Du 10/11/2018 au 19/11/2018
Jour 0
Après 7h d’un trajet en bus bien sportif depuis Katmandou (ou comment l’état de la route vous permet de redéguster tranquillement votre repas de la veille), je débarque à Pokhara, au pied du grandiose et majestueux et mystérieux et ouah-là-là massif des Annapurnas*.
Le Népal, pour le marcheur passionné que je suis, c’est évidemment le nec plus ultra. Si les possibilités sont infinies (Everest, Mustang … Que de douceur à mes oreilles …), mon choix s’est assez vite porté sur le Trek dit de l’Annapurna Base Camp (ABC).
D’une durée de 10 jours, il est compatible avec mon futur emploi du temps Océanien et son altitude maximale de 4130m doit permettre d’éviter tout problème d’acclimatation. Surtout, il est réputé comme l’un des plus scéniques et au-delà du challenge physique, j’ai bien envie d’en prendre plein les mirettes moi.
Au départ de la capitale, j’ai fait la connaissance de Bishnu, mon guide Népalais, et c’est lui qui m’oriente vers mon hôtel, au centre de Pokhara, avant de me dispenser (dans un anglais à couper au couteau) les dernières consignes. Point de temps pour le tourisme aujourd’hui : dès demain, les choses sérieuses commencent et j’ai vraiment en hâte d’en découdre.
- Le nom est associé à celui de la déesse Indoue Parvati, la « femme de la montagne »
Jour 1
Levé à 5h du matin après une excellente nuit, je fais, défais et refais mon sac afin d’optimiser la charge que mes épaules devront supporter pendant le trek. J’ai en effet décidé de me passer des services d’un porteur (je garde un souvenir assez perturbant à ce niveau là de mon ascension du Kilimandjaro) pour véhiculer un sac dont le poids finit par atteindre 15kg eau comprise.
Charlie ne fait pas partie du voyage, et il boude …
Une nouvelle heure de taxi digestif, et nous voici arrivés à Nayapul, point de départ officiel du trek, où je retrouve la majorité des personnes croisées dans le bus la veille. Formalités d’enregistrement réglées, nous (aka mon guide et moi) nous mettons en route sous un ciel relativement couvert. Avec mon sac de couchage bancalement arrimé sur le dos, j’ai vraiment des allures de sherpa !
Au village de Birethanti, le chemin s’écarte enfin de la poussiéreuse piste automobile et les 1ères terrasses de culture apparaissent. Nous traversons des forêts de bambous, quelques ponts suspendus, pour atteindre, après 2 heures de marche (agrémentées de nombreuses pauses auxquelles je n’ai pas l’habitude ; mais ce n’est pas moi le maître du temps), le village de Hille.
Le chemin, relativement plat jusque là, se met subitement à grimper après la traversée de la rivière. Et quoi de mieux pour monter en altitude que les escaliers de pierre tant éprouvés en Corée ! Malgré les « no rush mister, no rush » distillés par Bishnu, j’éprouve vraiment le besoin de « suer » un peu et j’accélère.
Au milieu de mon ascension, je suis subitement refroidi par la vision d’un trekkeur « évacué » sur le dos d’une mule. Touché à la cheville, il ne peut plus poser le pied par terre et son visage porte les stigmates d’une profonde déception. Un bon rappel à l’ordre pour moi qui a tendance à transformer chaque rando en compétition. On en a pour 10 jours, rien ne sert de courir.
2 heures et 3300 marches plus tard, après avoir notamment traversé le village de Tikehdunga, nous arrivons à Ulleri, à une altitude de 2010m. Mon guide se met en recherche de notre logement du soir et nous finissons par établir nos quartiers dans une charmante teahouse où j’ai une nouvelle fois plaisir à retrouver bon nombre de têtes connues.
Dahl bat avalé, dents brossées et vêtements thermiques enfilés, je m’enfonce dans la douceur plumée de mon sac de couchage (il est au moins 19h50). Même si les paysages entre-aperçus n’ont rien eu de « fou-fou », je suis littéralement ravi par cette 1<sup>ère</sup>journée de chauffe et surtout rassuré par ma capacité à trekker chargé (je parle de ce que je porte sur le dos, pas de l’éventuelle ingestion de produits stupéfiants) .
Bref, vivement demain !
