Le Regard de l’Inde
Auteur : V. S. Naipaul
Editeur : Grasset
110 Pages
Singulier Vidiadhar Surajprasad (V. S.) Naipaul, et pourtant si représentatif de notre époque ! Écrivain britannique né à Trinidad, descendant d’immigrants indiens qui avaient fui la misère au XIXe siècle, Naipaul nourrit son œuvre de son appartenance à trois cultures différentes : les Caraïbes, l’Inde et l’Angleterre. Le cosmopolitisme, le déracinement et la quête délicate de l’identité, thèmes qui irriguent la plupart de ses livres, sont autant de questions qui se posent au monde contemporain, à l’heure de la mondialisation des échanges.
Dans ce court recueil, V. S. Naipaul commence par évoquer sa jeunesse sur l’île de la Trinité, vécue dans le souvenir et les traditions d’une Inde aussi lointaine et méconnue que mythique. Un pays qui est plus une idée que le fruit d’une mémoire collective. « La culture indienne, c’était le cinéma indien et ce qui avait survécu de la religion (…) On ne savait rien du mouvement de l’indépendance. Les visiteurs venus de l’Inde étaient adorés. » Puis vient l’évocation de la figure de Gandhi, de sa démarche politique et du choc de son exil en Afrique du Sud, où il découvre l’abomination des lois raciales. Le Mahatma Gandhi, une figure mythique indienne, mais aussi – et surtout – un homme engagé qui a bouleversé l’histoire de son pays.
Du souvenir mythique au présent qui fait l’histoire, il y a toutefois un fossé. Un fossé difficilement franchissable pour l’exilé vivant dans le souvenir d’un Eden chimérique, mais surtout affectif. « Peu à peu, l’Inde du mythe s’effrita, et devint un pays d’indigence dont nous avions eu la chance de partir. » Ni d’ici, ni de là-bas, donc. Toujours entre deux terres.
« Je n'ai pas à proprement parler de passé qui me soit accessible, de passé que je puisse pénétrer et contempler ; et je souffre de ce manque », confesse Naipaul au détour d’une page. Cette souffrance personnelle est aussi celle de millions d’êtres qui vivent loin de l’endroit où ils sont nés. En ces temps de débats caricaturaux sur la question cruciale de l’identité, la subtilité du cosmopolite V. S. Naipaul, qui écrit en connaissance de cause, a le bon goût d’ignorer les réponses toute faites. Car l’écrivain ne trempe pas sa plume dans l’idéologie, plutôt dans la complexité de la vie.
Texte : Jean-Philippe Damiani
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