Inde : Darjeeling, au pays du thé
Perchée sur les contreforts de l’Himalaya, aux limites du Bengale Occidental dans le nord-est de l’Inde, Darjeeling s’enveloppe de nuées insistantes au-dessus des plantations de thé qui ont fait sa renommée.
Voilà une drôle de ville, funambule, brouillonne, électrique et polluée comme l’Inde sait l’être, peu conforme à l’imaginaire pour tout dire. Et pourtant, comment ne pas tomber sous le charme de ce cloaque, devant les vieux cottages de pierre anglais sauvés des meubles, face à une tasse de thé et à bord du mythique petit train à vapeur qui s’époumone au fil de la pente ?
Darjeeling est un voyage à travers le temps. Une nostalgie qui n’a cure des souvenirs. Un décor fabuleux aux confins des fantasmes avec, au coin de l’œil, quand les nuages capitulent, la pyramide distante du Kangchenjunga (8 586 m), le troisième plus haut sommet de la planète.
Préparez votre voyage avec nos partenaires- Darjeeling, une ville arrimée aux nuages
- Darjeeling, sur les contreforts de l’Himalaya
- Bastion gorkha et influences tibétaines à Darjeeling
- Les vestiges britanniques de Darjeeling
- Darjeeling Himalayan Railway : nuages de suie et tremblements
- Les plantations de thé de Darjeeling
- Tea time et sandwichs au concombre
- Fiche pratique
Darjeeling, une ville arrimée aux nuages
À la gare de New Jalpaiguri (Siliguri), empêtrée dans un trafic diabolique, on cuit à l’étouffée en attendant le départ du shared taxi. Juste avant que n’éclate la mousson, le mercure pousse au crime : 35° C, 40° C et la sueur qui s’écoule dans le dos sans même bouger.
Une voie de chemin de fer étroite longe de très près la route, empiète par moments sur le goudron, traverse la chaussée subitement, pour changer d’avis 100 m plus loin. Un petit train bleu, tiré par une locomotive diesel, y circule vaillamment, charriant ses trois wagons remplis de voyageurs contemplatifs. Il faut l’être pour emprunter le Toy Train : de Siliguri à Darjeeling, le trajet, long de 88,48 km (soyons précis) ne prend pas moins de 7 à 8 heures (!), dans un concert constant de crissements métalliques et de longs sifflements à chaque zigzag…
Plutôt que cette interminable expédition en tortillard (certes classé au Patrimoine mondial), la plupart des voyageurs saute dans un taxi collectif ou un bus. Ils ne sont déjà pas si rapides… Confrontés à une route serpentine et sournoise, il leur faut un bon 4h pour se hisser jusqu’au nid d’aigle de Darjeeling, en vrombissant à travers la forêt tropicale et les plantations de thé. Enfin, la ville se révèle, entre fumées d’échappements et nuages d’un gris sombre roulant sur les hauteurs.
Darjeeling, sur les contreforts de l’Himalaya
Darjeeling s’agrippe aux contreforts de l’Himalaya, entre 1 800 et 2 600 m d’altitude. Pas de tuk-tuk ici : ils ne résisteraient pas à la pente. C’est donc à pied que l’on part en quête d’un hébergement. À pied que l’on s’aventure au fil des rues, si escarpées par endroits que les voitures doivent faire marche arrière pour réussir à prendre le virage… Cent escaliers courent au flanc des collines, s’enfonçant dans un lacis de tristes immeubles et de baraquements instables. À la moindre pluie, des torrents de boue dévalent les marches, charriant leur lot de déchets.
Tout en bas, le Chowk Bazaar empile ses stands dans un labyrinthe de travées odorantes envahies par une marée humaine réagissant au son des klaxons. On y achète son poisson séché, ses piments (par panières entières), ses légumes, ses champignons, son curry intense à 20 roupies les 100 grammes. De là, il faut reprendre plusieurs fois son souffle pour rejoindre Club Side, sorte de centre-ville bourdonnant à l’ombre de l’ancien hôtel de ville britannique (1850) et de sa Clock Tower, qui s’obstine à carillonner les heures dans l’indifférence générale.