De Nayapul (1070m) à Ulleri (2010m) / Temps de marche : 4h. Dénivelé : +940m
Jour 2
Je ne vais pas vous mentir.
Entre l’option : me réveiller à Paris, avaler en vitesse un café (instantané) au lait (de soja, vanille, bio), et m’engouffrer dans le métro avec la perspective de m’asseoir 8 heures derrière un ordinateur. Et l’option : me lever au milieu du Népal, déguster tranquillement un consistant petit-déjeuner, tout en contemplant avec émerveillement les 7219 m de l’Annapurna South …
Mon choix est vite fait :
Vers 7.30, nous reprenons doucement notre ascension à travers une épaisse forêt aux fausses allures tropicales. Les buffles domestiqués, les convois de mules transportant denrées et autres produits, et les Népalais emmenant leurs enfants à l’école, sont là pour rappeler à certains touristes (pas forcément occidentaux d’ailleurs) que les chemins empruntés ne sont pas que des voies dévolues au trekking.
Quelques cascades, ponts, et marches plus tard, nous traversons les villages de Nanghetanti, Ghorepani (littéralement « Cheval Eau », c’est une ancienne station d’approvisionnement en eau potable pour les convois muletiers) puis atteignons notre destination du jour, Upper Ghorepani (2750m), où pullulent lodges et autres guesthouses.
Il n’est que 11.30 et malgré ma (nouvelle) philosophie de prudence pédestre, je suis un peu sur ma faim. Délesté de mon sac et rempli d’un déjeuner rapidement avalé, je pousse donc mon effort du jour jusqu’à Poon Hill (3210m), à une trentaine de minutes de marche.
Je dois y retourner le lendemain matin pour le lever du soleil (c’est en fait le point d’orgue d’un trek plus court portant le nom de « Balcon des Annapurnas ») mais la météo déclinante commence à me faire craindre des conditions de visibilité très moyennes. L’Annapurna South ne laisse déjà plus apparaître que sa pointe.
En soirée, je fais la connaissance d’un groupe de français à la jovialité plutôt sonore que je quitte bientôt (après un verre pour moi, beaucoup plus pour eux) , en prévision de l’ascension matinale du lendemain. Levé avec les poules, couché avec les poules !
De Ulleri (2010m) à Upper Ghorepani (2870m). Temps de marche : 4h. Dénivelé : +860m (+1200m, en comptabilisant l’ascension vers PoonHill)
Jour 3
Debout à 4h30, j’enfile mécaniquement mes 26 couches de vêtement pour parer au froid. Je m’équipe de ma frontale avant d’entamer, à la suite de mon guide, l’ascension vers PoonHill. Dans le ciel nocturne, aucune étoile n’est visible, ce qui laisse présager une épaisse couche nuageuse.
Au sommet à 5h, nous patientons dans un froid glacial (ça me rappelle mon ascension du Barù au Panama !) alors que les autres randonneurs commencent à affluer. Vers 6h, une pâle lumière diurne commence à faire son apparition, révélant un spectacle simplement stupéfiant.
Bref, on ne voit rien !
Alors oui oui, mère Nature, tout ça tout ça, il faut accepter, on ne maîtrise pas, respire, mange de l’encens et fais du yoga, mais non en fait. A ce moment précis, je suis comme un gosse à qui on a promis le dernier Transformers pour Noël et qui se retrouve au pied du sapin avec une orange enveloppée dans du papier de soie : j’ai grave les boules*.
Nous redescendons donc assez vite et alors que le vent se lève et que le ciel se dégage un peu, mon humeur s’éclaircit : au loin, l’Annapurna et ses 8091m montre enfin le bout de son nez et je retarde au maximum notre en mise en route (malgré les injonctions répétées de Bishnu) pour profiter de la vue.
La montée vers Thapla (3165m) se fait dans le brouillard le plus total, et alors que nous entamons une longue partie descendante à travers la forêt, franchissons les villages de Bhantanti, de Tadapani (où je prends un déjeuner avec vue), puis atteignons notre destination du jour, Chuile, il se met à pleuvoir et j’ai un coupable moment de distraction. Résultat : une cheville à l’équerre. Quand ça veut pas, ça veut pas !
Je retrouve un peu le sourire en soirée en sacrifiant à une partie de cartes avec Victoria, une Brésilienne rencontrée dans le bus pour Pokhara, et en papotant avec une triplette de randonneurs Australiens aussi frustrés que moi par la météo.
