin, on aperçoit des phoques nager dans la houle et des mouettes qui planent avant de piquer net pour choper un poisson. On marche longtemps, très longtemps, jusqu’à la baie de Calgrac’h, sous le presque soleil de mars et on finit par quitter les échancrures de la côte pour retrouver le goudron et les petites maisons isolées, toutes vides a cette période de l’année. On achète quelques provisions à Kernigou, chez un monsieur qui n’a que de la morue avariée. Dommage. En plus c’est la période de reproduction, le pêcheur est parti en vacances. Les mouettes sont plus chanceuses que nous, je ne suis pas sûre que l’on puisse se régaler d’un poisson frais dans l’immédiat. Il faudra repasser vendredi.

Le commerçant, très gentil, nous propose de nous ramener dans son utilitaire, ce qu’on accepte volontiers. On est crevés, les pieds trempés, mais heureux.

3e jour

La tempête ne s’est pas calmée.

Ce matin j’ai dû lutter contre le vent pour atteindre Lampaul sur mon vélo. J’exagère à peine. Mais quel plaisir que de pédaler ici ! Des odeurs fleuries, imperceptibles à pied, vous remontent dans les narines au premier coup de pédale. Je ne sais pas de quels végétaux il s’agit. Pourtant, j’approuve le proverbe selon lequel le jardin est plus beau quand on connaît le nom des fleurs. Mais passons.

Après la pause déjeuner, on se dirige vers le Créac’h. On visite le musée des phares et balises, dont les grosses lentilles et les optiques géantes impressionnent les enfants. Moi, c’est plutôt la vie des gardiens qui me touche. Un sacré sacerdoce que cette vie dédiée à la mer, tout de même.

On continue ensuite notre balade sur les chemins escarpés et, dans l’épaisseur de la mousse douillette, face à l’immensité de l’océan, un peu abrités du vent, on s’installe pour savourer un far breton provenant de l’unique boulangerie de l’île.

Les enfants choisissent quelques cartes postales à Lampaul, on achète des œufs, du cidre et des bombons acidulés chez le primeur et on rentre.

4e jour

Aujourd’hui nous décidons d’enfourcher nos vélos pour nous diriger vers Arlan. Il n’y a que 4 km depuis Lampaul mais on peine à les parcourir. Il y a plein de faux plats, et mon fils, encore peu habitué, a du mal à tenir son guidon face au vent qui nous déporte.

Pas un rayon de soleil ne perce l’épaisse couche de nuages et la jetée est régulièrement arrosée par l’écume blanche et glacée. Je serre ma fille contre moi pour la photo souvenir, dos à Molène perdue dans la brume. Les hommes jouent sur le sable.

Nous montons vers le chemin côtier et tentons une promenade le long des falaises. Nous sommes les seuls sur la lande balayée par les vents, et on a froid. La côte est escarpée, on se tient la main. On ne s’entend pas à 3 mètres à cause du vent qui s’en donne à cœur joie. Des gouttes tombent. Ou peut-être est-ce des restes d’écume, emportés par une bourrasque ? Bref, on fait demi-tour. On caille et on ne perçoit aucun espoir d’amélioration dans le ciel sombre. On rentre au chaud, goûter de quelques crêpes au caramel accompagnées de thé chaud et noir.

5e jour

Tôt ce matin, nous quittons notre petit hameau pour une balade pédestre car il fait beau et les enfants ont un programme chargé l’après-midi. On se dirige vers le port de Lampaul. Les chemins sont humides mais le soleil se découpe sur le clocher et les toits gris de la ville. On traverse la baie, les enfants font des dessins dans le sable mouillé de la plage de Korz tandis qu’on prend le vent en plein face, assis sur un des deux bancs qui regardent l’horizon. On continue à marcher aussi loin que possible, contemplant des paysages bien différents de ceux du nord de l’île que nous avons pu voir les premiers jours. La côte est moins rocailleuse, l’herbe est plus verte, la mer est plus calme, moins impressionnante, abritée des vents trop violents.

Nous revenons sur nos pas et nous arrêtons pour déjeuner chez « la Duchesse Anne », installés derrière une vitre qui réverbère le soleil et la mer d’iroise. Je mange enfin du lieu, les enfants des moules et des glaces. Ravis et repus, on repart chercher nos vélos pour amener les enfants à un cours de peinture, dans un hameau introuvable du nord de l’île, chez une mamie gentille qui a allumé son chauffage pour l’occasion. Deux heures d’aquarelle dont ils ressortent enchantés, la sacoche du vélo déborde de papier canson.

Les averses ne cesseront pas pendant tout le reste de la journée mais par chance, pour l’instant, c’est la nuit que le temps est le plus terrible, la pluie cinglant le plastique des vélux. On s’en fiche un peu, on s’endort très vite, à l’abri et au chaud dans le cocon de nos chambres aux couleurs bleues marines.

6e jour

C’est une belle journée, avec un chaud soleil de printemps, bien haut dans le ciel. Le vent de la nuit a chassé les nuages laissant l’herbe verte et le bitume un peu brillant. On se dirige vers la pointe du Pern, à l’extrême ouest, avec nos grosses chaussures bien ficelées. Un bonnet reste nécessaire mais j’ai presque l’impression de bronzer pendant la balade. La lumière vive nous met de bonne humeur. La promenade est par ailleurs très sympathique, elle nous permet de longer les falaises escarpées sans perdre de vue le phare de Nividic qui se rapproche à mesure que l’on avance. A la pointe, la mer est toujours agitée et les nombreux rochers se font battre par des vagues sans pitié. On aurait presque pu apporter un pique-nique et trouver un refuge pour nous protéger des vents. Il est plus de midi, on n’a que quatre compotes et les enfants commencent à avoir faim. Alors on prend la route, en empruntant au préalable un chemin de tourbe, dans lequel nos chaussures et nos enfants s’enfoncent. Ils rient, avec de la boue jusqu’aux genoux. Moi, il faudra que je frotte fort, mais eux, ça leur fera des souvenirs.

7e jour

Il est déjà temps de partir. Avant de rejoindre le port du Stiff, les enfants donnent du pain dur aux moutons dont le pré est accolé à notre bout de jardin.

Notre semaine à Ouessant s’est écoulée tranquille, douce, au rythme des pédaliers de nos vélos et des moments de chaud soleil, alternant avec une brume épaisse encerclant la lande, magnifique. On a pris des photos à contre jour, vu des centaines de jonquilles, humé les algues sur les plages désertes, bu du cidre Kerisac, eu les mains gelées sur nos guidons, avons demandé notre chemin aux autochtones, vu les agneaux noirs et l’océan bleu. Nous avons croisé plus de moutons que de touristes et ce fut très bien ainsi. J’aurais pu rester encore, longtemps, dans l’isolement et la beauté sauvage de cette île que j’ai plaisir à redécouvrir à chaque fois que j’y reviens. On dit ici : « qui voit Ouessant voit son sang ». Sans doute. Mais qui n’a pas vu Ouessant n’a rien vu.

Merci pour ce carnet de voyage.

Merci mais les photos ne s’affichent pas

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