Carnet de voyage Toscane (Pise, île d’Elbe, région de Grosseto)
Il est sans doute assez rare de rattacher une ville à un seul et unique monument. Il en est ainsi de Pise, unilatéralement associée à sa tour penchée, alors que la Toscane, à laquelle elle appartient regorge de richesses et de diversités (la seule Florence résonne comme une promesse d’inlassables découvertes). Pour nous, comme une façon de s’inscrire dans le flux de cette polarisation autour d’un monument, en arrivant dans la ville, en se dirigeant vers notre hôtel, avant même de poser nos valises, la vision déjà obligée de ce célèbre monument s’impose à nos yeux. Valises en main, en mouvement, découvrir la place du Duomo, où trône la tour déjoue d’emblée le cliché touristique : si elle est là, majestueuse, c’est aussi la présence des touristes, fort nombreux, qui la rend vivante. Mais on aura le temps de revenir.
Environ deux minutes après avoir quitté la place grouillante de monde, les rues nous conduisant à notre hôtel sont étonnamment calmes. A peines passantes, manifestement accessibles aux habitants du coin, elles permettent de s’envelopper d’une atmosphère radicalement autre. On est bien en Toscane où, à lever les yeux sur quelques immeubles multicentenaires, devant une date à peine déchiffrable, on tombe sur un motif sculpté des plus raffinés.
Arrivée à l’hôtel Di Stefano, sis dans un quartier calme. Comme la place du Duomo semble loin, alors qu’elle n’est qu’à quelques minutes à pied. L’hôtel possède d’ailleurs une terrasse en haut de laquelle on peut apercevoir la tour de Pise. Avec quelques chambres munies d’un balcon, on dira que c’est l’un de ses principaux atouts – à relativiser toutefois, car le soir, impossible d’allumer la lumière qui, parait-il, fonctionne à l’énergie solaire. On se contentera d’ouvrir la porte-fenêtre, au risque d’attirer les moustiques, pour profiter de la lumière de la chambre. Le petit déjeuner n’est pas réellement fameux : situé dans une pièce en sous-sol, le volume rétréci par les arcades typiques, il reflète le peu d’investissement de bon nombre d’hôtels en Italie. Croissants enrobés dans des sachets, jus de fruits industriels (colorants garantis). Au moins, on ne s’y attarde pas pour mieux profiter de son séjour à l’extérieur.
A partir du moment où on s’engouffre dans les rues du centre de Pise, la tranquillité favorisant l’exploration le nez en l’air, on apprécie très rapidement la qualité de la ville, tant sur le plan de l’atmosphère qu’au niveau architectural. Bien évidemment, nous sommes en Italie, et l’un des must reste les églises, qui plus est la plupart éclatantes dans leur robe marbrée. On note ces nombreux passages couverts sertis dans des arcades, donnant à tout cela une fière allure.
Lors du retour sur la place du Duomo, le lendemain, débarrassés de nos valises, on commence à aborder non pas la tour, mais les monuments environnants. On ne manque toutefois pas d’être étonnés par les nombreux touristes, notamment asiatiques, posant devant le monument avec les gestes étudiés visant à faire croire qu’ils la soutiennent des mains. Ce qu’ils ne savent peut-être pas, c’est que le monument est plus fort que la caricature qu’ils en donnent. Autant le dire, la Piazza dei Miracoli est magnifique, car le regard, aussitôt qu’il quitte la fameuse tour, ne peut manquer de s’arrêter sur les autres monuments : le Campo Santo Monumentale, aux passionnantes fresques murales, le Baptistère, et l’incontournable Duomo (cathédrale), dont les mosaïques dorées ravissent l’œil. Pas de chance par contre pour le Museo delle Sinopie, juste à côté du site, fermé à ce moment là pour travaux.
Si la tour de Pise est un monument qui attire parce que son histoire est liée à une dramaturgie tragique ménageant un suspens séculaire (il repose sur des fondations à proximité de nappes phréatiques, favorisant une menace d’effondrement), on peut aller dans ses entrailles en y accédant par des escaliers peu ardus (moyennant 15 euros, tout de même, et un temps de présence en haut n’excédant pas 15 minutes). De la haut, la vue est évidemment magnifique, et on peut voir, sur la pelouse, en contrebas une curieuse sculpture contemporaine, « Fallen Angel », de Angelo Caduto.
Pour s’imprégner d’une atmosphère toscane, nullement besoin toutefois de faire l’intégrale des monuments de Pise. Il suffit d’aller sur les bords de l’Arno, et on aura la surprise de se croire sur les rives florentines. Fin juin, la circulation n’est pas effrénée, et l’on se surprend à trouver des estrades le long des trottoirs (restes d’une fête médiévale s’étant déroulé quelques jours auparavant). Comme à Florence, on reste admiratifs devant les façades de palais. Se détache notamment sur la rive gauche (non, nous ne sommes pas à Paris), le Palazzo Blu, que l’on est parti visiter, ayant fait l’objet d’une restauration récente. L’un des plus étonnants reste le palais Agostini, datée de la fin du 14ème siècle, la façade à l’ornementation d’une rare finesse, construit en terracotta (terre cuite).