Appelons ça pudiquement une journée de transition
De Upper Ghorepani (2870m) à Chuile (2245m). Temps de marche : 5h. Dénivelé : -625m (-285m en comptabilisant l’ascension vers PoonHill)
- Je vous invite à ce titre à regarder quelques images sur internet du site par temps clair afin de comprendre l’ampleur de ma frustration !
Jour 4
Un instinct assez bizarre me pousse à ouvrir les mirettes bien avant le lever du jour en ce 4<sup>ème</sup> jour de mon trek Népalais. Il fait encore nuit noire et légèrement frisquet lorsque je pointe le bout de ma barbe frisottante au dehors et effectue quelques allers retour sur terrain plat afin de « tester » ma cheville endolorie. 1<sup>er</sup> motif de satisfaction de la journée, tout va bien !
La seconde, si ce n’est principale, raison de se réjouir, ne tarde pas à me sauter aux yeux : le ciel est clair et le soleil, qui se lève lentement sur les collines, agit comme un projecteur cinématographique. Tel un spectateur attendant fiévreusement le lever de rideau, je fixe mon regard sur la scène montagneuse quand apparaît au loin, tout drapé de blanc, le Machapuchare.
Avec son double sommet en forme de queue de poisson (c’est d’ailleurs la traduction de son nom), c’est certainement le plus identifiable des sommets du massif des Annapurnas. Malgré son élévation moindre (bon, on parle quand même de 6993m) en comparaison de celle de ses acolytes, sa contemplation me procure une bonne grosse dose d’émotions.
Majestueux*.
Alors que nous nous mettons en route après un petit-déjeuner rapide, le ciel se couvre à nouveau légèrement (la dynamique météorologique semble très déterministe : clair le matin, puis de plus en plus couvert au fur et à mesure de la journée) mais je n’y prête guère attention, tout encore à mon émerveillement matinal.
Le terrain est essentiellement descendant (définitivement, je préfère la montée !) jusqu’au village de Gurjung : c’est l’occasion de traverser quelques rivières, de longer les innombrables terrasses de culture, et d’apprécier à sa juste valeur la délicieuse routine du mouvement lent.
Peu après Chhomrong, 10 minutes d’escaliers nous amènent au point le plus bas de la journée, la rivière Chhomrong Khola (1860m) que nous franchissons sur un nouveau pont suspendu, avant d’entamer une remontée ardue sur le flanc de colline opposé. 2h de gambade supplémentaires (il dit qu’il commence à fatiguer), et nous arrivons enfin à Sinuwa, notre terminus du jour.
Une douche bien froide, quelques papotages avec mes compagnons trekkeurs et me voilà bientôt barricadé dans mon sac de couchage alors qu’à l’extérieur, de gros nuages noirs s’amoncellent. Sombrant lentement dans un sommeil que j’espère récupérateur, je n’accorde pas la moindre importance à la pluie qui commence à tomber.
Une météo qui sera pourtant à l’origine de mes 2 jours de treks les plus intenses.
De Chuile (2245m) à Sinuwa (2340m). Temps de marche : 5h. Dénivelé : +95m (Un dénivelé absolu à décomposer en -385m / +480m)
- Et d’autant plus mystérieux lorsque l’on sait qu’il est, de par son caractère sacré, interdit aux alpinistes
Jour 5
Alors que le soleil darde ses 1ers rayons sur le village de Sinuwa, et que j’étire mes gambettes dans la fraîcheur matinale, mes yeux encore lourds d’une nuit à demi reposante finissent par s’ouvrir en grand devant le spectacle qui s’offre à moi.
Avec le temps nuageux de la veille, j’avais totalement occulté ce que la vision du Hiunchuli (6441m) et du Machapuchare me rappelle instantanément : notre plongée imminente au cœur du massif des Annapurnas.
Malgré la perspective alléchante de « toucher au but », certains de mes compagnons d’aventure, qui malades, qui déjà en proie au mal d’altitude, décident de faire demi-tour et nous nous quittons sur la promesse d’une cervoise bien tiède à Pokhara quelques jours plus tard.
La route à travers les villages de Bamboo (2310m) et de Doban (2500m) est l’occasion de clichés Facebookiens et de la rencontre inattendue avec une famille de singes Langurs. Tout fasciné que je suis par les sommets environnants, j’en avais presque oublié la présence d’une vie animale !