La montée se poursuit par The Mall, une large rue piétonne bordée de boutiques, où les touristes indiens déambulent en parka, bonnet enfoncé jusqu’au nez. Là-haut, la place de Chowrasta couronne en quelque sorte les empilements de la ville. Non que l’on soit tout en haut : au-dessus trône encore Observatory Hill — d’où l’on n’observe plus rien, à cause des pins.
Bastion gorkha et influences tibétaines à Darjeeling
Enturbannée d’un arc-en-ciel de drapeaux de prière, Observatory Hill est le siège du Mahakal Mandir, un temple exceptionnel, où officient côte à côte un lama bouddhiste et un prêtre hindou. C’est ainsi que, sous la protection de deux lions dorés, les tintinnabulements des cloches et les vapeurs d’encens chatouillent de concert les oreilles et les narines des dieux et déesses multicolores.
Darjeeling, une ville œcuménique ? Ce n’est pas aussi simple. Traditionnellement située dans la sphère d’influence du royaume du Sikkim (bouddhiste), la région est tombée à la fin du XVIIIe siècle sous la coupe des Gorkhas, des Népalais d’origine indienne (hindouistes), qui y sont aujourd’hui largement majoritaires (ils représentent 80 % de la population).
Ce peuple réputé pour la vaillance de ses soldats, engagés tant dans l’armée britannique (jadis) qu’indienne (aujourd’hui), exige désormais du gouvernement central la création du Gorkhaland, un État gorkha détaché de l’immense Bengale Occidental — quitte à bloquer épisodiquement la ville des mois durant.
Cela n’empêche pas Darjeeling d’accueillir aussi un grand nombre de réfugiés tibétains. On découvre les épreuves qu’ils ont traversées au Tibetan Refugee Self-Help Centre, où ils apprennent différents métiers artisanaux, et au Himalayan Tibet Museum, placé sous le patronage du dalaï-lama — qui a notamment offert un superbe manuscrit aux lettres d’or. Signe d’une foi vibrante, son grand moulin à prière est présenté dans une vitrine ouverte, pour permettre de le faire tourner…
Les vestiges britanniques de Darjeeling
D’un bout à l’autre de la ville, plane l’ombre des grands absents d’aujourd’hui : les Britanniques. Plus aucun descendant de planteur ne hante le Planter’s Club, en pleine reconstruction. Le siège historique des cultivateurs de thé, réinstallé ici en 1892, devrait bientôt intégrer un hôtel de luxe…
À quelques pas, les restaurants Keventer’s et Glenary’s plongent leurs racines dans l’ère du Taj, la grande Inde britannique. Les touristes indiens viennent s’y offrir une tranche d’exotisme, entre la véranda victorienne dominant le désordre de la ville et la cabine téléphonique rouge du rez-de-chaussée, 100 % British. Sur les hauteurs, où les colons aimaient prendre l’air, quelques villas cossues ont aussi survécu, entourées de jardins souvent gagnés par une indiscipline peu anglicane.
La plus britannique des institutions de Darjeeling s’amarre sur le flanc ouest d’Observatory Hill, entre camélias et rhododendrons. Le Windamere Hotel ramène à l’origine même de la ville : c’est pour offrir une parenthèse tempérée aux colons des plaines surchauffées que la station fut créée dès les années 1830, avant que les villégiaturistes ne réalisent l’intérêt du climat pour le thé. Le tea time reste ici sacré, compassé à souhait, servi dans de la porcelaine à fleurs, avec gants blancs et tablier brodé.
Sur le flanc opposé d’Observatory Hill, deux édifices complètent la trilogie du parfait petit colon britannique : St Andrew’s Church (1843) et le célèbre Gymkhana Club (1909), qui a connu de meilleures heures, même si l’on y joue toujours au badminton… Mentionnons aussi, derrière le zoo, le musée de l’Himalayan Mountaineering Institute, où l’on raconte les exploits insensés de tous ces alpinistes venus conquérir l’Everest au nom de Sa Très Glorieuse Majesté.
