Hoggar, terre nomade
Drôles de droms
La démarche mi-nonchalante, mi-dédaigneuse, cadencée comme par un métronome fantôme, nos dromadaires avancent d’un élan quasi lascif. Quelle étrangeté que ces drôles de bêtes, si peu harmonieuses, pourtant si parfaitement adaptées à leur espace vital, capables de rester quelques semaines sans boire et encore plus sans manger. De leur museau velu et grimaçant s’échappe parfois, dans un vacarme bizarre, une bulle difforme, rose et visqueuse comme celle d’un malabar. Attention, mâle en rut. Mais les « droms », comme nos chameliers les appellent, sont singulièrement androgynes. D’un côté, de langoureux yeux de biche comme ourlés de faux cils. De l’autre, des plaques calleuses sur les membres et sous le ventre. Leur queue fouette l’air de mécontentement, accompagnée d’un grondement sourd émis par une bouche impudiquement béante.
Venus du Mali ou du Niger voisins, achetés sur le marché à bestiaux quotidien de Tamanrasset – au terme, souvent, d’une négociation ardue – fins et crémeux comme une pub le dirait d’un yaourt, ces dromadaires sont la richesse quasi unique des Touaregs, qui leurs vouent une attention sans borne. De sévères entailles derrière les petites oreilles ou sur l’arrière-train n’en signalent pas moins leur appartenance. Leur curiosité envers la chose humaine, proche de zéro, n’empêche pas un certain culot, parfois, à se faire la caravane buissonnière dès qu’il s’agit de trouver quelque pâturage attrayant pendant la nuit, histoire de faire râler, au petit matin, celui chargé de les rameuter pour le départ. Le soir, la colonne enfin libérée de ses brides de cuir ondule en contre-jour sur la crête de l’oued, telle une longue chenille dans un théâtre d’ombres chinoises.
Texte : Cerise Maréchaud
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