Quelques traversées de rivières en mode équilibriste, et nous replongeons pour un instant dans une épaisse forêt de bambous avant de déboucher sur le bien nommé village Himalaya (2840m). Petite pause bien méritée et dégustation de mon 42<sup>ème</sup> Milk Coffee de la journée.
Je suis tout occupé à ré-harnacher mon sac à dos sur mes épaules quand un détail me frappe : le village est anormalement bondé. Quelques mots avec un voyageur Norvégien déjà croisé la veille me fournissent alors le motif de cette agitation ambiante : dans la nuit, une violente tempête de neige s’est abattue sur le camp de base de l’Annapurna !
Plusieurs marcheurs se sont retrouvés bloqués, une ressortissante chinoise a du se faire hélitroyer, et dans la matinée, des avalanches se sont déclenchées sur le tronçon Deurali – Machapuchare Base Camp, à 1h de de notre position. Pour cette raison, de nombreux touristes choisissent de faire demi-tour, ou de patienter une journée.
Bishnu, mon guide, décide alors de pousser jusque Deurali pour y passer la nuit. Quelques hectomètres après notre départ, le sol est déjà passablement enneigé. Les passages verglacés, notamment sur les marches, sont l’occasion de nombreuses glissades et ralentissent fortement notre ascension.
Malgré tout, le panarama splendide me fait oublier une petite appréhension naissante.
1h30 après notre départ d’Himalaya, nous arrivons à Deurali. Seul hic : les lodges sont prises d’assaut par les trekkeurs et leurs guides qui jugent la traversée trop risquée. Aucune place, ne serait-ce que pour dormir dans la cuisine !
Alors que nous pénétrons dans la salle commune d’une guesthouse pour prendre notre lunch, la tension est palpable. Une quinzaine de trekkeurs est attablée, et la discussion tourne uniquement sur la possibilité de rallier en sécurité le camp de base du Machapuchare.
Les risques d’avalanche et de glissement de terrain sont élevés, accentués par le soleil qui a frappé les flancs montagneux toute la matinée. En 2002, trois allemands y sont décédés et les évacuations sont régulières. Un rapide coup d’œil à mon guide de voyage m’apprend que l’ABC est le seul des grands treks touristiques à comporter ce genre de risque.
Attablé devant mon dahl-baht, j’interviens dans le débat qui a lieu et très vite on me pose la fatidique question : «Tu y vas ?». Alors que je hausse les épaules, comme pour signifier muettement que je n’en ai pas la moindre idée, Bishnu vient se poster derrière moi : « Ne traîne pas trop, on va devoir monter».
Quelques minutes plus tard, j’ai à peine touché à mon déjeuner mais je me lève donc, sous les regards incrédules de mes nouveaux compagnons. Je suis quant à moi partagé entre crainte, confiance et … excitation.
Nous entamons notre traversée sur une épaisse couche de neige. La gorge, étroite, entourée de pics majestueux, est d’une fascinante beauté. Mon guide garde ses yeux fixés sur le flanc ouest : derrière, invisible, les pentes fondantes du Hiunchuli sont celles d’où peuvent venir le danger.
Bientôt, le sentier n’est plus visible et je m’efforce de caler mes pas dans ceux de mon guide qui a considérablement augmenté la cadence. Pour cause, nous avons pénétré dans la zone à risque et le résultat des différentes avalanches matinales est impressionnant.
Après quelques minutes de marche, un bruit assourdissant retentit : je lève instinctivement la tête pour voir un léger filet de neige se mettre à glisser du versant. Bishnu se retourne mais son « it’s ok, it’s ok » qu’il accompagne d’une nouvelle accélération me paraît déjà sur le coup un brin schizophrène.
Une heure plus tard, après une progression rendue difficile par la neige molle, alors que j’ai les pieds définitivement trempés, mon guide stoppe à nouveau sa progression, se poste devant moi et fait mime de me taper dans la main : « We made it ! ». Devant son visible soulagement, c’est donc à postériori que je prends le plus peur.
Alors que nous marchons depuis bientôt 7 heures, nous atteignons enfin le camp de base du Machapuchare. Epuisé, mais remis de mes émotions, je prends le temps de contempler. La gorge et les versants adjacents, recouverts de neige, sont fascinants. Au loin, l’Annapurna I fait même son apparition.