Darjeeling Himalayan Railway : nuages de suie et tremblements
Il se fait entendre avant de se montrer. Sifflant et ahanant au fil de la pente, le Toy Train (Darjeeling Himalayan Railway) pousse les machines full steam. Deux épaisses volutes de vapeur blanche et noirâtre s’élèvent et se mêlent au-dessus des toits.
Si, depuis les éboulements de 2011-2012, le train à vapeur n’effectue plus la liaison complète jusqu’à New Jalpaiguri, il circule encore entre Darjeeling et la jolie petite gare en bois de Ghoom, 8 km en aval. Ce trajet, rebaptisé Joy ride, s’effectue en 2h aller/retour, avec visite du vieux Railway Museum de Ghoom.
C’est moins authentique, mais cela permet de financer l’entretien de la ligne et du matériel roulant — que l’on peut inspecter dans le hangar situé juste en face de la gare de Darjeeling (tout aussi rétro et pas moins mignonne). En tout, 7 locos à vapeur (dont les vénérables classe-B) et plusieurs wagons d’époque circulent encore. L’essentiel du trajet se fait à flanc de maisons, tout contre la route, que l’on traverse à plusieurs reprises !
Principal des trois petits trains à vapeur historiques classés par l’Unesco en Inde, le Darjeeling Himalayan Railway a vu le jour en 1881, au prix de quelques prouesses technologiques : 5 boucles complètes et 6 marches arrières en zigzag permettaient à l’origine au train de se hisser sur les sections les plus raides ! Ces secteurs délicats ont depuis été modernisés.
Les plantations de thé de Darjeeling
C’est un autre instrument du passé qui offre la meilleure introduction aux plantations de thé de Darjeeling : le Ropeway, une télécabine conçue il y a un demi-siècle pour faciliter le transport des récoltes jusqu’en ville. Descendant à l’origine sur 8 km jusqu’à la rivière Ranman, elle se contente aujourd’hui de survoler les champs jusqu’à Tukvar, en offrant, en période sèche, un panorama imprenable sur le vert tendre des buissons et l’Himalaya en toile de fond.
Juste en contrebas de Darjeeling, des épingles à cheveux à peine assez larges pour laisser passer une voiture dégringolent dangereusement jusqu’à Happy Valley, baignant jour après jour dans une soupe de brume et de nuages. On y assiste au ballet bien rodé des cueilleuses déversant l’une après l’autre leurs lourds paniers sur la balance, avant d’aller respirer l’odeur intense de végétation qui imprègne l’usine (en activité de mars à novembre). Ce tea estate, fondé en 1854, est le deuxième plus ancien de la région : ses théiers, couvrant 173 ha, ont tous entre 80 et 150 ans !
Au-delà, s’éparpillent 85 autres plantations, dont beaucoup ne sont accessibles qu’en 4x4. Plusieurs sont devenues des hôtels fabuleux. La Ging Tea House (1864) dans la Lebong Valley, très cottage anglais, au kiosque surplombant les champs à perte de vue. Le Tumsong Tea Retreat, plantation en bonne et due forme avec salon et jardins british.
Et le plus beau : le Glenburn Tea Estate, fondé en 1860, un authentique tea bungalow (XXL) cerné par 300 ha de forêt, aux airs de petit palais, déclinant lits à baldaquin, baignoires à pattes et véranda aux fauteuils canés blancs.
Tea time et sandwichs au concombre
Que l’on sacrifie au rituel du high tea au Windamere (dans un salon sans vue si l’on n’y réside pas), au délicieux Hotel The Elgin, ou — sans argenterie — au plus classique Sunset Lounge (à Chowrasta), la même farandole de sandwichs au concombre et de petits gâteaux accompagne le breuvage ambré.