Si l’on est avide de culture – en retenant toutefois son appétit puisque, sur ce plan, Pise n’est pas Florence -, on peut également, se rendre un peu plus haut au « Muzeo Nationale di San Matteo », dans un ancien couvent médiéval . Aucun risque de bousculade, ce qui rend la visite d’autant plus appréciable. Le musée est particulièrement porté sur la peinture de maîtres pisans et toscans, du XIIème au XVIIème siècle.
Mais que serait une ville comme Pise, s’il n’y avait pas, comme marquer spécifique de la culture italienne, ces innombrables places où flâner ou boire un verre ? La Piazza dei Cavalieri, l’une des plus fameuses, traduit ce génie de la répartition de l’espace.
Après trois jours passés à s’imprégner d’une pure atmosphère toscane, nous prenons le train à la gare de Pise. Destination : île d’Elbe. En cette fin de mois de juin, il semblerait que le train ne soit pas très emprunté pour aller vers le sud de la Toscane. Quasiment personne dans le wagon où nous trouvons. Le port d’accès pour se rendre sur l’île est Piombino Marittima, mais nous n’avons pas réussi à avoir un train direct. Aussi, c’est par le bus, de la station Campiglia Marittima, que nous arrivons au port. C’est juste un petit peu plus long, mais pas autant que l’attente au port avant de pouvoir prendre le bateau : le vent, ce jour là, rend la mer impraticable, et prendre un verre sur une terrasse devient même périlleux, car il faut veiller à ne pas voir nos gobelets en plastique s’envoler. Une fois le suspense terminé, nous accédons enfin à l’île d’Elbe, à Portoferraio, après environ 1h30 de trajet.
La fréquence des bus étant insatisfaisante, nous prenons un taxi pour nous rendre à l’hôtel Viticcio, situé dans le golfe du même nom, à environ 6 km de Portoferraio. Les avantages de cet hôtel ? D’abord d’offrir une vue magnifique sur le golfe, avec la mer en contrebas (l’hôtel est situé sur les hauteurs). On y trouve une terrasse surplombant une série de chambres où, aux beaux jours, on prend le petit déjeuner où le dîner – et on ne manquera pas d’entendre, de notre chambre, des déplacements de chaises et de tables. Pour le premier dîner, il nous faudra patienter, le vent soufflant encore très fort. L’hôtel propose un dîner-buffet, somme toute peu élevé (moins de 30 euros). C’est en fait vraiment très bon, surtout le buffet des entrées, et le lendemain matin, pour notre premier petit déjeuner (sur la terrasse), on se rend compte que la qualité est là, elle aussi. Très varié, proposant même des produits bio, quoi de mieux que de le déguster en contemplant la vue sur la mer, voire en contrebas, sur la plage attenante à l’hôtel – présentée comme privée, elle est publique, mais en réalité accessible surtout depuis les deux hôtels à proximité.
Si l’île d’Elbe est bien moins prisé par les touristes non italiens, comparée à Capri ou Ischia, elle reste fameuse dans notre représentation pour avoir été la terre d’exil de Napoléon Bonaparte. Il l’administra pendant dix mois, en apportant des changements ayant laissé des traces dans la population. Nous ne sommes pas venus ici pour faire un voyage culturel sur les traces de l’empereur, mais il y a pourtant des sites à visiter, principalement les villas dei Mulini et San Martino, où il a résidé.
Lors de notre première escapade à Portoferraio (un arrêt de bus juste en face de l’hôtel nous permet de nous y rendre), on commence par visiter la ville, assez attrayante. On a tôt fait de se retrouver sur les hauteurs, en quête d’une belle vue sur le port. La villa dei Mulini est notre première visite à Portoferraio. Rien de transcendant en soi d’aller de salle en salle, où sont disposés certains objets ayant appartenu à l’empereur, le plus surprenant restant ce curieux lit de camp sur lequel il se reposait pendant les sièges.
Plus tard, durant le séjour, la découverte de la villa san Martino, à 5 kilomètres de Portoferraio, apporte une toute autre impression : beaucoup plus grande, elle est isolée dans un écrin verdoyant (Napoléon cherchant à fuir la chaleur de la ville), et offre une belle vue sur le port, lorsqu’on se trouve sur la terrasse.
S’il n’y a pas tant de visites que ça à faire sur place, l’île d’Elbe est très intéressante pour flâner dans les villages. L’une des belles surprises est par ailleurs sa nature exubérante – quand on fait les Cyclades, en Grèce, à la même époque, on se rend vraiment compte de la différence.
D’ailleurs, afin d’explorer plus facilement les différents coins de l’île, on troque le bus, au passage trop restreint, contre une voiture de location. Les principaux villages abordés (Marciana, Poggio), surtout à l’ouest, se révèlent très agréables. Situés en hauteur, la route en lacets pour y accéder est déjà en soi très belle, offrant de belles vues sur la mer. C’est de Poggio qu’on peut avoir une vue impressionnante sur le plus haut point de l’île, le mont Capanne (1019 m). Un chemin de randonnée permet d’accéder à ce mont, ce que j’envisageais de faire. Mais la chaleur et la distance, manifestement très longue, m’en ont dissuadé. Pas plus que nous n’avons utilisé ces cabines permettant d’accéder au mont – elles rappellent celles qui existent à Capri.