Nous établissons nos quartiers dans un lodge quasiment désert. La vue depuis la salle commune me ferait presqu’oublier d’avaler mon repas. Je suis aux anges, après une journée intense, mais l’esprit déjà tourné vers l’ascension nocturne du lendemain, je ne tarde pas à me glisser dans mon sac de couchage.
De Sinuwa (2340m) à Machapuchare Base Camp (3700m). Temps de marche : 7h. Dénivelé : +1360m
Jour 6
En ce 6<sup>ème</sup> jour de mon aventure Himalayenne, le lever est plus que difficile. L’effort et la tension de la veille , une montée (trop) rapide en altitude, les -10°C régnant dans ma « chambre », ont rendu ma nuit aussi blanche que la neige recouvrant le massif montagneux.
Au dehors, le ciel nocturne est constellé d’étoiles et dans les lodges, les 1ères lampes frontales s’allument. Il est à peine 4H30 et nous nous mettons en route pour le court trajet devant nous mener au Camp de Base de l’Annapurna.
La progression est lente, mais sans réelle difficulté. Fidèle à ma religion, je n’ai pas regardé une seule image sur internet avant mon départ et n’ai donc aucune idée de ce que je vais « découvrir ». Au loin, le sommet immaculé de l’Annapurna I, que la lune se plaît à éclairer, nous sert de phare.
Paresseusement, le jour commence à se lever, révélant peu à peu un décor dont mon cœur marcheur, dans ses attentes les plus folles, n’aurait su espérer. La fatigue décuple mon émotion et j’ai du mal à retenir mes yeux embués devant le spectacle qui s’offre à moi.
Bientôt, nous atteignons notre but et l’ensemble des acteurs entrent en scène : Tharpu Chuli (5663m), Hiunchuli (6441m), Singu Chuli (6501m), et bien sûr le maître incontesté des lieux, Annapurna I (8091m). En contrebas du point d’observation, le bassin glacier ou Sanctuaire de l’Annapurna, est absolument gigantesque.
Après une heure d’émerveillement, il est déjà temps d’amorcer notre descente. Face à nous, le Machapuchare affiche fièrement son double sommet et à ses pieds, l’ensemble de bâtiments quitté au réveil paraît ridiculement fragile.
Le sol gelé me vaut une bonne dizaine de chutes avant de regagner le camp de base. Nous y prenons un rapide déjeuner avant de ficeler nos sacs et de repartir vers la gorge. Le risque d’avalanche est beaucoup moins prégnant mais il ne s’agit pas de traîner en route.
La topographie nous est cette fois favorable et il ne nous faut pas plus d’une heure pour rejoindre Deurali. La froideur glacée de la veille a laissé place à un grand soleil et j’ai comme l’impression de découvrir les lieux pour la 1<sup>ère</sup> fois.
De Deurali, nous gagnons rapidement Himalya, pour un paisible déjeuner, avant de continuer notre descente. Sur le chemin, je n’ai de cesse de regarder en arrière, comme pour mieux fixer dans ma mémoire l’image des hauteurs que je viens de quitter.
Alors que nous atteignons le village de Bamboo, où nous établirons nos quartiers pour la nuit, je lève les yeux une dernière fois. La brume a désormais totalement rempli la vallée et il m’est presque impossible de jurer en cet instant que ces 2 derniers jours, incroyables, n’étaient pas un simple rêve.
De Machapuchare Base Camp (3700m) à Annapurna Base Camp (4130m). Temps de marche : 1h30. Dénivelé : +430m
De Annapurna Base Camp (4130m) à Bamboo (2310m). Temps de marche : 4h00. Dénivelé : -1820m
Jour 7
Le réveil est nettement plus difficile à l’orée de cette nouvelle matinée : mon petit corps, tout en tension(s) depuis 48h, semble bien décidé à poser une RTT pédestre, ce que Bishnu, dont les incitations à prendre la route se font de plus en plus pressantes, ne semble pas du tout enclin à lui concéder.
Je fais donc mes adieux à mon colocataire d’un soir, un truculent backpacker anglais de 76 ans dont l’une des confidences décalées – sur un pot de chambre qu’il n’aurait pas hésité à utiliser, si ce n’était la présence d’une demoiselle dans notre dortoir, pour éviter d’avoir à braver le froid extérieur et soulager sa vessie – m’aura valu mon plus gros fou rire de ce trek.
