Atterrissage à l’aéroport de Padang alors que la nuit tombe sur l’Océan Indien. Après un mois et demi de baroudage solo, Sumatra est mon avant-dernière étape avant de retrouver les gratte-ciels de Singapour et le chemin du retour …
Je souhaite rejoindre Bukittinggi, un peu plus au Nord de la capitale des Minangkabau. Il y a des bus publics mais beaucoup de “bed time stories” (histoires d’horreur) circulent dessus. Retards, lenteur, saleté, chaleur, vols, hommes tripotant les femmes qui dorment … Autant éviter. Ces bus prennent la route qui traverse l’île du Nord au Sud: la Trans-Sumatra, que tout le monde emprunte. Forcément. Dès que je sors, je me fais alpaguer pour un minibus, qui est en fait un taxi. Ai-je le choix? Pas vraiment.
Ma guest-house est sympathique. Les gens sont prêts à socialiser: une jeune Allemande m’aborde, et me donne le meilleur des bons plans: il y a une rafflesia à seulement 20 minutes en scooter de là. Et 30 minutes de marche dans la jungle. Quoi? Une rafflesia? Vous voulez dire la plante dont j’ai raté la floraison aux Cameron Highlands, puis à Kuching sur Bornéo, et pour laquelle je m’étais faite une raison? Cette rafflesia qui ne fleurit que 5 jours par an? MAIS OUI. Au bon endroit, au bon moment …
Le lendemain, je suis donc fin prête, je loue mon scooter dont les freins ne marchent pas et le coffre ne ferme pas. Je quitte Bukit Tinggi pour prendre la petite route Trans-Sumatra. Il fait beau et wahou … Les paysages sont splendides. Sous le soleil équatorial, les couleurs ressortent profondément et intensément. On dirait des photos retouchées en saturation. Cette partie de Sumatra est montagneuse, les rizières se calent entre deux collines. Je rate une première fois la route, mais finis par trouver ce qui est plutôt un chemin. En fait, il y a quelqu’un devant moi qui me dirige jusqu’au café. Il me dit “for the rafflesia, you have to take a local guide”, ce qu’il ne me dit pas c’est qu’en fait c’est lui le local guide. Je l’apprends en arrivant au Luwak Café. Comme je n’ai pas toute la journée, nous partons à pied tout de suite, dans les rizières. Il me montre du curcuma et de la citronnelle. Nous arrivons rapidement dans la jungle, il faut grimper un peu, passer sur les pierres et traverser des ruisseaux. Et ça glisse, vraiment. Nous passons d’abord devant une rafflesia non éclose, dans une semaine peut-être. Et cinq minutes plus tard, voilà la grande fleur star! Oui, elle est énorme, 90cm de diamètre, soit 10 de plus que la moyenne de Bornéo. Ici elle fleurit 7 jours par an et non 5. Il y a beaucoup d’insectes qui tournent autour, on m’a demandé si elle sentait mauvais, non elle est plus bruyante qu’autre chose. Je m’amuse à faire des photos avec le guide et à contempler cette rareté, puis nous redescendons au café.
Après cette marche dans la jungle, un peu de réconfort pour éviter l’hypoglycémie: le café Luwak … qui est fait à partir des grains qui sont dans les crottes des ratons-laveurs d’ici. Et bien ici c’est bio: les luwaks sont dans la nature mais ils font leurs besoins toujours au même endroit. Parfait. Ce café a beaucoup de vertus: pour la peau, pour les vergetures, on peut l’étaler en masque, ce que j’essaye. C’est la poudre de café hein, pas la crotte. Il est bon pour la digestion, et bien sûr l’énergie, et contre la gueule de bois. Je le goûte : il est bon mais je trouve qu’il est un peu trop dilué. J’entends quelques gouttes de pluie tomber sur le toit, mais ça se calme rapidement.
Après un court passage à la guest house, je me remets en selle et c’est parti pour quarante kilomètres! Je souhaite assister au Pacu Jawi, une course de vaches, que j’illustrerai plus tard.
Au départ la route est très virageuse sur 15km, puis elle est en ligne droite, je fonce. J’arrive à Batusangkar une heure plus tard. J’ai repéré une adresse sur Internet pour l’événement d’aujourd’hui, mais quand j’y arrive, il n’y a rien. Je continue sur la route. Des rizières, des rizières … Mais aucune trace du Pacu Jawi. Je demande mon chemin à des locaux, qui me disent de continuer tout droit. Quand je demande à des femmes, elles se tournent vers les hommes ou ne répondent pas … Je persévère. J’arrive bien à un endroit: le Palais Royal Pagaruyung. Je demande à un guide qui enfin me renseigne correctement: le Pacu Jawi se tient dans le village d’Ambula, à 10km proche de là d’où je viens, et se tient jusqu’à 22h. Soulagée d’avoir enfin de bonnes informations, je m’y rends. Là, je trouve des locaux qui savent de quoi je parle, et me disent de suivre deux personnes à scooter. Et bien heureusement car l’évènement se tient vraiment au beau milieu de nulle part.