Au Singtom Tea Estate, atteint par un lacis de pistes à peine carrossables, pas de high tea au menu, mais une dégustation en bonne et due forme. Posé au beau milieu de nulle part, ce charmant cottage en bois vert bouteille, précédé par un impeccable carré de gazon, a été bâti en 1862 par un prêtre allemand, fondateur de l’une des toutes premières plantations de thé de Darjeeling
Sur la table, s’alignent 16 tasses — 8 de chaque côté de la longue table — et autant de tisanières. Huit thés différents y infusent, trois minutes précisément, avant d’être servis. Le but du jeu ? Déguster chacun. Y revenir. Choisir son préféré. Puis recommencer, en laissant cette fois infuser cinq minutes. Le délicat thé de printemps est déjà moins floral. Le thé d’automne, brun et âpre. Le thé vert, plus raboteux. Seul le thé blanc, si léger, semble inchangé. Quant au massala, il n’est là que pour souligner la folie qu’il peut y avoir à épicer son thé… Rien de tout cela à Darjeeling.
Ici, les règles sont claires : 3 à 5 mn d’infusion selon le type de thé, pas de sucre, pas de lait, pas de citron. À quoi bon, sinon, s’échiner à développer les arômes du meilleur thé au monde.
Fiche pratique
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Climat
Mousson oblige, on ne se rend pas à Darjeeling entre mai-juin et septembre. Les routes sont alors difficilement praticables, les glissements de terrain fréquents et la toile de fond des sommets himalayens complètement invisible… Mieux vaut privilégier la période s’étendant entre fin septembre et mi-novembre, ou entre avril et mi-mai. En hiver, il fait très froid.
Arriver-Quitter
L’aéroport le plus proche de Darjeeling est situé à Bagdogra, aux portes de Siliguri. De nombreux vols quotidiens le relient (notamment) à Delhi et Calcutta. De là, on peut même rejoindre Bangkok deux fois par semaine et Gangtok (au Sikkim) en hélicoptère !
Où dormir ?
Le choix ne manque pas à Darjeeling, toutes catégories confondues, mais les prix sont assez élevés pour l’Inde. Le chauffage n’est pas garanti, ou en supplément (et pas très efficace pour autant…). Dans les adresses très bon marché, l’eau chaude est encore apportée au seau. Mieux vaut, à notre sens, privilégier les adresses situées sur les hauteurs de la ville, plus difficiles à atteindre dans un premier temps, mais plus calmes car plus éloignées de la circulation infernale.
- Magnolia Residency : ce petit hôtel arrimé sur les hauteurs, tout près de la place Chowrasta, est tenu par une sympathique famille tibétaine. Ses chambres sont propres et décorées (mais certaines n’ont l’eau chaude qu’au seau !). Compter 35-50 € la double.
- Hotel Villa Everest : un peu en dehors du centre, ce bel hôtel occupe une villa de 1904 qui a conservé ses parquets et son grand escalier en bois Double 75-100 € env.
-The Elgin Darjeeling : Elgin est une petite chaîne dont les hôtels occupent toujours de beaux édifices historiques : ici, l’ex-demeure du raja de Cooch Behar. On apprécie le décor des chambres de l’aile historique (avec cheminée), le beau salon colonial et la pergola où tout le monde peut venir prendre le thé sans se ruiner. Doubles env 200-215 €.
Où acheter du thé ?
Impossible de repartir de Darjeeling sans avoir fait provision de thé. Notre boutique favorite se trouve sur Ladenla Road : Nathmulls, fondée en 1931, se fournit directement auprès d’une vingtaine de producteurs de la région. Thé noir (first flush, second flush, autumn flush), thé vert, thé blanc, tout y est, vendus en paquets de 50 à 250 grammes. Les vendeurs vous conseilleront en fonction de vos goûts… et de votre budget. Les tarifs varient considérablement : entre 400 (5 €) et 50 000 roupies (630 €) le kilo ! Autre bonne adresse : Golden Tips, sur Chowrasta et The Mall.
Liens utiles
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Un site très complet dédié au tourisme à Darjeeling et aux environs
Texte : Claude Hervé-Bazin
Mise en ligne :