J’effectue cette 1<sup>ère</sup> heure de marche jusqu’au village de Sinuwa en mode attentif. Comme prévu, les muscles et les tendons tiraillent fort et ma seule véritable préoccupation est d’éviter toute cascade à la Pierre Richard. Traverser sain et sauf des zones d’avalanche et se blesser en ratant une marche, ça serait quand même ballot.
Notre descente se poursuit sous un soleil radieux : ses rayons donnent aux collines environnantes des allures quasi mystiques et finissent de me réveiller complètement. Les terrasses de cultures verdoyantes s’étalent à perte de vue tandis que derrière nous, le Machapuchare, tel un artiste lancé dans une série de rappels sans fin, ne semble pas vouloir rapetisser.
Après une montée éprouvante, nous atteignons le village de Chomrong où nous stoppons pour une pause déjeuner salvatrice. Je complète le séchage des 4 paires de chaussettes sacrifiées dans la montée enneigée vers le camp de base de l’Annapurna tout en observant avec amusement les convois muletiers se succéder.
Notre dernière heure d’effort prend la forme d’une longue descente vers le village de Jhinu Danda. Délestés de nos sacs, nous effectuons une excursion rapide aux sources d’eau chaude situées en contrebas, avant de remonter prendre nos quartiers pour la nuit. Depuis la terrasse du lodge, j’ai une vue imprenable sur l’immense pont suspendu dont la traversée devrait constituer une excitante mise en bouche pour notre journée du lendemain.
De Bamboo (2310m) à Jhinu Danda (1750m). Temps de marche : 4h00. Dénivelé : -560m
Jour 8
Après une excellente nuit de sommeil (j’avoue, non sans honte, que j’ai eu le droit à une chambre privative. De la joie de profiter d’une guesthouse déserte), nous prenons la direction du « New Bridge » entre-aperçu la veille. Long de 350m, l’impressionnant ouvrage trône avec grâce entre les 2 versants de la vallée et offre un expérience « frisson » quelque peu inattendue.
Adieux faits à mes nouvelles idoles himalayennes, nous entamons la traversée d’une forêt de bambous avant de repasser à découvert et de suivre un bout de piste. Bientôt, la rivière Modi Khola nous guide jusqu’au village de Saulibazar, notre terminus du jour*.* La température est nettement plus douce, l’air plus humide et le décor, quasi tropical !
J’avale mon dernier Dahl-Baht nomade et passe une après-midi contemplative à observer les scènes rurales qui se déroulent sous mes yeux. En soirée, je retrouve un charmant couple québécois, ce qui me donne, une fois n’est pas coutume, l’occasion de converser avec d’autres voyageurs dans la langue de Molière.
De Jhinu Danda (1750m) à Saulibazar (1220m). Temps de marche : 4h00. Dénivelé : -530m
Jour 9
La réapparition des 4×4 sonne comme un rappel de la fin proche de mon aventure et malgré la fatigue accumulée, j’ai un peu de mal à me faire à l’idée. Tel un lecteur passionné qui ne saurait se résoudre à parcourir les dernières pages d’un long roman, une forme de nostalgie préemptive m’envahit à la perspective d’en terminer.
Bishnu, qui a du sentir mon état d’esprit du jour, se contente de marcher silencieusement plusieurs mètres devant moi, s’arrêtant de ci de là pour m’attendre et me guider à travers les villages de Birethanti et de Nayapool, notre point de départ quitté 9 jours plus tôt.
Alors que nous attendons la voiture qui doit nous ramener vers Pokhara, j’observe les groupes de trekkeurs qui s’apprêtent à entamer leur ascension. Aux visages crispés de ceux qui se rassurent comme ils peuvent en resserrant les sangles de leurs sacs, répondent des visages plus détendus, voire rieurs, sans appréhension apparente à l’idée des journées à venir.
J’y retrouve là comme un échantillon des émotions qui m’auront traversé tout au long de ce trek : frustration, peur, joie, émerveillement, fatigue, satisfaction, il est difficile de générer une palette aussi étendue sur une période aussi courte. A la clef, le sentiment d’avoir vécu une expérience privilégiée, et une certitude, qu’un large sourire vient déjà accompagner.
Celle de revenir un jour user d’autres chaussures sur les pentes Himalayennes.
De Saulibazar (1220m) à Nayapool (1070m). Temps de marche : 2h00. Dénivelé : -150m