L’Antivoyage

Auteur : Muriel Cerf

Editeur : Actes Sud

295 Pages

Muriel a tout juste vingt ans lorsqu’en 1974 elle quitte Paris à destination de l’Asie. Bombay, le Népal, Calcutta, puis la Thaïlande, Singapour… Nous sommes donc dans les années 1970, à l’époque où les hippies rêvaient de renouer avec une spiritualité universelle. La citation en exergue évoque la contemplation ; le lecteur s’attend à un énième hymne à la sagesse et à la beauté, entre vision extatique et idéalisation naïve. Jusque là, rien de neuf sous le soleil de L’Antivoyage.
Mais, dès les premières lignes de ce roman autobiographique, le ton change: « J’ai vu Devi l’épouse de Çiva laver sa culotte dans les fontaines de Katmandou, Kali la noire s’épouiller avec la minutie d’une mère babouin ». Pas très spirituel, ni extatique tout ça ! Un peu déroutés, nous sommes pris alors dans un tourbillon d’émotions, de portraits expressionnistes, d’associations hasardeuses. Le voyage en Inde n’a rien d’un long fleuve tranquille, ni d’un cliché baba cool. La violence apparaît à Muriel comme le trait dominant de ce pays, où les innombrables malades, prostituées, voyous forment une marée d’êtres humains, menaçante et insalubre comme le vent de moisson.
La jeune aventurière dépitée ne se sent revivre qu’à Katmandou, où les odeurs des fleurs et les haleines semblent éparpillées par un vent glacial. Impression trompeuse… Au Népal, là encore, les effluves sacrés se mêlent à ceux de la nourriture, omniprésente. L’« antivoyage » de Muriel Cerf se poursuit jusqu’à Calcutta, ville asphyxiante, où Muriel est atteinte par une maladie virale. Bangkok ne vaut pas mieux aux yeux de l’auteur : dans cette «cité des Anges » commence « l’Asie coupe-bourses, l’attrape-touristes, la route des Orchidées au néon ». Ici, le dollar règne en maître. Les rencontres se multiplient ensuite au fil des pages, fugaces et intenses comme elles peuvent l’être à vingt ans, âge où l’on se perd pour se retrouver et regretter ensuite de s’être perdu.
S’il est facile de prévoir que ce périple dévoilera à cette petite bourgeoise révoltée la futilité de toute quête lointaine, L’Antivoyage demeure un témoignage sincère et d'une étonnante maturité. Au-delà des stéréotypes, Muriel Cerf parvient à nous toucher par la sûreté de son écriture, son auto-ironie permanente, sa vivacité, son humour décapant. Grâce à sa lucidité amère, qui fait penser quelque peu à Paul Théroux, Muriel Cerf a conscience que les clichés éculés sur la « Route des Zindes » ne parviendront jamais à bout de la réalité, fascinante et indéchiffrable. Surtout quand celle-ci se révèle, finalement, plus proche du purgatoire que du paradis.

Préparez votre voyage avec nos partenaires