Bon et donc, c’est quoi ce fameux Pacu Jawi? Le suspense a assez duré : c’est une course de vaches pratiquée par les Minangkabau. Enfin ils appellent ça une course, mais c’est plutôt une démonstration de force car cela consiste en un jockey qui met ses deux pieds suur deux harnais, lance ses buffles à toute allure sur un champ boueux et ne doit pas tomber. Il peut mordre la queue de ses bêtes pour qu’elles aillent plus vite. Le gagnant, probablement jugé par un jury, peut vendre ses bêtes plusieurs milliers de dollars, ce qui est juste énorme pour l’Indonésie! Je ne sais pas s’ils les mangent, je parierais surtout sur la reproduction. Je dois dire que c’est très impressionnant de les voir concourir! C’est très technique, très physique, et ils se prennent une quantité de boue monstrueuse dans la face. Les gens crient, les buffles courent, tout droit ou non, les jockeys arrivent au bout du champ ou s’écrasent dans la gadoue. Ces événements ont lieu une fois de temps en temps, j’ai eu de la chance d’être là.
Je retourne maintenant au Palais Royal où j’étais précédemment. Il est vraiment majestueux, avec ses toits pointus en forme de cornes de vaches qui transpercent le ciel de Sumatra! Des personnes portent des costumes traditionnels pour l’animation. Mais ce qui est vraiment rigolo, c’est que les murs ne sont pas droits, encore moins les fenêtres. On dirait que Numérobis s’est chargé de sa construction. D’ailleurs, le Palais original a brûlé dans un incendie, et il a été reconstruit il y a une dizaine d’années. Il comprend trois étages. Celui du milieu est nommé Anjung Paraginan, et accueille les appartements d’une princesse qui n’est pas encore mariée.
Les Minangkabau sont connus pour être la plus grande société matrilinéaire du monde, mais aussi pour être des travailleurs acharnés et avoir un très bon sens de la diplomatie. Le premier président de Singapour était d’ailleurs un Minangkabau! Ils sont musulmans mais ont des traditions très animistes. Leur nom signifierait “victoire du buffle” selon une légende assez rigolote. Se disputant des terres, deux princes voulurent régler leurs différents par un combat de taureaux. Les premiers envoyèrent un bovin très fort, les seconds un petit veau aux cornes très affûtées. Au moment du combat, le buffle ne le perçut pas comme une menace, mais le petit s’approcha en quête de lait. En se frottant contre le ventre du buffle, il l’éventra de ses cornes, et c’est ainsi que naquit le nom Minangkabau. Ils étaient dirigés par un roi, mais la famille royale est tombée pendant la colonisation par les Hollandais.
Retour à scooter sous une fine bruine, un concert live le soir … Et une bonne nuit de sommeil avant la suite.
Le lendemain, je vais aller m’installer dans la guest house au bord du lac Maninjau. C’est juste une nuit, donc le strict minimum est parfait, je peux le mettre dans un sac plastique dans le coffre du scooter. Je dis au revoir à tout le monde, l’Allemande va prendre le bus qui dure 15 heures (en théorie) aujourd’hui, je lui souhaite bien du courage. C’est parti! Il y a environ 40 kilomètres pour aller à Maninjau mais en fait, je vais mettre 1h30 car je m’arrête tout le temps pour prendre des photos. C’est tellement beau, ces tons de verts, cet ocre pour les plants de riz qui ont séché, les rivières qui courent entre les champs, les montagnes et les falaises qui bordent la route. Ça monte, et c’est vrai qu’il y a beaucoup de virages. Mais ce n’est rien comparé à ce qui m’attend pour descendre à Maninjau. C’est une route bien connue qui comprend 44 virages en épingles à cheveux. Ah ouais, j’ai vraiment bien fait de ne pas le faire de nuit et ne pas risquer ma vie. Déjà que de jour avec mes freins, c’est difficile …
Arrivée à la guest house, je me pose au bord de l’eau pour déguster un boeuf rendang. C’est très épicé, et délicieux. Puis, je chevauche à nouveau le scooter pour faire le tour du lac, ce qui fait 70km. La sensation de liberté que j’éprouve à chaque fois que je file sur la route sur mon deux roues me resaisit. Il est bien plus agréable de rouler là, et je peux même aller un peu plus vite. Les paysages sont magnifiques, des locaux ne cessent de me dire “hello” lorsque je les croise.
Des images plein les yeux, des paysages à couper le souffle, des sensations inoubliables, qui écrivent sans cesse le livre de ma vie dont je vous partage aujourd’hui ce chapitre personnel.
J’espère que cela vous a plu, merci de m’avoir lue!