Toute différente est Porto Azzuro, à l’est : plate, aux rues dessinées de manière plus régulières, moins labyrinthiques que Portoferraio. Une belle et grande place marque le lieu de rassemblement de la population. Endroit agréable pour achever une journée et dîner dans un restaurant en bord de mer.
En matière de randonnées, je me contente d’en faire une petite, non loin du golfe de Viticcio, au cap d’Enfola. Circulaire, peu éprouvante, elle permet toutefois d’avoir des points de vue remarquables sur les golfes environnants, à mesure qu’on s’élève (100 m). Un chemin plus accidenté permet d’accéder à la Nava, une pointe plus sauvage d’où se détachent des rochers aux formes surprenantes, parfois troués comme des camemberts. Et quoi de mieux par la suite, après un bref effort, que de se retrouver sur la plage de l’hôtel, dont on apprécie la tranquillité… En six jours, nous avons ainsi l’occasion d’aborder l’île d’Elbe sous divers aspects, malgré une journée très pluvieuse.
Face à l’incomparable richesse artistique de la Toscane, on peut-être amené à se demander : pourquoi aller dans la région de Grosseto, un nom qui ne projette en rien des sonorités poétiques ? Dans le Sud de la Toscane, en traversant quelques paysages relativement arides, en plein été, d’où émergent, dans les terres, les éternels oliviers… Précisément, ce périple, improbable au regard du foisonnement de l’Italie, recèle aussi ses intérêts. Si Grosseto est résolument plantée sur la terre, ceinte de remparts, elle n’est pourtant pas très loin de la mer (à peine 15 kilomètres). Il suffit, dans cette ville qui parlera à peu de mondes, d’arpenter ses ruelles piétonnières et de se retrouver sur la Piazza Dante, pour comprendre que, décidément, il y a matière à rester là devant la majestueuse cathédrale di San Lorenzo, dont le marbre délicatement ouvragé n’a rien à envier à d’autres œuvres monumentales toscanes. A côté, sur la droite, le Palazzo de la Provincia incite à lever les yeux pour y admirer ses motifs.
Partir de Grosseto pour explorer le Sud de la Toscane, c’est aussi l’occasion d’envisager le tourisme sous une autre forme : l’approche de la nature. Grosseto est en effet à deux pas de la Maremme, un parc régional qui tutoie la mer tyrrhénienne sur 25 kilomètres, où il est possible d’observer une faune variée.
Plus au sud encore, où nous poserons nos valises, ce sera l’occasion d’explorer la presqu’île de Monte Argentario ; au sud, Porto Ercole, un village modeste, prisée, parait-il des stars (qui ne manquent pas d’aller au très chic Il Pellicano), alors qu’au nord, à Porto Santo Stefano, plus construit, le front de mers, regorgeant de restaurants, permet de passer d’agréables moments.
Il ne faut pourtant pas manquer de rayonner dans les terres pour se rendre à Capalbio, village perché par où l’on passe pour se rendre dans un endroit fameux : le jardin des tarots de Niki de Saint-Phalle, vraie raison de notre présence ici. Sur une belle place ouvrant sur un paysage éminemment toscan, une sculpture trône, comme un avant- goût de l’exploration à venir.
Même en voiture, le jardin de Niki de Saint-Phalle ne s’offre pas aussi facilement. Il ne faut pas manquer les panneaux et, après un cheminement tout sauf rectiligne, on arrive dans cet endroit en pleine campagne, marqué par une présence régulière des touristes, en ce début du mois de juillet. Autant le dire, c’est un émerveillement, et on peut passer l’après-midi à aller d’une sculpture à l’autre, la plupart géantes. Si les enfants sont enchantés, les adultes trouveront vertigineux les jeux de miroir de certaines œuvres, et la folle inventivité des innombrables figures qui parsèment bon nombre d’entre elles.
Le sud de la région regorge également de villages perchés, qui lui donne des allures de villages fortifiés du sud-ouest de la France. Une merveille que l’on a visitée : Pitigliano, dont la découverte subite, au détour de multiples virages, laisse sans voix ; c’est là que la vision de maisons accrochées à une falaise prend tout son sens.
Autre découverte, à quelques encablures : Sovana, au tracé rectiligne, plate en comparaison des autres villages de la région. Une rue principale, pavée, datant parait-il de l’époque romaine, mène en quelques minutes à la cathédrale, payante, qui était en cours de restauration, mais dont la vue de la porte remarquablement sculptée laisse béat. Quant à l’intérieur, son architecture témoigne d’une grande sophistication pour l’époque de sa construction (12ème siècle). On remarque notamment ces étonnantes sculptures de personnages dans les moindres recoins.
A peine trois jours passés dans cette région nous a permis d’approcher un certain nombre de richesses. Façon de se convaincre que, oui, dans cette région du sud de la Toscane, il y a vraiment beaucoup à explorer.